La rue Etroite fait communiquer la rue Guilhem Estève avec les porches du fond de la rue Droite. Elle mesure une quarantaine de mètres de longueur pour une largeur variant de 1,10 m à 1,35 m. Particularité de cette rue : plus on regarde en hauteur, plus on constate que les bâtiments se rapprochent. Aussi l’avait-on surnommée autrefois la rue « Bouche-Ciel ».
Jules Artières et Camille Toulouse, dans leur ouvrage « Millau, ses rues, ses places, ses monuments » (1924) définissent cette ruelle comme suit : « Le public la désigne sous le nom bien mérité de bolto destrecho, et les plans de 1811 et 1835 la mentionne sous la dénomination de rue Etroite. Elle est en effet si étroite et les vieilles maisons qui la bordent vont tellement en se rapprochant dans leur partie supérieure, que le jour à grand-peine à y pénétrer. On pourrait, d’un immeuble à l’autre à travers la rue, non seulement se dire bonjour, mais même se serrer la main ! Nous ne recommandons pas ce quartier à ceux qui aiment l’air et la lumière ! Les Municipalités qui se sont succédé à l’Hôtel de Ville auraient fait une œuvre utile et essentiellement hygiénique en élargissant cette rue, qui détient, à Millau, le peu enviable record de l’étroitesse. »
La rue Etroite, la bien nommée, portait déjà cette appellation en 1430. Au XVe siècle, elle était connue sous le nom de « vòlta destrecha », ou « volte de Carbonier ». Ce n’était pas l’unique rue « étroite » dans la ville puisque d’autres avaient ce triste privilège : la rue d’Altayrac, la rue Malborough ou encore la rue rebaptisée en 1883 rue Ricord (dont le véritable nom était rue du Recors) qui ont depuis disparu. Celles-ci étaient réputées pour leur étroitesse, on prétend que deux charrettes ne pouvaient s’y croiser.
Léon Roux (1858-1935) dans sa chronique « Millau, hier et aujourd’hui » parue dans le Messager de Millau en 1934 nous décrit ces rues exiguës qui n’existent plus : « La vieille et étroite rue Ricord ; dans laquelle de deux fenêtres, face l’une à l’autre, les ménagères se donnaient sur la pelle de la braise incandescente, pour rallumer le foyer éteint a disparu… la rue d’Altayrac qui, comme la plupart des rues de Millau, tenait son nom de la principale famille qui y avait habité – il y a des siècles – partait de la rue Tras la Cour pour aboutir rue des Fasquets, et presque en face s’ouvrait, non moins étroite, la rue Malborough, qui, elle, allait aboutir, parallèle à la rue du Mouton Couronné, sur le boulevard de la Capelle – aujourd’hui boulevard de Bonald. » Toutes ces ruelles ont été supprimées au printemps 1896.
Revenons à notre rue Etroite. Elle possède de vieux bâtiments qui remontent au XIVe siècle. Edouard Mouly, dans son ouvrage « Alades » (1948) parlant des « vieilles rues » n’omet pas de citer celle-ci et la désigne comme « la plus humble de toutes ». Et voici ses souvenirs tels qu’il les écrivait en 1935 : « Mon grand-père maternel y était né. Ses parents y avaient une petite maison qui existe toujours : une écurie et une cave au bas, deux pièces surmontées d’un galetas au-dessus. Comme dans la maison magnifiquement chantée par Bessou, “nous y abian espelit” (neuf y étaient nés). Mais moins heureux que Bessou et ses frères, ils ne purent tous y contenir, car quatre moururent jeunes, et les cinq autres, s’ils ne manquèrent ni de poutous (baisers) ni de l’aïgo fresco (eau fraîche), durent aller chercher un supplément “ol pa del cantel” (le pain de la miche) pas assez abondant peut-être, en se faisant, comme mon grand-père, petit berger dès l’âge le plus tendre. Cette rue, c’est la rue Etroite. Elle va de la rue Guilhem Estève aux Porches de la Place. La largeur ne doit pas dépasser un mètre. Avec un parapluie ouvert, on y passe difficilement. Je parle, bien entendu, de ces honnêtes parapluies répondant bien à leur destination, qui étaient autrefois nantis d’un solide manche, de nervures en corne ou baleine véritable et recouverts de cotonnade bleue, et non de ces ridicules Tom-Pouce qui donnent aux dames un peu mûres qui les portent l’aspect d’un champignon dont la jambe est plus grosse que le chapeau. Ce n’est pas dans des rues comme celle-là, du reste, que ces dames iraient se promener. Elles croiraient déchoir. »
Mentionnons pour terminer qu’au niveau national, Millau ne peut cependant pas rivaliser avec la rue de l’Enfer, située aux Sables-d’Olonne, qui mesure 40 cm de large au sol et 46,5 cm de large à 1 m au-dessus du sol.
Marc Parguel