En janvier 1907, parut un article dans le Messager de Millau, en occitan intitulé « Tar et Dourbio », il s’agissait de la mise en place d’une réunion chaque mois entre amis autour des bons plaisirs de la table où l’on mangerait : « toujour un plat milloten, coumo sou trénels, coufidou, fouasso, et lou resto …Lou noum d’oquélo souciétat gostrounoumico sero Tar et Dourbio. » (Article signé P. Messager de Millau, 26 janvier 1907).
C’est sans doute au cours d’une de ces réunions que fut mijotée l’idée de créer une fontaine du même nom « Tarn et Dourbie » puisqu’en juin 1907 fut lancé un comité chargé d’édifier une fontaine monumentale symbolisant les deux rivières et les industries locales et qui serait placée sur l’une des plus grandes places de la ville de Millau, sans doute celle du Mandarous.
Les deux rivières seraient représentées par deux êtres figés dans leur étreinte et le tout serait exécuté par l’artiste sculpteur en vogue à l’époque : Auguste Verdier. Mais un monument de cette importance à un coût et même si l’idée est belle, il faudra trouver des financements.
Voici comment se présentait le projet en juin 1907 : « Cette fontaine symboliserait le Tarn et la Dourbie, en un groupe d’une suggestive et pénétrante poésie, et représenterait notre industrie locale, si réputée dans le monde entier. L’œuvre comprendrait deux statues, trois figures en haut-relief et de nombreux jets d’eau, se déversant dans une superbe vasque. Elle aurait des proportions grandioses et figurerait à l’un des prochains salons, y rappelant les pittoresques beautés de notre industrieuse cité, dont elle sera le monument.
Nous ne pouvons qu’applaudir à cette heureuse initiative, et nous félicitons de tout cœur, ceux qui veulent embellir et glorifier notre cher Millau. » (Messager de Millau, 8 juin 1907).
On nomma rapidement des personnalités au bureau du comité d’initiative : « Par acclamation ont été élus : Président, M. Chaliès ; vice-président, M. Mathieu Prévôt ; Membres du Bureau, Présidents des Commissions : MM. Gasson ; trésorier, Cance et le Dr F. Bompaire ; trésorier adjoint, M. Lacazotte ; secrétaire, M. Touren ; secrétaire adjoint, M. Edmond Vivier. » (Messager de Millau, 8 juin 1907).
Mais il fallait lever des fonds pour élever un tel monument. Aussi, en août : « Le comité nommé pour élever à Millau une fontaine monumentale a l’honneur de prévenir ses compatriotes que par voie de souscription, il va faire appel à leur générosité. Il a entière confiance en leur dévouement pour lui faciliter la tâche qu’il s’est imposée de doter notre ville d’une fontaine absolument remarquable comme proportions, architecture et sculpture. Elle sera, par excellence, le monument de Millau, l’image vivante de notre industrieuse cité et symbolisera nos pittoresques rivières en un groupe d’une pénétrante et suggestive poésie. La maquette, au dixième de l’exécution, due à notre cher compatriote Verdier, sera prochainement exposée, et les détails réglementant la souscription publique paraîtront ultérieurement ». (Messager de Millau, 31 août 1907).
Une souscription fut lancée dès septembre, et, afin de se faire une idée de ce que représenterait ce monument, la maquette fut exposée en fin d’année 1907 : « La maquette de ce monument au 7e d’exécution sera visible, à partir du dimanche 6 octobre, pendant 15 jours, jusqu’à 9 heures du soir, dans le magasin d’exposition des ouvriers réunis, avenue de la République. La vasque dont l’exécution sera proportionnellement plus grande que dans la maquette sera ornée de plusieurs jets d’eau montants. Nous engageons vivement nos concitoyens à aller admirer cette œuvre, rêvée par l’artiste depuis de longues années, et que son attachement et sa reconnaissance à sa ville natale, ont su lui inspirer. Devant la conception si heureusement rendue de ces travailleurs gais et résignés à la fois, on serait tenté de croire que notre compatriote Verdier s’est inspiré de ce genre d’art dans lequel Constantin Meunier et Alexandre Charpentier ont produit des chefs-d’œuvre ; mais, si l’on étudie, dans ses détails, la virile robustesse et le gracieux abandon qui caractérisent le magnifique groupe du Tarn et de la Dourbie, nous y voyons avec orgueil, que Verdier s’est bien montré le digne élève de ses maîtres : Falguière et Denys Puech, le Comité. » (Messager de Millau, 5 octobre 1907).
Sans doute après avoir vu la maquette en vitrine, les souscriptions affluèrent auprès de M. Gasson, trésorier du comité. Les livrets de souscriptions continuèrent à être distribués et rapidement couverts de signatures.
Afin de galvaniser les potentiels souscripteurs, le Comité n’hésita pas à les mettre en valeur : « Les noms des donateurs et les dons anonymes, paraîtront sur les journaux locaux (sous le titre de Généreux donateurs), quand les livrets seront retournés au trésorier » ou à faire appel à leurs sentiments : « Chaque Millavois tiendra à honneur d’avoir apporté sa modeste pierre, et sa parcelle de marbre à ce monument qui sera pour ses descendants, une page d’histoire vivante et vécue de notre chère cité. » (Messager de Millau, 9 novembre 1907).
Le 16 novembre, le comité nommé pour élever à Millau une fontaine monumentale organisa un programme de série de fêtes et de matinée théâtrale afin de financer plus rapidement l’exécution du projet. Il serait trop long de détailler tous les programmes, mais le principal fut un grand concert qui s’est tenu le samedi 8 février 1908 à la Maison du Peuple et où se sont produits entre autre : l’Harmonie Millavoise, l’Hirondelle Millavoise, l’Estudiantina Millavoise ou encore l’Orphéon Montagnard. Beaucoup de monde s’était réuni pour écouter le Beau Danube bleu de Strauss ou Envoi de Fleurs de Delmet joué au piano par M. Hérail.
Le 6 juin 1908, on fit les comptes et on parla pour la première fois d’exécuter « prochainement » le monument « depuis si longtemps rêvé par Verdier ».
Pendant un an, le projet du monument fut toutefois passé sous silence. La raison en est simple : on se mit à faire une quête pour un autre monument, « Le Buste de Claude Peyrot », qui fut réalisé en 1909 et inauguré en octobre de la même année.
Pour autant, on n’oublia pas notre groupe-fontaine symbolisant le mariage du Tarn et de la Dourbie et en décembre 1909, nous pouvions lire dans la presse locale : « La nouvelle maquette au tiers d’exécution, sera exposée, du vendredi 26 courant au 2 janvier, dans le magasin d’ameublements des Ouvriers Réunis, avenue de la République. L’artiste a apporté diverses modifications au sujet primitif, dans le but de rendre les industries millavoises plus complètes et plus détaillées. Les industries seront symbolisées par trois bas reliefs représentant la Ganterie, la Tannerie, la Mégisserie et Teinture. Le sculpteur Verdier nous montre un de ses bas reliefs, celui de la Ganterie, dans sa future grandeur d’exécution. Le sujet principal : le Tarn et la Dourbie qui couronne la fontaine, reste le même que dans la premier projet. Nous ne saurions trop engager nos compatriotes à aller admirer cette œuvre, destinée à glorifier nos belles rivières et nos chères industries locales » (Le Comité, Messager de Millau, 25 décembre 1909).
« Le vif succès obtenu par la maquette de ce monument, décide le Comité à rouvrir la souscription publique, qu’il avait momentanément suspendue, à l’occasion des fêtes du bicentenaire de Claude Peyrot. Aussi le comité prie-t-il les détenteurs de carnets, qui l’ont si généreusement secondé jusqu’ici, de vouloir bien faire encore leur possible, pour recueillir le plus grand nombre de souscriptions. Les souscripteurs n’habitant pas Millau peuvent adresser les fonds au Bureau du Journal. Le comité. » (L’Indépendant Millavois, 8 janvier 1910).
En avril 1910, « le Comité a décidé de donner un commencement d’exécution à l’œuvre qu’il a entreprise avec l’adhésion des souscripteurs et de permettre au sculpteur Verdier d’exposer à l’un des prochains salons le groupe principal le Tarn et la Dourbie, grandeur d’exécution. » (L’indépendant Millavois, 2 avril 1910).
La maquette fut exposée mois après mois dans les vitrines de Millau, nous la montrons ici tel qu’elle fut présentée dans une vitrine de la Monte en 1913. Il fut de plus en plus question que l’œuvre soit placée au centre du Mandarous…
Puis la guerre arriva et comme le Piedestal de Fontaneilles, le projet de cette œuvre monumentale avorta. On ne peut que regretter que cette étreinte symbolique du Tarn et de la Dourbie n’ait pu voir le jour, tant elle était représentative de notre ville et de ses industries.
Marc Parguel