C’est en mai 1830, suite à l’arrivée d’un jeune curé à la Cresse, que des villageois virent apparaître le Diable tout d’abord au bord du Tarn, puis dans l’ancienne église du village dédiée à Saint Baudile, actuelle salle des fêtes.
Deux versions ont été racontées, l’une par Adrien Fabié en 1881, et l’autre par le curé Duranc, curé et témoin des apparitions.
Croyances. Les diables de la Cresse
Première version (d’après A. Fabié, 1843-1932), Souvenirs des Montagnes du Rouergue, 1881, notaire de Peyreleau, anticlérical forcené). Il la met dans la bouche d’un vigneron de Pailhas surnommé Bon Dieu Vieux.
Deuxième version (livre de Paroisse de la Cresse) mai 1830, à 4 enfants. 1829 : Arrivée d’un jeune curé Laurens Antoine Duranc, né à Peyreleau le 3 mars 1801. Ordonné le 25 décembre 1825. Vicaire à Saint Amans de Rodez. L’ancien curé reste et à des partisans. On va chercher l’Enfant Jésus au lieu des apparitions. La jeune fille à qui il apparaît la porte dans son tablier. On le met dans le tabernacle. Hurlements, scandale. Aspersions d’eau bénite. Rien n’y fait…les curés du voisinage viennent. Ré aspersions. Le « diable » dit à chacun son fait sauf à un et s’en va. La fille était inspirée par les partisans de l’ancien curé. Un d’eux se tenait dans le maître autel et jouait le rôle de Satanas… (A.Carrière, Monographie du Causse Noir, La Cresse, 1934).
Première version (Adrien Fabié)
Une bergère âgée de quinze ans de la Cresse, gardant ses moutons sur les rives du Tarn, quelques centaines de mètres en aval du village, voyait apparaître chaque jour l’Enfant Jésus. Le bruit de ces apparitions se fit dans les localités voisines et des pèlerinages se firent au lieu des apparitions : on n’en rapportait que des rêves amoureux, où défilaient tous les diables de Saint Antoine. On allait visiter pour conjurer l’esprit tentateur ; plus on visitait, plus on était tenté ; plus on était tenté, plus on visitait.
La voyante confirma au curé de la Cresse peu aimé de ses paroissiens, la réalité palpable de ses visions. « Non seulement je le vois, mais je puis encore le prendre dans mes bras et dans mon tablier ; si vous voulez, je lui demanderai de se faire voir à vous aussi. Le lendemain, dimanche, après la messe, grande procession pour prendre l’Enfant Jésus et le porter dans le tabernacle… A peine se trouva-t-il déposé dans le Saint lieu, qu’un bruit épouvantable se fit entendre dans toute l’église.
C’étaient des cris et des hurlements indescriptibles ; quelque chose de semblable aux sifflements d’une cheminée de chaudière à vapeur. Les habitants sortent en une bousculade indescriptible tandis que le curé prosterné devant l’autel s’aperçoit que c’est le diable qu’il a mis dans le tabernacle du maître autel et s’emploie vainement les moyens les plus énergiques pour déloger le « Malin ». Sans succès, le diable refuse de quitter sa nouvelle résidence. Tour à tour, les curés des paroisses voisines rentrent dans l’église pour l’exorciser sans plus de succès. Voyant la scène, les habitants du village dirent : « Le démon va tout à coup fermer la porte d’entrée, et il enfumera nos curés là dedans, comme des renards dans un terrier ».
Mais non seulement Satanas ne bronche pas, mais s’amuse à reprocher à chacun d’eux ses principaux défauts : « Tu es plein d’arrogance… Tu as déchaîné la guerre civile dans ta paroisse, naguère paisible… Tu triches au jeu… Gourmand, tu t’empiffres des meilleures choses que le Bon Dieu a créées… » Le curé de Boyne prit ensuite le goupillon, mais comme il avait remarqué que l’eau bénite rendait le Diable de fort mauvaise humeur, il s’arrangea de manière à ne pas l’atteindre dans son aspersion. Un autre curé lança de l’eau bénite, un jet de fumée ayant une odeur de corne brûlée en jaillit aussitôt et un cri terrible se fit entendre « Vade retro Satanas », dit alors l’officiant en lançant un autre coup de goupillon dans l’espace. M.Mas archiprêtre de Notre Dame de Millau, parvint enfin, à le faire décamper. Le diable était, dit-on, un ami de l’ancien curé qui voulait ennuyer le nouveau installé depuis seulement six mois. La jeune fille (voyante) était payée et conseillée par les partisans de l’ancien curé ; un de ceux-ci, caché dans le maître autel, jouait le rôle de Satanas. Les autres, mêlés à la foule, servaient de compères. »
Deuxième version (Livre de Paroisse) : Relation des apparitions diaboliques qui ont eu lieu dans la paroisse de la Cresse en 1830, par Duranc, curé
En 1830, au mois de mai, quatre enfants de la paroisse de la Cresse cherchaient des nids. Tout à coup, ils voient fondre une colombe sur un buisson peu éloigné des bords du Tarn, placé en un endroit très en pente, appelé Lou Coustat, à environ un demi-kilomètre de leur village, du côté du midi. Ils vont visiter ce buisson dans l’espoir d’y trouver un nid ; mais quelle n’est pas leur surprise ! Au lieu d’un nid, ils aperçoivent un enfant. Aussitôt saisis de frayeur, ils fuyaient. Cet enfant leur dit : « C’est moi, ne craignez point ! ». (Ces paroles paraissent une imitation de celles que notre Sauveur adressa à ses disciples effrayés, lorsque de leur barque battue par des flots, le prenant pour un fantôme, ils le virent venir à la quatrième veille de la nuit, en marchant sur les eaux, et donnent à entreprendre que le but que le Démon se proposait, en apparaissant en ce lieu, était de passer pour Jésus Christ et de se faire adorer). Cette voix qui sortait du buisson, bien loin de les rassurer, ne fit qu’augmenter leur effroi. En arrivant chez eux, ils s’empressent encore pleins d’émotion de raconter à leurs parents ce qu’ils venaient de voir et d’entendre.
Au nombre de ces enfants était le fils de M.Monestier, maire de la commune de la Cresse, et docteur médecin, qui, en entendant ce que son fils lui rapportait, crut qu’il était ivre. Néanmoins pour tâcher de découvrir la vérité, il eut la précaution d’appeler ses compagnons et de les interroger séparément l’un après l’autre. Voyant qu’ils s’accordaient parfaitement, il demeure convaincu de la réalité du fait qu’ils rapportaient. Le lendemain, plusieurs personnes accompagnées de ces enfants se rendirent au lieu de l’apparition. Elles coupèrent même le buisson, mais elles ne virent et n’entendirent rien. Peu de jours après, d’autres enfants des deux sexes s’étant rendus au même lieu, pour y paître leur petit troupeau, virent les mêmes choses que les précédents ou d’autres de ce genre, et ces apparitions se renouvelant de jour en jour, commencèrent à attirer beaucoup de personnes de la Cresse de tout âge et de tout sexe. C’était pour les enfants de 10 à 15 ans, mais non pour tous, que ces apparitions étaient visibles ; des personnes d’un âge mûr les voyaient aussi, mais en petit nombre. Le curé de la paroisse de la Cresse voyant que cet objet attirait l’attention de ses paroissiens, crut devoir s’en occuper et se rendit plusieurs fois sur le lieu des apparitions, accompagné de quelques ecclésiastiques des paroisses voisines.
Voici le moyen qu’on employait de concert pour s’assurer s’il y avait quelque réalité. On prenait trois ou quatre enfants ensemble. Lorsqu’un enfant voyait quelque chose, l’on faisait approcher les autres et on leur recommandait de bien remarquer tout ce qu’ils y voyaient ; ensuite on les interrogeait séparément.
Ces épreuves ayant été faites plusieurs fois, on trouvait toujours dans leurs réponses un accord parfait jusque dans les moindres circonstances. Cet accord eut été plus difficile si ces enfants n’avaient pas réellement vu ce qu’ils disaient, que ces apparitions changeaient souvent de forme et de place. Elles ne s’éloignaient guère du lieu qu’elles avaient pris la première fois, mais elles se montraient un peu à gauche ou à droite, ou un peu plus haut ou plus bas, tantôt sous la forme d’un prêtre, tantôt sous celle d’un religieux ; quelquefois elles étaient accompagnées de gendarmes ; d’autres fois c’était une mère qui tenait un enfant entre ses bras ou sur ses genoux ; ou plusieurs personnes paraissaient en même temps. Ces expériences faites, le curé de la Cresse se rendit à Rodez pour faire part à ses supérieurs de toutes ces choses. Le siège était alors vacant. Le diocèse était administré par MM.Mazars et Marty, vicaires généraux. Sur le rapport qu’il leur fit, ils furent d’avis que cette affaire méritât d’être examinée, qu’on ne pût pas encore décider si c’était bon ou mauvais ; on lui recommande de faire le rapport de ce qui lui arriverait ultérieurement. M.Mazars, premier vicaire général, prit surtout cette affaire à cœur et chargea le curé de dire neuf messes pour cet objet. Quelque temps après, ils lui envoyèrent un certain nombre de questions pour être proposées aux apparitions, avec la recommandation de mettre par écrit les réponses qui y seraient faites et de les leur faire parvenir. Il n’y avait que ceux qui voyaient les apparitions qui entendissent leur voix et leur parole. Les questions furent faites et les réponses reçues par l’intermédiaire des enfants. Ces réponses qui étaient ordinairement au-dessus de la portée des enfants servirent à constater de plus en plus la réalité des apparitions, mais non à en faire discerner le vrai caractère.
Le bruit de ces apparitions s’étant répandu au loin attirait à la Cresse bien des personnes de tout âge et de tout sexe, non seulement des paroisses voisines, mais encore de divers points du diocèse. Les lieux où elles se montraient étaient fréquentés surtout le dimanche.
Un jour que Melle Rey, de Millau, fille pieuse d’un âge mûr, et une religieuse d’Espalion accompagnée d’un abbé, se trouvait sur les lieux, il arriva un fait des plus saillants. Melle Rey avait vu l’apparition, et la religieuse désirait beaucoup de la voir aussi. Comme c’était à regret qu’elle avait quitté ces lieux, on l’engagea un moment après à y revenir dans l’espoir qu’elle verrait quelque chose. Elle y revint en effet avec ceux qui l’accompagnaient. Or voici ce qui se passa en présence du curé de la paroisse de la Cresse. Melle Rey voyait trois personnes. Sur la poitrine de l’une d’elles était écrit en lettres d’or ce mot : Jésus ; pour constater ce fait, on appelle une enfant d’environ 14 ans, pour laquelle les apparitions étaient visibles. Enfant pieuse et simple, elle approche ; et, après lui avoir observé de bien regarder, les personnes présentes lui firent les questions suivantes :
D. Que vois-tu ?
R. Je vois trois personnes.
D. Que vois-tu encore ?
R. Je vois des lettres.
Comme cette enfant avait de la peine à lire le mot que composaient ces lettres, parce qu’elle était peu exercée à la lecture, on lui dit de le nommer ; aussitôt elle prononce l’une après l’autre ces cinq lettres J, E, S, U, S. Ce fait confirme l’observation déjà faite à l’occasion des paroles que la première apparition adressa aux enfants qui fuyaient. On était déjà au mois de septembre et les apparitions duraient encore depuis le mois de mai, et le nombre des visiteurs augmentait de plus en plus. Enfin, elles vont se terminer et la fin n’est pas ce qu’il y a de moins étonnant. Vers le 10 septembre, un samedi, une enfant d’environ onze ans vint au presbytère, pour dire au curé de la paroisse qu’aux lieux de l’apparition, il y avait un évêque qui lui présentait une relique et lui disait de la porter à l’église.
Le curé était en ce moment avec un diacre qui était venu passer ses vacances à la Cresse. Tous les deux suivent cet enfant. Lorsqu’ils furent arrivés sur les lieux, le curé dit à l’enfant de prendre la relique et de se diriger vers l’église. L’évêque marche le premier, l’enfant vient après avec la relique, et le curé suit avec le diacre. A chaque croix qu’on rencontre, l’évêque lui témoigne un grand respect par plusieurs prosternations. Lorsqu’on fut à la porte de l’église, l’évêque fait signe de l’ouvrir. On ouvre la porte. L’évêque va se mettre à genoux au 1er degré du marchepied de l’autel ; un instant après, il monte à l’autel et fait signe d’ouvrir le tabernacle. Le curé va prendre un surplis et une étole, il allume deux cierges et ouvre le tabernacle. Alors l’évêque vient prendre la relique de la main de l’enfant qui vit qu’il la déposait dans le ciboire. On ferme le tabernacle et on se retire. En réfléchissant sur ce fait et considérant que c’était contre l’usage de l’église de déposer quelque relique que ce soit dans le ciboire où est conservé le très saint sacrement, le curé n’hésita pas à en conclure, ou que ce n’était rien, ou que, s’il y avait réellement quelque chose, c’était diabolique.
Le même jour, sur le soir, il prit cette enfant et lui fit retirer la relique du ciboire avec des ciseaux. Il voulait la brûler, mais au moment de le faire, elle fut enlevée. Ce ne fut que le lendemain où plusieurs personnes l’aperçurent à l’autel placée à l’endroit où l’on expose le Saint Sacrement, qu’on parvint à la brûler.
C’était bien quelque chose que le diable fut enfin démasqué ; mais, par malheur, on l’avait introduit dans l’église. Lorsque les fidèles s’y réunirent pour entendre la messe paroissiale, plusieurs d’entre eux virent des évêques et des prêtres se promener dans le sanctuaire et autour de l’autel ; ce qui donnait lieu à bien des conversations et de l’agitation dans le lieu saint. Après tous les offices de la paroisse, le curé essaya de chasser le démon. Il prit le surplis et l’étole, et lui jetant de l’eau bénite, il lui ordonnait au nom de Jésus Christ de sortir de l’église. Il ne put parvenir, ce jour-là, à l’en chasser. Il sortait bien de l’église, mais il y rentrait aussitôt.
Jusqu’ici le démon ne s’était montré que sous des formes attrayantes qui ne respiraient même que la religion et la piété soit dans les gestes soit dans les paroles ; mais lorsque le curé lui eut ordonné de sortir de l’église et jeté de l’eau bénite, il devint horrible et effrayant ; il parut sous la forme de la bête avec cette couleur noire, ces grandes narines, cette tête monstrueuse, tel qu’on le voit représenté dans des images, menaçant même du geste et du regard les enfants pour qui il était visible, et qui en étaient si frappés qu’on les voyait reculer d’effroi, pâlir et sur le point de s’évanouir. Le 14 septembre, fête de l’exaltation de la Sainte Croix, arriva fort à propos pour indiquer le remède à ce mal. Il y avait ce jour-là beaucoup de fidèles à la messe et ceux pour qui ces apparitions étaient visibles remarquèrent qu’à l’incarnation et au Crédo, tout avait fui de l’église et que rien n’y avait reparu de tout le reste de la messe. Le curé qui en fut averti profita de cette observation pour chasser tous ces démons de l’église, pour rompre tout pacte avec le démon, dans le cas qu’il y en eut en quelqu’un à cause de ce qui s’était passé à l’occasion de la relique dont il avait parlé ; il fit venir à l’église l’enfant qui l’y avait portée et là, en présence du diable, le curé lui dit de prononcer avec lui ces paroles : « Je renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres, pour m’attacher à Jésus-Christ. »Aussitôt après, le curé ajoute : « Au nom de Jésus Christ, qui s’est incarné par l’opération du Saint-Esprit dans le sein de Marie toujours vierge et s’est fait homme, je t’ordonne de sortir de l’église et de ne plus y rentrer. » Dès ce moment, on ne vit plus rien dans l’église ; il y eut encore pendant quelques mois quelques rares apparitions au-dehors. Le démon tenta quelquefois d’épouvanter des enfants en se montrant à eux sous des formes hideuses ; mais il disparaissait bientôt voyant qu’on le méprisait jusqu’à lui cracher dessus, comme on le leur avait recommandé. Gratias Deo qui dedit nobis victoriam per Dominum nostrum Jesum Christum. Cette relation a été faite par le curé lui-même sous lequel ces apparitions ont eu lieu.
Duranc, curé de la Cresse
L’église où les apparitions eurent lieu était l’ancienne église Saint-Baudile, reconvertie en 1996 en salle des fêtes. Mentionné au cadastre aux parcelles 43,44 E1. Elle est romane et présente un chœur comparable à celui de Saint Martin de Pinet, cette partie remonterait donc à la deuxième moitié du Xe siècle. Dans sa nouvelle destination, elle a su garder le chœur et l’abside romane du XIIe siècle, ainsi que le cadran solaire. Figurant sur la liste des églises du diocèse de Vabres en 1318, elle était l’annexe de Saint Martin de Pinet, siège de la paroisse. Après le Concordat de 1801, l’église St Baudile fut reconstruite sur ses anciennes fondations, le chœur seul fut conservé intact. Elle devint alors église paroissiale et le resta jusqu’en 1893. La première pierre de l’église actuelle, toujours dédiée, à St Baudile fut posée le 15 mai 1888 et la bénédiction eut lieu le 4 février 1893.
Marc Parguel