Les cascades de Creissels qui dévalent de Brunas sont indissociables de la vie des Sud-Aveyronnais. Véritable invitation à la rêverie, le sentier pour y parvenir remonte du bas du village jusqu’au plateau de la Doux. Sur ces hauteurs jaillit l’éblouissante gerbe d’eau, haute de 23 mètres, point d’orgue de la balade.
Un petit livret édité par l’office du syndicat de Millau en 1911 nous en fait la publicité : « Creissels et ses environs (promenade très recommandée). A 800 mètres du village, dans un coin de la montagne au sud : prairies, ombrages, rochers, chutes d’eau de 30 mètres, sentier entaillé dans le tuf accédant sur la cascade, terrasse naturelle d’où l’on domine Creissels. Vue splendide sur le Tarn et Millau. » (Millau centre de Tourisme de la Région des Causses, Livret Guide du Touriste, édition 1911-1912).
On retrouve les cascades dans une chanson occitane, elles sont inscrites à l’inventaire du patrimoine historique et, pour plus d’un amoureux millavois, elles ont été le théâtre de bien des premiers baisers. C’est aussi un endroit pour prendre un bon bol d’air frais en cette période estivale, ou même se laisser aller à des rêveries.
Un article à ce sujet écrit il y a deux siècles, nous donne déjà un aperçu d’un passage aux cascades : « C’était l’heure de midi ; le soleil était chaud. Arrivé au bas de cet escarpement où la nature, en réunissant les contrastes, a produit une harmonie qui saisit, qui émeut, qui fait rêver délicieusement ; il respire avec plaisir cet air frais et suave ; il monte ces échelons irréguliers taillés dans le tuf, couverts de mousse et d’eau. Arrivé au plateau supérieur, il se retourne et un superbe panorama se déroule à ses regards. » (Un rêve à la Cascade de Creissels, L’Echo de la Dourbie, 29 octobre 1843)
Un autre article y décrit une fête patronale : « Le village est si près de Millau, ses prairies sont si vertes, ses ombrages si frais, qu’il eût bien été difficile de résister à la tentation de profiter de cette circonstance pour fuir la ville, où la chaleur nous tue, et aller respirer l’air pur et vivifiant de la campagne. Aussi tout le monde était aux cascades ce jour-là. Dire qu’on s’est bien amusé me paraît inutile : on a ri, on a dansé, on a gouté sur l’herbe, enfin on s’est donné de la joie pour un an. » (L’Echo de la Dourbie, 7 septembre 1861)
Il faut compter une heure et demie pour parcourir le sentier, en remontant le ruisseau de Cabrières (prendre le chemin « circuit des cascades » en suivant le balisage jaune). Dans ce secteur, des habitats préhistoriques et des nécropoles ont été aménagés dans les excavations naturelles de tuf et témoignent de cette lointaine implantation humaine, dès le néolithique, visible sur l’itinéraire.
Autre témoignage de l’occupation ancienne de Creissels : le vieux cimetière regroupant des tombes creusées dans le tuf dont les contours épousent la forme du corps. Le tuf a joué un rôle important dans le développement de Creissels. Cette roche légère facile à extraire et à tailler résulte des dépôts de calcaire par les eaux d’infiltration. L’extraction du tuf a été pendant des siècles la grande activité de Creissels.
En 1889, un énorme bloc de tuf s’est détaché de la falaise et a fait la une de la presse locale : « Un éboulement effroyable vient de se produire dans le territoire de la commune de Creissels. Dans le quartier de Beaumegaste, situé près des cascades, le roc gigantesque en tuf, qui surplombe à une hauteur immense les prairies, s’est fondu du haut en bas, et d’énormes blocs se sont détachés roulant jusqu’au ruisseau. Dans leur course ils ont haché beaucoup d’arbres et défoncé le terrain, causant de grands dégâts aux propriétés. On ne compte pas moins de cinquante blocs gisant çà et là à travers les prés. Mais tout n’est pas fini, il s’est formé une crevasse très profonde d’une largeur d’environ dix mètres, sur la partie extérieure de l’ancien cimetière. Une grange établie au bas du rocher, dans une grotte naturelle, et remplie de foin est devenue inaccessible. Elle appartient au sieur Fossemale, de Creissels. Cet éboulement a eu lieu dans la nuit de vendredi (4 janvier 1889). Le fragment énorme de roc qui est prêt à rouler dans la prairie des cascades de Creissels fait l’objet de l’attention de la municipalité de cette commune. Pour éviter les accidents qui pourraient se produire, le maire de Creissels, M. Connes, a chargé plusieurs individus de faire sauter ce bloc de tuf avec de la dynamite. Cette opération aura lieu au premier jour. » (Journal de l’Aveyron, 10 janvier 1889).
Près de la ferme des Cascades, au sud-ouest du village, sous les falaises du Larzac et à proximité de la résurgence de la source de Laumède, des fouilles menées en 1886 mirent au jour une salle de huit mètres carrés environ, identifiée comme les thermes d’une villa ou un sanctuaire dédié aux eaux (Cérès, découvertes faites aux environs de Creissels, P.V.Société des Lettres, p.34-35).
Comme l’indique Christophe Saint-Pierre dans son mémoire de maîtrise : « Ces observations ont été complétées en 1982 par le dégagement d’un bassin, creusé dans le tuf et parementé de dalles de grés, auquel on accédait par deux escaliers opposés. Le mobilier recueilli alors témoigne d’une occupation de cette installation dans la seconde moitié du Ier siècle après J.-Christ. » (De Contatomagus à Amiliavus, quelle filiation, 2003-2004)
Plus tard, les carrières de tuf et leur étonnante roche ocre serviront de carrières. De très nombreuses maisons du village et de la région doivent leur charme si particulier à cette roche, superbe alchimie d’eau, de minéraux et de végétaux. Légère et facile à tailler, elle a aussi beaucoup servi pour la construction des ponts dans la région et le plus bel exemple en reste le pont Lerouge.
Comme l’indique le journal Midi Libre dans son édition du 29 avril 2007 : « Le site a aussi connu une activité liée à l’industrie de la peau de sa grande voisine Millau. La force motrice de l’eau des cascades a été utilisée pour actionner différents moulins, parmi lesquels certains subsistent encore aujourd’hui. On peut alors, au cours de sa promenade à Creissels se prendre à rêver avec nostalgie au métier de taillandier, spécifiquement dédié à l’affutage des couteaux pour les mégisseries. » (Creissels : l’eau, l’homme et les pierres, Midi Libre, 29 avril 2007)
Le site longtemps en friche n’était pas vraiment des plus accueillants. Pour remédier à cela, de nombreux projets furent établis, mais restèrent dans les cartons faute d’ententes entre élus et propriétaires privés, mais une enquête d’utilité publique a été lancée le 11 juin 2007 visant à donner une seconde jeunesse aux cascades. C’est sous l’impulsion de la communauté des Communes que le préfet a été contacté en vue de donner suite à ce dossier. Les travaux proprement dits furent envisageables dès 2007 : « ce que nous voulons faire, explique l’ingénieur en charge du dossier, est somme toute assez simple. L’idée est de défraîchir le sentier qui mène aux cascades et de le sécuriser. Mais tout cela sans mettre à mal le caractère naturel du site » (Une seconde jeunesse pour les cascades, Midi Libre, 16 juin 2007).
On voit encore dans le site des cascades, c’est-à-dire sur le ruisseau de Cabrières, la bâtisse d’un ancien tornalh = moulin à aiguiser. Inscrit aux monuments historiques en 1945, il abrite un système de roues et de poulies relié, à travers une voûte, à une pierre d’aiguisage. Servant traditionnellement à affûter les outils et les couteaux, il date au moins du XVe siècle, car signalé dans le compois de cette époque. Ce petit ouvrage qui était depuis longtemps en ruine a été réhabilité entre mai et juin 2017.
Marc Parguel