Hugues Olivier, accusé de sorcellerie, est brûlé vif à Millau

Bernard Maury
Bernard Maury
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Lundi 11 décembre 1317, à sept heures trente. Il fait encore sombre dans les rues de Millau lorsque le bailli de la ville, Déodat Ruffi, escorté par huit soldats, traverse la place Mage (de nos jours Place Foch). Il se rend chez Hugues (ou Huc) Olivier qui habite la maison sise au fond de la « Traverse des Oliviers » de la rue de la Bouquerie (aujourd’hui rue de la Capelle). Le bailli a été chargé par le juge royal, Hugues Ratier, d’arrêter le propriétaire de cette riche demeure.

Porte d’entrée de la maison n°12, rue de la Capelle. © Françoise Galès

Aidé par deux de ses fils, ce dernier exerce plusieurs activités professionnelles : tanneur, peaussier et maître-cordonnier. Il achète d’abord les dépouilles de chèvre et de bouc dont la chair est vendue à la boucherie (bocaria) de ladite rue. Ensuite, il prépare ces peaux dans une calquière installée au milieu de son jardin situé à l’extérieur des remparts, au-dessous de la Porte Saint-Antoine (sûrement pas très loin de l’actuelle Place des Calquières). Il ne lui reste plus qu’à transformer dans son atelier, les cuirs en souliers : domaine où il excelle.

D’ailleurs, ses affaires ont rapidement prospéré et ses concitoyens, en parlant de lui, disent que c’est « un homme qui nage dans l’or ». Sa réussite suscite autour de lui, évidemment la jalousie et l’envie. Ainsi, de vagues bruits commencent à courir dans la ville, mais ils vont s’amplifier rapidement pour se transformer en rumeurs mensongères. Le mal est fait, le venin de la calomnie va se distiller dans tout le corps social de la cité en y répandant une haine cruelle et impitoyable. Celle-ci se traduit par une accusation terrible : Hugues Olivier est un sorcier.

Comme le crime de sorcellerie est abominable, les six consuls de Millau, revêtus de leur robe rouge et noire et du chaperon (ils reçoivent tous les ans 20 florins d’or pour subvenir à la confection de la tenue) se sont réunis dans la Maison Commune (située côté est de la Place Emma Calvé) et ont décidé de saisir le juge royal pour enquête. Afin d’interroger le cordonnier, le juge donne au bailli la mission de procéder à son arrestation. C’est ainsi que ce matin, Déodat Ruffi se retrouve devant l’église Notre-Dame de l’Espinasse. Là, il désigne quatre soldats pour aller surveiller l’arrière de la maison qui donne sur la rue Palière (devenue rue Claude Peyrot). Avec les autres soldats, il se présente au domicile d’Hugues Olivier. Celui-ci à la vue des soldats paraît plus déconcerté qu’apeuré. Il n’oppose aucune résistance. Après avoir embrassé sa femme et ses quatre enfants, il se laisse emmener par les soldats.

 Tous paraissent rassurés. La rumeur était donc vraie. Hugues Olivier est bien un sorcier !

Mais au lieu de se diriger vers la Cour Royale (située à l’emplacement des Halles couvertes) dont les dépendances servent de prison pour les auteurs de délits issus du peuple, ils empruntent la rue des Tours (actuelle rue Droite). Etonné, le cordonnier demande au bailli : « Où me conduisez-vous ? » C’est un soldat de l’escorte qui lui rétorque avec un rire sardonique : « Au Château Royal ! » La réponse glace d’effroi Hugues Olivier. Il est terrorisé parce qu’il sait que la prison du Château est réservée aux nobles délinquants, mais aussi aux criminels passibles de la peine de mort.

La rue des Tours est toujours très animée, pourtant ce matin, il y règne une atmosphère particulière créée par le passage des soldats qui encadrent Hugues Olivier. Leur curiosité étant vivement excitée, les artisans sortent de leurs échoppes et s’entretiennent en riant sous cape avec les marchands qui installent leurs étals. Tous paraissent rassurés. La rumeur était donc vraie. Hugues Olivier est bien un sorcier !

L’escorte arrive au Portail de l’Ayrolle qui est l’entrée principale de la ville. Surmonté d’une tour, il est situé à moins de cent mètres à l’est du Château Royal. Le bailli se fait ouvrir la porte intérieure et celle extérieure pour sortir de l’enceinte afin de rejoindre le château. En effet, celui-ci n’ayant aucune voie d’accès par la cité, il dispose par contre d’une porte ouverte dans le rempart de l’enceinte de la ville. L’escorte franchit le pont sur le fossé rempli d’eau et pénètre dans la cour du château. Le bailli confie Hugues Olivier au châtelain qui le fait incarcérer dans la tour (seule la rue de l’Ancienne Tour rappelle son existence).

Sur ordre du Sénéchal du Rouergue, Pierre de Ferrières, qui est venu tenir ses assises à Millau, le juge royal ouvre une information qui vise à incriminer Hugues Olivier de sorcellerie. Interrogé le jour même par ce magistrat, l’inculpé voulant éviter la torture avoue spontanément avoir pactisé avec le diable au moyen de maléfices. Bien qu’enregistré par le greffier, le simple aveu n’est pas suffisant pour prouver la culpabilité du détenu. En conséquence, le juge va le soumettre à la « question extraordinaire » afin d’obtenir des précisions sur ses pratiques diaboliques. Le bourreau va le tourmenter longuement avec les instruments de torture utilisés à l’époque : l’eau (jusqu’à huit pintes avalées à l’aide d’une corne de vache), les brodequins (jusqu’à huit coins enfoncés entre les planches liées de part et d’autre aux jambes attachées ensemble), l’estrapade (repliés dans le dos, les bras sont attachés à une corde qu’actionne une poulie fixée à une potence).

Le supplicié endure des souffrances terribles qui lui arrachent d’affreux hurlements. Entre chaque séance, le bourreau observe une pause pendant laquelle le juge questionne le prétendu sorcier pour obtenir de lui des révélations. Et le juge va entendre ce qu’il veut entendre… car plusieurs fois, Hugues Olivier avoue « qu’à maintes reprises », il a enseveli dans du fumier « des pains, de la pâte de viande, des cornes et du sang de bœuf dans le but de faire périr les fruits de la terre et les bestiaux, commettant ainsi un horrible et néfaste sortilège ».

Ses déclarations réitérées, qui aujourd’hui semblent abracadabrantes, le condamnent sans rémission. Au vu de la procédure transmise par le juge, les Consuls considèrent que la culpabilité d’Hugues Olivier est établie et prouvée. Compétents en premier ressort pour prononcer une peine, ils « émettent l’avis que le sorcier doit être brûlé ». Le juge ayant confirmé la peine, l’épouse du condamné fait appel du jugement devant le Sénéchal, Pierre de Ferrières, encore présent à Millau. Celui-ci étant à l’origine des poursuites, rejette l’appel en prétextant qu’il est mal fondé. Dans son renvoi, il précise qu’un de ses écuyers est chargé d’organiser rapidement l’exécution.

Deux jours plus tard, dès l’aube, tous les Millavois sont dans la rue pour aller assister au supplice de leur compatriote Hugues Olivier. Arrivés par la rue Peyrollerie et la rue du Voultre, ils sortent par la Porte de Jumel (au sud-ouest de la ville) pour rejoindre le Pont Vieux par le chemin de la Recluse qui permet d’emprunter le chemin de Rodez sans rentrer dans l’enceinte de la cité. Ils prennent cette direction, car le bûcher est dressé au débouché sud du pont à l’intersection avec le chemin de Creissels. Sur le pont, à présent, la foule est de plus en plus dense. Elle s’impatiente. Pourtant, au loin, les roulements des tambours se font entendre. Ils annoncent que le cortège est sorti de la ville. Un cri de soulagement et peut-être de contentement s’échappe de la cohue.

Soudain, une immense flamme bleue qui apparaît au centre du brasier arrache un grand cri à la foule qui semble satisfaite du spectacle.

Enfin les soldats apparaissent. Ils ouvrent le passage au cortège et l’encadrent de chaque côté sur toute sa longueur. Sur le pont, ils se servent de la hampe de leur lance pour écarter les plus curieux. Ils sont suivis par quatre tambours qui précèdent un tombereau tiré par un cheval mené par l’assistant du bourreau. Extrêmement faible, fragilisé par les graves blessures subies lors des tortures, Hugues Olivier s’appuie contre une ridelle du tombereau. Pour rester debout, il doit être soutenu par le bourreau. Celui-ci et son aide, habillés de vêtements rouges, dissimulent leur visage dans une grande cagoule noire.

Tout le long de l’itinéraire, c’est la bousculade. La foule est avide de vindictes. Les femmes et les hommes, dont certains portent un enfant à califourchon sur les épaules, insultent le condamné au passage du tombereau. Celui-ci arrive enfin devant le bûcher. Les fagots ont été entassés autour d’un pilier de pierre érigé pour la circonstance (laissé longtemps sur place, le pilier portait le nom de « pilar d’en Huc Olivier »). Le bourreau dépouille Hugues Olivier de ses vêtements et l’habille d’une chemise de soufre appelée « chemise ardente ». Le soufre intervenait dans le supplice des condamnés pour sorcellerie, car l’odeur du soufre était censée accompagner les manifestations du diable. Puis le « mestre de la auta justissia », (l’exécuteur des hautes œuvres), après avoir attaché fortement le cordonnier au pilier, met le feu aux fagots.

Le bois sec s’embrase rapidement en crépitant, les flammes s’élèvent en tourbillonnant autour du pilier. Les grondements des tambours couvrent les hurlements de douleur du supplicié. Soudain, une immense flamme bleue qui apparaît au centre du brasier arrache un grand cri à la foule qui semble satisfaite du spectacle. D’ailleurs, elle n’est pas repoussée par l’odeur du soufre qui se mêle à celle de la chair brûlée. Le bourreau et son aide alimentent régulièrement le feu avec les fagots qu’ils ont mis en réserve, à proximité du pilier, lors de la préparation du bûcher. Au bout d’une heure, il n’y a plus que des cendres, mais la foule est toujours là. Elle veut voir le bourreau disperser les cendres au vent…

C’est fini. Cette exécution restera longtemps gravée dans la mémoire des Millavois. Pourtant, Hugues Olivier n’a pas été la dernière victime à être brûlée pour sorcellerie. Dans son livre, « Le consulat de Millau », Frédéric Laur raconte qu’en 1445 trois sorcières nommées Gamade, Garine et Tavernière sont montées sur le bûcher, de même que Béatrix Creyssels en 1492.

Bernard Maury
Membre de la Société d’Etudes Millavoises

Sources : « Le Pont Vieux » de Dieudonné Rey

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