Comment suit-on l’évolution d’une épidémie ? Quels outils permettent de mesurer sa propagation ? Comment sont comptabilisés les cas confirmés d’une maladie ou le nombre de décès ? Alors que le monde entier fait face à une pandémie d’une ampleur et d’une rapidité d’extension inédites, la plupart des pays européens sont en train de mettre en place un dispositif de surveillance en population, dont les discussions sont animées par le Centre européen de contrôle des maladies (ECDC).
La France s’est positionnée rapidement comme moteur sur ce sujet. Dès le 10 janvier 2020, les autorités sanitaires ont mis en place en France un dispositif de surveillance du COVID-19 qu’elle communique de façon transparente jour après jour. De nombreux indicateurs lui permettent de suivre l’évolution de la situation, et au fur et à mesure que l’épidémie se propage, de nouveaux outils deviennent nécessaires pour avoir une vision globale de la situation (surveillance en population dite syndromique).
Depuis le début du mois de mars, un nouveau dispositif de surveillance adaptée à la circulation large du virus en population a été progressivement mis en place à partir de plusieurs sources de données.
Cet article a pour objet de présenter les différents indicateurs, leur complémentarité, et leurs futurs développements. Depuis le 27 mars, un dashboard permettant de suivre l’évolution de l’épidémie a été mis en ligne sur le site du Gouvernement.
Comment suit-on l’évolution d’une épidémie ?
Les indicateurs évoluent en fonction du stade épidémique
A chacune des phases de l’épidémie, les autorités sanitaires activent un dispositif de surveillance. Celui-ci évolue au fur et à mesure des différentes phases de l’épidémie (comme c’est par exemple le cas pour la grippe saisonnière). Cela permet d’avoir un suivi le plus fiable possible, et pour les autorités sanitaires, de disposer d’outils actualisés de pilotage de son action.
• La phase 1 de l’épidémie correspond à l’apparition des tout premiers cas sur un territoire donné. Le but des autorités sanitaires est alors de circonscrire l’épidémie en isolant les personnes malades détectées et leurs contacts proches.
• La phase 2 est caractérisée par l’apparition de cas regroupés (clusters), dans plusieurs endroits du territoire. A ce stade, le dispositif initial de surveillance qui repose sur le signalement individuel des cas confirmés, permet d’identifier les chaines de transmission et de les casser pour retarder la diffusion du virus sur tout le territoire.
• La phase 3 correspond à une circulation large du virus au sein de la population et sur l’ensemble du territoire avec une augmentation rapide du nombre de cas, ne permettant plus de tous les compter un à un, mais nécessitant une surveillance de l’impact de l’épidémie en population générale et sur l’offre de soins.
En phase 3, le dispositif mis en place en stade 1 et 2 n’est alors plus adapté et ne peut plus assurer un décompte exhaustif, actualisé et fiable. Le changement de système de surveillance est alors indispensable pour observer l’évolution nationale de l’épidémie, mesurer son impact en termes de formes graves (impact sur les établissements de santé) et de décès et préconiser les mesures de gestion nécessaires pour la population, les professionnels de santé et le système de soins. C’est pour cette raison que les indicateurs de suivi évoluent : c’est la surveillance syndromique.
La surveillance syndromique
La surveillance syndromique, utilisée en phase 3 de l’épidémie, vise à recenser les « syndromes », c’est-à-dire les signes cliniques d’une maladie. En ce qui concerne le coronavirus, responsable de la maladie COVID-19, les autorités sanitaires cherchent donc à identifier la proportion de la population qui présente des signes cliniques d’Infection Respiratoire Aigüe (IRA), c’est-à-dire l’apparition brutale de fièvre (ou sensation de fièvre), et de signes respiratoires (comme la toux), avec ou non un essoufflement ou une sensation d’oppression thoracique.
Ces signes cliniques se retrouvent néanmoins dans d’autres pathologies (toutes les personnes présentant ces signes cliniques ne sont pas forcément malades du coronavirus, car d’autres virus ou des bactéries peuvent donner les mêmes signes). En collectant les données « syndromiques », il n’est donc pas possible d’obtenir une exhaustivité totale. Pour obtenir un résultat fiable, les données syndromiques sont donc extrapolées selon une méthodologie d’harmonisation. Les résultats sont fournis avec un intervalle de confiance à 95%. Cette méthodologie est reconnue et appliquée chaque année pour les pathologies saisonnières (gastro-entérite, bronchiolite, grippe, mais aussi canicule). Pour que cette méthode soit la plus fiable possible, il faut donc augmenter le nombre d’indicateurs et de points d’entrées de surveillance.
Quelles sont les sources de données utilisées ?
Les données hospitalières
Pour analyser et comptabiliser les passages aux urgences hospitalières pour suspicion de COVID-19, Santé publique France recueille quotidiennement via le système de surveillance SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès) les données des services d’urgence participant au réseau Oscour® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences). L’analyse de ces données permet d’observer en temps quasi-réel et pour l’ensemble des pathologies vues aux urgences, les variations quotidiennes et hebdomadaires du nombre de passages et parmi eux, ceux qui font l’objet d’une hospitalisation.
Depuis le 24 février 2020, un codage spécifique de « suspicion d’infection au COVID-19 » a été mis en place permettant à partir des données du réseau Oscour® de surveiller les indicateurs suivants en quotidien et en hebdomadaire :
• Nombre de passages aux urgences pour suspicion de COVID-19
• Nombre d’hospitalisations après passages pour suspicion de COVID-19
• Taux de passages aux urgences pour suspicion de COVID-19 dans l’activité toutes causes codées
• Taux d’hospitalisations après passage aux urgences pour suspicion de COVID-19
• Nombre total de passages aux urgences avec un diagnostic renseigné (activité toutes causes codées)
Ces indicateurs sont déclinés par classes d’âges, sexe et à différents niveaux géographiques (national, régional et départemental), permettant un pilotage sanitaire, territoire par territoire.
Santé publique France surveille aussi les hospitalisations en s’appuyant sur le dispositif SI-VIC (Système d’information pour le suivi des victimes) et les 194 services de réanimation « sentinelle », ce qui permet la production des données suivantes :
• Nombre de patients actuellement hospitalisés pour COVID-19
• Nombre de patients actuellement en réanimation ou soins intensifs pour COVID-19
• Nombre de patients sortis guéris
• Nombre cumulé de décès de patients hospitalisés pour COVID-19 depuis le 1er mars 2020
• Principales caractéristiques des patients atteints de COVID-19 admis en service de réanimation
Enfin est suivi le nombre de décès survenus à l’hôpital. Il a été demandé à tous les hôpitaux susceptibles de recevoir des patients diagnostiqués COVID-19 de rapporter chaque jour le nombre de nouveaux décès à travers l’application développée pour le suivi intra- hospitalier des situations sanitaires exceptionnelles et activée dans le contexte de cette épidémie.
Ces chiffres sont publiés quotidiennement, et servent de base au suivi de l’évolution de l’épidémie (point de presse du DGS).
Les données issues de la médecine de ville
En ville, sont mesurées les consultations pour infections respiratoires aiguës (IRA) issues du réseau Sentinelles et le nombre quotidien et hebdomadaire de patients consultant SOS- Médecins pour suspicion de COVID-19 par le biais des visites à domicile et dans les centres de consultations 7j/7, 24h/24.
Le Réseau « Sentinelles » participe de longue date à la surveillance de la grippe mise en place par Santé publique France. Il est composé de médecins et pédiatres volontaires. Ces derniers déclarent chaque semaine le nombre de patients malades possibles COVID-19 qu’ils ont diagnostiqués par consultation ou téléconsultation et ils effectuent de plus un prélèvement naso- pharyngé sur un échantillon aléatoire de patients possiblement atteints du COVID-19. Puis, ils adressent ce prélèvement au Centre national de référence de la grippe et des virus respiratoires qui effectue la recherche du SARS-Cov-2. La surveillance clinique et virologique effectuée par le Réseau Sentinelles permet de suivre l’évolution hebdomadaire de la proportion de prélèvements positifs pour le SARS-CoV-2, de caractériser génétiquement le virus, d’évaluer le nombre de nouvelles consultations pour COVID-19 en médecine de ville et de participer à l’estimation de l’impact de l’épidémie en termes de morbidité (nombre de malades). Aujourd’hui, le Réseau Sentinelles et Santé publique France appliquent la même méthode statistique que celle utilisée pour estimer le nombre de patients atteints de la grippe saisonnière vus en consultation de médecine de ville.
Les associations SOS Médecins transmettent à Santé publique France quotidiennement des données relatives aux actes médicaux réalisés au cours de visites à domicile et dans les centres de consultations 7j/7, 24h/24. Actuellement, 62 des 63 associations SOS Médecins participent à cette surveillance. Ces données transmises permettent d’estimer le nombre quotidien et hebdomadaire de patients consultant pour une IRA et donc pour suspicion de maladie COVID-19.
Les données issues des associations SOS Médecins complètent les données issues du Réseau Sentinelles et permettent de couvrir l’ensemble du recours à un médecin généraliste de première ligne. Il s’agit donc d’un maillon essentiel de la surveillance « syndromique ».
Les données issues des collectivités de personnes âgées
Une application est en cours de développement permettant un suivi quotidien de la mortalité, dès lors qu’un EHPAD ou un autre établissement médico-social a signalé un ou plusieurs cas d’infection COVID-19 survenu dans l’établissement.
Cette application devrait être opérationnelle dans les prochains jours. Dès qu’elle le sera, l’addition des décès survenus à l’hôpital et de ceux survenus dans les EHPAD permettra de disposer d’estimations quotidiennes de la mortalité couvrant les 2 principaux lieux de survenue des décès liés au COVID-19.
Ces données quotidiennes pourront être déclinées au niveau régional et départemental.
Les bases de données nationales permettant de suivre l’évolution de la mortalité
En complément des indicateurs de mortalité collectés via le système hospitalier et les établissements de santé, Santé publique France dispose d’une surveillance de la mortalité toutes causes, s’appuyant sur les déclarations de décès transmises à l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (Insee) par environ 3 000 communes, permettant une surveillance de 77% de la mortalité nationale. La disponibilité pour cet échantillon de données historiques depuis plusieurs années permet de détecter un excès de mortalité par comparaison avec ces données historiques et, le cas échéant, d’en estimer l’ampleur. Le délai de transmission de ces données, qui peut varier (délais légaux de déclaration, contraintes techniques éventuelles, organisation des bureaux d’état civil) notamment en situation épidémique (fermeture de bureaux, confinement) nécessite d’attendre habituellement au moins 2 semaines pour estimer l’excès de mortalité survenu une semaine donnée.
Santé publique France produira une analyse sur les données acquises et non totalement complètes afin d’être en mesure d’observer précocement des signaux d’alerte. Cette source de données permet d’estimer, au niveau national, régional et départemental, l’excès de mortalité toutes causes confondues au cours de l’épidémie, quel que soit le lieu du décès. L’attribution à la maladie COVID-19 des excès observés nécessitera une analyse approfondie de l’existence d’autres facteurs susceptibles d’avoir contribué à ces excès.
Néanmoins, dans la situation épidémique actuelle et compte tenu de la gravité du COVID- 19, l’Insee a décidé de diffuser chaque semaine le nombre de décès quotidien enregistré dans chaque département, afin de contribuer en toute transparence à la mise à disposition de données pendant l’épidémie de COVID-19.
Santé publique France utilise également, pour décrire le profil des personnes décédées, les données issues des certificats de décès liés au COVID-19 qui sont certifiés électroniquement à travers l’application mise en place depuis 2008 par le CépiDC de l’Inserm et à laquelle Santé publique France a accès. Cette source de données, qui couvrait début 2019 près de 20 % des décès contient, pour chaque décès certifié, l’ensemble des informations contenues dans le volet médical du certificat de décès : causes médicales du décès, informations sociodémographiques et informations administratives.
Où peut-on trouver ces données ?
Les données sont publiées quotidiennement par Santé Publique France
Depuis le début de l’épidémie, Santé Publique France communique l’ensemble des indicateurs dont il dispose aux autorités sanitaires. Ces chiffres sont publics, et disponibles sur le site de l’Agence : https://www.santepubliquefrance.fr/ et les indicateurs accessibles via la plateforme Geodes htpps://geodes.santepubliquefrance.fr/
Au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie, les indicateurs ont évolué. Désormais, ce sont les indicateurs de la « surveillance syndromique » qui permettent d’obtenir la vision la plus claire de la situation épidémique.
Les données de l’Insee
Dans le contexte COVID-19, l’Insee diffuse chaque semaine le nombre de décès quotidien enregistré dans chaque département : https://previsualisation.insee.fr/fr/information/4470857
Publication en open data
Afin d’aller encore plus loin dans un objectif de transparence, un dashboard des données publiques a été réalisé par Santé Publique France et les équipes d’Etalab, sur une échelle nationale, régionale et départementale. Une fois les données anonymisées, elles sont rendues disponibles sur le site data.gouv.fr et sur le site gouvernement.fr à l’URL suivante: https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/carte-et-donnees