Il y a parfois des petites phrases anodines qui s’accrochent à votre mémoire. Elles peuvent même s’accompagner d’une image, d’un objet insolite ou familier, d’une odeur saisissante, d’une saveur, d’une mélodie des champs ou d’un bruit assourdissant pour résister ainsi à toutes les épreuves du temps.
« J’aimerais courir les Templiers ». Cette phrase, je ne la relie à rien, mais je m’en souviens. Pas de date précise, non, mais du jour oui, un vendredi, jour de marché, Place Foch, devant l’étal de Loïc Alméras à acheter asperges et radis. Celui-ci d’ajouter : « les Templiers, ça me tente ». Je l’avoue, j’ai douté, car l’homme devant moi, je l’avais enfermé, sans réfléchir, là tel que je le voyais, en maraîcher, ni plus, ni moins, sans supposer qu’il puisse en short et jambes nues, se parer d’un dossard et d’une tenue Templiers.
Sauf que l’air de ne pas y toucher, ce bon Caussenard rustique, malin et curieux termine quelques mois plus tard 316e au classement final. Il se trouve que cet après-midi là, au hasard de mes allées et venues le long de la Bergerie, je l’ai vu franchir la ligne d’arrivée, frais comme un goujon et heureux comme un vairon frétillant dans l’eau claire de la Dourbie. Je lui demande son temps « 10h34’… !!! ». J’ai ouvert de grands yeux, je me suis incliné pour le féliciter, au fond de moi, bien morveux d’avoir douté de ses capacités, complice de vieux clichés.
J’aurais pu rencontrer Loïc Alméras à la Tindelle, ce corps de ferme magnifiquement restauré, non loin du Sonnac, le P17 des Templiers, niché au pied de Puech Margue, là où le Causse Noir roule des hanches pour finalement tomber en culbute dans le ravin du Pont des Arcs. Un chez-soi imposant de murets, de pierres, de lauzes et de mousses que les parents René et Véronique ont remonté la sueur au front, Loïc, à la brouette, à la truelle et au mortier.
J’ai donc pris la route de la vallée, rive droite du Tarn, en surveillant sur ma gauche, cette grande bâtisse de couleur marron, point de repère donné pour situer là où habite Loïc le maraîcher, trailer à ses heures. Nous étions vendredi, je suis arrivé en pleine effervescence, Maguelone au téléphone, Sylvie à l’ordi, David et Loïc les bras chargés s’agitant dans ce petit cellier voûté bien encombré de cartons, sacs, cagettes remplis de victuailles, pains, viandes, pommes, légumes collectés auprès des commerçants et producteurs locaux et destinés à être livrés aux habitants de Pailhas et de la Cresse.
J’ai attendu que les voitures soient chargées dans la bonne humeur pour que Loïc me raconte cette petite aventure collective née du confinement. David m’appela. « Tu penses que l’on peut faire quelque chose comme par exemple organiser l’approvisionnement sur le village de La Cresse ? ». Un petit groupe de bénévoles informel s’est ainsi organisé, prise des commandes les lundis et jeudis et livraisons le lendemain. Chacun étale ses compétences, un outil informatique est créé, un flyer édité, une page Facebook publiée avec rapidement une idée bourgeonnante, « celle de créer une association, Entraide La Cresse, notamment pour favoriser les échanges entre les Cressois et les néos installés sur la commune ».
Les voitures se sont envolées comme une nuée de pinsons et de chardonnerets. Nous sommes montés au-dessus de la maison aux pieds d’une belle plantation. Des pêchers et des cerisiers en fleurs s’étalent sur cette forte pente comme une garnison bien ordonnée et drapée d’un blanc immaculé. Des bouteilles d’un rouge vif se dandinent, accrochées à certaines branches apportant une surprenante touche de couleur dans ce tableau impressionniste. « Ce sont des pièges à mouches drosophila suzukii à base de vin rouge, de vinaigre de cidre et d’eau, assortis d’une goutte de lessive ». Loïc est rentré depuis peu dans un programme de reconversion en bio pour s’extraire d’une production classique qui fait débat et polémique dans la vallée. « J’en suis au tout début de cette expérimentation. Ensuite, nous aurons des traitements à base d’ail, puis à base de talc. Mais au final, je ne suis absolument pas certain de pouvoir récolter. Le risque, je l’ai pris, car je ne suis pas en monoproduction ».
En ces temps de confinement, la vie de Loïc n’a guère été chahutée, il l’admet. « Seul grand changement, je ne peux plus aller à la pêche à la truite ». Le matin, il grimpe à La Tindelle pour soigner son troupeau de brebis confiné dans la bergerie puis il enchaîne avec une endurance naturelle bien affirmée par un marathon quotidien, dans les champs, dans son jardin, dans son verger enfin. Il précise : « là, j’ai débuté une clôture autour de mes pommiers. J’aurai des volailles, elles viendront manger le carpocapse, le ver de la pomme ». Sa seule interrogation, sera-t-il en mesure, dans trois semaines, de vendre ses asperges ? Puis sera-t-il autorisé à ouvrir sa table d’hôtes pour servir son traditionnel menu à base d’asperges et de mouton grillé ?
Loïc Alméras est un homme de terroir partagé entre le causse et la vallée avec dans son jeu 7 cartes, 7 permis de vivre de la terre, de son savoir-faire, Loïc en agriculteur, éleveur, arboriculteur, maraîcher, charcutier, restaurateur et gérant du gîte de La Tindelle. Mais pour mieux le cerner que répond-il lorsqu’il doit se définir ? « Paysan tout simplement ». Une petite phrase anodine à se souvenir !
Gilles Bertrand
gillesbertrand-photography.com