Ce matin, je me suis levé tôt. C’était Bagdad, les pensées, le moral en chicane. L’air était frais, le soleil déjà en échappée belle, des oiseaux matinaux à tire-d’aile, j’ai pris mon sac, mes gants, mon bonnet et j’ai marché pour m’apaiser. Voilà à quoi j’ai pensé.
Comme organisateur de courses à pied, je pense avoir été un bon petit soldat.
Tout au moins je l’espère, même si parfois j’ai dû commettre des erreurs et des faux pas.
J’ai tracé une route, des chemins, je suis heureux d’avoir été ainsi suivi sur les Templiers, sur l’Aubrac, sur le Viaduc, après avoir posé en toute simplicité des balises, des jalons de vie, de plaisir et de passion.
J’ai payé ma TVA, mes impôts, mes taxes comme il se devait,
Tout en fournissant mes comptes dans les bons délais.
J’ai chiné, j’ai fouiné, j’ai ferraillé sur ces causses. Je pense avoir respecté comme il se devait cet univers, cette terre que j’ai caressée, époussetée, même si parfois j’ai été violemment pris à partie et critiqué. Mais qu’importe.
Je pense m’être plié aux réglementations, à ces chartes, cahiers des charges, plans de sécurité, règles environnementales, dossiers sur dossiers que sais-je encore… sans vraiment renâcler même si parfois nous avons dû faire face à l’incompréhension, au mépris, à l’autoritarisme, à la mesquinerie. Nous avons courbé l’échine, nous avons résisté.
Comme chef d’entreprise, je pense avoir été un bon petit soldat.
Tout au moins je l’espère même si parfois j’ai dû commettre des erreurs et des faux pas.
Comme éditeur, journaliste et photographe, j’ai ouvert des portes dans le monde que je traversais. J’ai eu plaisir à créer dans ce cercle privilégié, de la curiosité, de l’information, du débat, de la connaissance, mais aussi de la richesse et de l’emploi.
J’ai payé ma TVA, mes impôts, mes taxes comme il se devait,
Tout en fournissant mes comptes dans les bons délais.
J’ai cherché à innover, à franchir des caps, trois décades, à supporter des transitions, sur le front de certaines révolutions comme celle de l’internet qui aurait pu détruire notre instrument de travail. Nous avons courbé l’échine, nous avons résisté.
Comme citoyen de ma ville, de mon pays, je pense avoir été un bon petit soldat.
Tout au moins je l’espère, même si parfois j’ai dû commettre des erreurs et des faux pas.
J’ai toujours voté docilement en espérant naïvement des jours meilleurs.
Aujourd’hui, je reste le plus possible dans ma tanière et je respecte au mieux les gestes barrières.
Je me suis toujours soumis aux réglementations, payer mes impôts cela va de soi, rouler doucement, à 80 s’il le faut, pourquoi pas ! quel débat ! Ne pas boire ou peu, trier mes déchets, ne plus téléphoner au volant, ni même sur mon vélo (j’essaie d’être écocitoyen… ça fait bobo parigot !), ne plus faire brûler dans mon jardin branches mortes et herbes sèches…que sais-je encore ? Ah oui, depuis peu, je respecte même les feux rouges pour aller au bureau en vélo… La liste est si longue de mesures, de règles, de contraintes, de lois dictant notre quotidien. Sans même prendre garde, nous en oublions les contraintes, elles deviennent de simples habitudes de vie. Nous sommes docilement soumis.
Mais aujourd’hui, le bon petit soldat est en colère. Je ne dis pas cela à la légère. Je l’avoue, j’ai envie de déchirer ma carte d’électeur. J’ai envie de défoncer les barrières d’autoroute et rouler à 180 sur le Viaduc. J’ai envie d’organiser un concert de Neil Young à rendre insomniaque, régiments d’infanterie et Occitanie réunis. J’ai envie d’organiser une course libre, sans dossier préfectoral, sans contraintes, là où je veux et comme je veux. Je dis bien libre. J’ai tout simplement envie de ne plus me soumettre à ce cloaque, j’ai envie de vider mon sac.
Je me sens trahi par cette monarchie d’élus, d’énarques, de conseillers de l’ombre, par cette monarchie de consultants, d’experts, de grands savants et de lobbyistes, par cette monarchie de chefs de cabinet, de prétendants et de roitelets de la République, par cette monarchie de gouvernants imprévoyants, inconséquents et irrévérencieux devant la douleur de ceux et celles touchés dans leurs chairs.
Depuis le début du confinement, je croise, je côtoie, j’écoute des hommes, des femmes, dans le doute, parfois profond, certains, certaines un genou déjà à terre, au bord du cratère. Je marche ainsi de rue en rue, sur les quais, aux abords du marché. De mon épaule, je frôle des grilles cadenassées, des rideaux baissés, des écriteaux froissés. Parfois, je retiens mon souffle, le nez collé à des vitrines aux éclats délavées. Dans la pénombre, je vois des mannequins fantomatiques nus et blancs, des étals vidés soigneusement recouverts de draps et de torchons blancs. Mais jusqu’à quand ?
Pourtant, personne n’a fauté… !? Ces petits soldats de l’économie, du social, de l’associatif, du spectacle, du sport, du bien-être… Seront-ils un jour écoutés et enfin respectés ?
Gilles Bertrand
gillesbertrand-photography.com
Texte rédigé le lundi 6 avril et photographies réalisées dans les rues de Millau lors de la troisième semaine du confinement.