Millau-Vid. Un M en signe de résistance

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© gillesbertrand-photography.com

Hier, ce fut Pâques. Et Pâques sans chocolat, c’est comme Le Tour de France sans maillot jaune. Alors, j’ai mangé une tablette de chocolat. Mais ce ne fut pas suffisant. Alors, j’ai ouvert vigoureusement le frigo, la porte a tremblé, les bouteilles ont tinté. J‘ai sorti sauvagement un pot de Nocciolata, une pâte à tartiner à base de cacao et noisettes. Et goulûment, j’ai tapé dedans, la cuillère en marteau piqueur, j’ai touillé, j’ai creusé, j’ai léché, jusqu’à l’écœurement. Voilà c’était Pâques confiné, sans poules, sans lapins, sans poissons moulés enturbannés, cette petite ménagerie docile prête à croquer que l’on cache grossièrement au pied d’un laurier pour déclencher gambades et aubades pour petits enfants gourmands.

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Ce matin, c’était lundi de Pâques, le huitième jour de la semaine sainte, encore une semaine contrainte, le huitième jour de la semaine radieuse, encore une semaine contagieuse. Avant de partir, j’ai compté, nous étions le vingt-huitième jour du confinement, nous étions donc rentrés dans le temps long.

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De si bon matin, la Zone Industrielle du Fialet est silencieuse. Certes l’A75 est vide, certes la D911 est vide, tout juste un camion de lait ronronnant en fonçant vers St-Beau ? Vezins ? Ou Pont-de-Salars ?… Allez savoir ? Mais ne forçons pas le trait, ce serait travestir la vérité. Jour férié avant tout, jour de convalescence forcée, c’est calme et y’a rien de plus normal. Seuls les camions destinés au ramassage des ordures ménagères rentrent au bercail.

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Petit tour et circonvolution dans cette mosaïque de cubes et de poutrelles… Jeu de l’oie tortueux… Albigès, Routage Service, Combes, Austruy, Pac List, Auglans, Air Medic, en sommeil, aux aguets, en attendant, à fleur de peau, le grand réveil tant espéré. Avec ces mauvaises surprises à craindre malgré toutes les expertises et ces doubles peines à redouter sans même tripler la mise dès la reprise.

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Il est permis de rêver que les camions repartent, feuilles de mission remplies à bloc, chauffeurs à bloc, sous l’œil du contremaître à bloc, la benne chargée de ciment, de poutres, de boiseries vitrées ou non, de charpentes et de tentes. Le soleil est puissant et rasant, il joue des cymbales sur les parois d’alu et de métal. C’est aveuglant.

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Au retour, passé la cuisine centrale, il y a sur la droite, deux poteaux cimentés reliés par une grille. Ils se devinent dans la végétation et attirent le regard. Je me suis garé, je me suis glissé, je suis rentré en suivant ce qui était autrefois la petite route d’accès de l’ancienne école du Fialet, accueillant les enfants de l’IME. Il faut marcher sur les ronces, des branches cassées, des coquilles de noix concassées pour rejoindre une clôture mal jointe. L’herbe a poussé, il n’y a pas de rosée, en rampant, on accède ainsi à la cour de ces deux préfabriqués abandonnés sertis de grands arbres. Des iris violets en embuscade, de vieilles chaises dévorées par les épineux, une balançoire en pénitence, sous un appentis, un compteur électrique au grand vent, dans la première salle, des rideaux aux couleurs délavées, ces vieux bungalows s’effritent et s’écaillent, le temps des mauvaises présages.
Dans l’une des salles illuminées d’une belle lumière irradiée, au centre, deux tables isolées, plus loin, sur la gauche, au mur, une guirlande de Noël accrochée déclinant un M presque parfait.

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Depuis quand résiste-t-elle au silence ? J’aurais aimé rentrer, me mettre sur la pointe des pieds pour la décrocher puis l’épousseter pour la poser symboliquement en spirale comme une gerbe qui ne flétrit pas. Au pied d’un grand monument en signe de résistance pour dire simplement non à toutes les insolences.

Gilles Bertrand
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Texte et photographies réalisés le lundi 13 avril 2020 au 28e jour du confinement dans la zone industrielle des Fialets, à Millau.

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