Millau-Vid. « Je t’apporte un morceau de chou »

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© gillesbertrand-photography.com

La lumière est toujours là. Le Larzac des champs, à contre-courant, le Larzac des lavognes, des nobles besognes. Le Larzac de brume, de baumes et de buissières.

Pas étonnant que les hommes, les femmes en soient fiers de leur plateau d’argent, ciselé, tailladé, rampant, de leur Rajal couleur pourpre sous le vent d’autan. Guère étonnant que le vent y trouve grâce, à tournoyer, à louvoyer, à jouer les garces. Sans muselière, sans porte-voix, en aboyant, en hurlant.

Le Larzac peut grincer, chantonner, siffler à nos oreilles. Il peut s’éteindre, briller, s’effacer, à jamais pareil. La lumière est toujours là.

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Dans cette buissière, elle tire des lignes, elle fuse, elle perce le mur végétal. Elle ricoche sur la pierre, elle rebondit sur ces racines en souffrance, sur ces troncs noueux, parfois coudés, parfois déliés.

Elle est opaque, compacte, sombre comme un tombeau. Elle est puits de lumière, puits de fraîcheur, puits de silence.

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Le vent la caresse par la cime, le vent s’y casse les dents. Elle est pénétrable, impénétrable lorsque l’homme l’abandonne. Elle s’enfuit, droite, puis elle ondule, elle s’épaissit soudain, elle s’éclaircit, puis plus rien.

Seules quelques roches noires alignées, quelques clapasses ajustés, empilés, triés sur le volet. Puis le tunnel se reforme, en ovale, en ogive, en obus. A nouveau le sombre, l’obscur, à nouveau une enfilade, une chicane. Puis l’espace, comme une offrande. Soudain, un vol de moineaux, ils s’enfuient, ils piaillent, la buissière, quelque soit le chemin, on reste toujours pèlerin.

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En ce 30e jour du confinement, je l’avoue, je n’avais ni l’âme d’un pèlerin ni la foi d’un pénitent, dans l’errance, de buissière en buissière, à la conquête du peu, à marcher sur cette terre crissante et grinçante sous le pied.

Sur la route des fermes reliant Potensac à Montredon, Saint-Martin-du-Larzac est posé là, sur ce grand plat, sur cette table dénudée entre le Serre du Cocut au nord et le Roque Caylus en sud. Une croix imposante dans son triangle de verdure indique l’entrée. Au fond de cette belle allée, sur la droite, une ferme magnifiquement restaurée, son four à pain et sa bergerie voûtée longue et fuselée comme un sous-marin. Plus loin, mais si proche, le hameau est grand comme un mouchoir de poche, deux habitations, elles aussi restaurées, l’ancienne école et l’ancien presbytère. Puis en s’engageant dans une petite buissière, l’église se devine. La porte est ouverte, je suis rentré. Lumière sombre, lumière filtrée, domptée, toute la puissance du soleil maîtrisée en un jeu de bulles de verre encastrées, une « danse mérovingienne * » pour apaiser, adoucir, assagir. Je feuillette les vieux numéros de « Garderem Lo Larzac » pliés en rangs serrés. Je prends le temps de lire «la vie de Clémentine », une jeune agricultrice nouvellement installée à Montredon. L’article se termine ainsi « Ici, je m’y vois pour longtemps ». Ce n’est pas sans rappeler le parcours de Chantal Alvergnas arrivée, quant à elle, en 1982 à Saint-Martin-du-Larzac, aujourd’hui grande témoin de cette lutte et de cette agriculture raisonnée et solidaire. Je pose 6 euros dans une corbeille, je choisis deux cartes postales.

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En sortant, je toque à la porte de Michèle Vincent. Elle fut autrefois la bibliothécaire de la ville de Millau. Elle vit ici depuis 12 ans, dans ce qui fut autrefois l’école du village puis lors de la lutte du Larzac, le lieu de réunion des comités de soutien à ce mouvement de contestation à l’agrandissement du camp militaire. C’est ici même que les grands rassemblements de 1973 et 1974 furent réfléchis, élaborés et mis sur pied, véritables « Woodstock » pour reprendre l’expression de José Bové.

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Michèle Vincent allait sortir pour tondre un carré d’herbe printanière, la première coupe, je l’interromps dans son élan. Ma venue surprend, ma question est simple : « Le confinement dans un hameau de sept habitants, c’est quoi finalement ? ». Les repas amicaux ont été supprimés, mais l’entraide demeure s’il le faut. Avant Pâques, les toiles d’araignée en apesanteur dans les recoins des deux transepts de l’église ont été pourchassées et Thomas, le voisin, a changé la corde de la cloche pour que Pâques puisse être célébré comme il se devait. « Je suis très attachée au patrimoine et je me suis laissée prendre par ce lieu sacré. Il y a une force, une énergie ». Puis elle souligne avec une pointe d’humour autant dans la voix que dans le regard « pour autant, suis-je croyante ? Je ne me suis jamais posé cette question, je ne me suis jamais torturée pour trouver la réponse ». Ainsi, chaque matin, à l’heure de l’angélus… enfin presque… en sacristine dévouée, elle ouvre les portes de l’église, le soir, au soleil couchant lorsque la lumière se pose en douceur sur le cœur de la nef, elle referme ce lieu de culte.

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Une silhouette se découpe dans l’embrasure de la porte, c’est Patrick, un autre voisin, il toque à la porte « je t’apporte un bout de chou ». Michèle de répondre : « si tu peux m’aider cet après-midi pour mettre mon tuyau d’arrosage ». Le matin, celle qui a donné le goût de la lecture à deux générations de petits Millavois sous la verrière du CREA, s’est rendue au petit matin au village de Nant pour remplir le panier de légumes chez les Vidal, maraîchers bio dans la vallée de la Dourbie et du Durzon « nous avions fait une liste commune ». Comme déléguée de quartier, Saint-Martin-du-Larzac est rattachée à la commune de Millau, dès les premiers jours du confinement, elle est intervenue auprès de la mairie pour que les producteurs locaux du plateau ne soient pas pénalisés suite à la fermeture du marché hebdomadaire. Dans un premier temps, elle reçoit deux réponses négatives. Au final, une autorisation est accordée pour trois historiques paysans du Larzac, les Castelbou du Truel, Paule la fermière de Lamayou et Benoît éleveur de volailles au Sot.

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A Saint-Martin-du-Larzac, la vie entre voisins s’écoule ainsi, jardinage, papotage par-dessus la haie, lecture et DVD. Celle qui fut engagée sur la liste d’Emmanuelle Gazel pour les récentes Municipales raconte « j’attends la fin du confinement. J’ai appris qu’une coopérative de production allait rééditer les films réalisés par Gérard Guérin et Gérard Mordillat, six fois une heure d’entretiens avec des paysannes du Larzac. Ces films qui on un vrai caractère ethnographique avaient été diffusés en 1979 dans « Aujourd’hui Madame », une émission d’Eliane Victor ».

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Cette maison respire le livre, les intrigues, les rues sombres, les lames luisantes et les fleuves noirs. Elle est fan de polar. Quel est donc l’ouvrage qui allonge ses soirées ? « L’Offrande Grecque » de Philipp Kerr, cet auteur écossais situant ces romans dans l’Allemagne nazie.

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Le ciel s’est dégagé, des nuages courent en ordre rangé comme une cavalerie de montgolfières. Je laisse Michèle Vincent à ses intrigues dans le sillage de l’inspecteur Bernie Gunther, le héros du polar. En sortant, je croise Daniel, il loge dans un petit studio au pied de la ferme de Chantal. Le vent souffle fort, nous parlons à bonne distance. Le confinement, comme ses voisins, ce retraité qui fut autrefois formateur pour des métiers techniques auprès de jeunes, affirme « ça ne change pas grand-chose. Nous sommes des privilégiés. C’est pas comme en bas ». Mais il l’avoue « parfois, je souffre de solitude, car j’ai toujours vécu avec du monde ». Dans la bergerie, ce retraité s’occupe des agnelles, matin et soir et de son poulailler caché entre deux bordées de buis « j’ai un coq, je vais finir par le tuer, il est trop méchant ». Il s’interrompt pour parler, il lève la tête au ciel, immobile. Au-dessus de nous, en stationnaire, un vautour qui a pris un ascendant. Puis, sans un battement d’ailes, dans un ciel en offrande, le Larzac en royaume, il tourne, il tourne, il plane, il plane. L’homme dit simplement « c’est beau ».

Gilles Bertrand
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« Danse mérovingienne », expression utilisée par Claude Baillon le maître verrier qui a réalisé les vitraux de l’église de Saint-Martin du Larzac. Le début du texte (mais remanié) avait été publié en 2016 dans le Magazine des Templiers.

Texte et photographies réalisées à Saint Martin du Larzac, commune de Millau, au 30e jour du confinement.

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