Le Tarn et la Dourbie, rivières flottables

Marc Parguel
Marc Parguel
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Le Tarn et la Dourbie étaient classés depuis des temps immémoriaux comme rivières flottables. C’est à Millau que se concentraient tous les bois venus de l’amont par ces rivières. Ce mode de transport de masse, le flottage compensait la très grande déficience des voies de communication terrestres.

Comme nous le rappelle Jacques Cros-Saussol :

Jadis, à l’époque lointaine gallo-romaine, les potiers de la Graufesenque demandaient à la rivière de porter jusqu’au pied de leurs fours ce combustible coupé en amont. D’où l’apparition d’un certain nombre de problèmes spécifiques au flottage : des conflits avec les meuniers propriétaires des digues sur la Dourbie, des litiges avec les riverains, chaque barrage freinant le flot du bois. Il faut donc persuader les meuniers de laisser ouvert un pertuis (passe) pour permettre aux bûches de continuer leur route. (Quand la ville était un port de flottage, Midi Libre, 28 juillet 2008)

Les gorges de la Dourbie en 1908.

En 1492, Millau voulant rebâtir la maison commune va chercher le bois de charpente dans la forêt de la Salvage. Les bûcherons font glisser les troncs par une draille jusqu’à la Dourbie, où mis à l’eau, ils sont conduits jusqu’au rivage de la Grave (Jules Artières).

Albert Carrière signale « des lenhas que venon per Dorbia ». Pellegry seigneur de la Roque demandait « deux gros…per cada menada de lenha à la payssiera de la Roca ». Il renonce à ce droit de péage le 21 octobre 1465 (Notes personnelles d’Albert Carrière, Inédit). Vers la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, le flottage des bois est un moyen de transport fréquemment mentionné, source encore de nombreuses réglementations et observations.

C’est ainsi qu’en 1779, il nous est indiqué « que le nommé Teulon Marc, de cette ville, ayant fait flotter du bois sur la rivière de la Dourbie, il l’a empilé sur les rivages d’une manière à tromper les acheteurs en transgressant l’ordonnance réglementant la construction des buchers de bois de chauffage à vendre ».

En apprenant ceci les consuls se seraient transportés avec le greffier secrétaire et M. Descuret procureur du roi audit rivage de la Dourbie où ils constatent que de nombreuses canes de bois avaient beaucoup de « verides » « et notamment une seule comme isolée qui se trouve sur le bord de la Dourbie. Sur quoi les officiers municipaux ont confisqué le bûcher d’une canne de bois qui se trouve seul isolé sur les bords de la Dourbie appartenant audit Teulon avec inhibitions et défense de récidiver et d’enfreindre l’ordonnance. Lui enjoignons en outre de ranger les autres bûchers qui se trouve sur ledit rivage dans le délai de trois jours sous les peines portées par ladite ordonnance (Registre des délibérations de Millau, séance du 17 septembre 1779).

Sur la Dourbie (5 août 2009).

Cet usage du bois flotté était utilisé uniquement par des marchands en gros de Millau, qui achetait le bois sur place, et utilisait ce moyen économique pour l’acheminer à Millau. La réception de ces troncs d’arbre nécessitait sur la rivière, la construction d’un ouvrage destiné à arrêter les troncs, appelé paladier. La construction de cet ouvrage apporte quelquefois des difficultés imprévues en particulier en 1796.

Lors de la séance du conseil municipal du 5 messidor an IV (juin 1796), « un membre a dit, que les citoyens Louis Celles, et Etienne Caldesaigues, teinturiers de cette commune se sont permis de construire un paladier sur la rivière de Dourbie, près le Pont neuf, placé sur le Tarn, pour y faire aborder du bois flotté…que cette entreprise est un attentat à la propriété publique parce qu’elle va porter les eaux de la Dourbie, sur la chaussée du pont précité, qu’elle les jettera dans le Tarn, en traversant cette chaussée et laissera le pont isolé au milieu des eaux. Qu’indépendamment de cela, le chemin du lieu du Monna et d’autres endroits limitrophes, qui communiquent directement avec le pont, va être totalement intercepté… Que lesdits Caldesaigues et Celles, sans considérer les dommages qu’ils vont ainsi porter, non seulement aux propriétaires riverains, mais aussi à un très grand nombre d’autres citoyens qui ne peuvent se dispenser du passage du pont pour l’exploitation de leurs possessions, continuent leur espèce de nouvel œuvre dangereux pour la chose publique puisque la commune de Millau tire tout le bois de chauffage de ses fours dudit lieu du Monna, qu’il n’existe aucun abordage sur la rive droite de la Dourbie vis-à-vis ledit paladier pour retirer le bois flotté qu’on y amènera et que ce défaut va nécessiter Celles et Caldesaigues d’y en pratiquer un sur le fonds des propriétaires riverains, qu’ils n’ont pas daigné consulter, construction qui les privera de leurs biens dans peu de temps… Nos deux hommes pourrons néanmoins d’après l’arrêté dressé par la suite « construire un paladier sur la rivière de la Dourbie pour le flottage de leurs bois, mais seulement à l’endroit qui leur sera indiqué par le citoyen Rouyer ingénieur des Ponts et Chaussées et dans les proportions qu’il déterminera » (Registres des délibérations de Millau, séance du 5 messidor an IV)

Jonction de la Dourbie et du Tarn en 1907.

Le bois flotté, assure certes un moyen de transport sans gros frais, mais non sans risque. Un document du 25 vendémiaire an X (octobre 1801) nous relate une de ces mésaventures survenues au sieur Victor André de La Roque Sainte Marguerite au cours d’une inondation :

« Vu la pétition du citoyen Victor André habitant de la commune de la Roque Sainte Marguerite tendant à obtenir du Gouvernement une indemnité non proportionnée qui se porte à plus de 2400 francs de la perte qu’il vient d’éprouver d’environ 150 cannes de bois qu’il faisait flotter pour l’approvisionnement de Millau, et qui lui fut emporté presque en totalité par le débordement et crue de la rivière de la Dourbie survenus le 30 fructidor dernier. Le maire de la commune de Millau observe qu’à l’époque ou le pétitionnaire avait son bois dans la rivière pour le faire flotter jusqu’à Millau, il y eut une inondation qui lui en emporta une grande partie, que sur l’invitation qu’en fit le pétitionnaire, le commissaire de police fit publier un ordre à tous les citoyens qui se porteront au bord de la rivière pour arrêter le bois qu’elle charriait de le rendre au pétitionnaire qui leur payerait leur peine, que cet ordre ne produisit presque rien en faveur du citoyen Victor André, qui d’après les renseignements qu’il a pris, il y a eu fort peu de bois d’arrêté dans la commune de Millau, mais qu’il ne peut pas savoir si le pétitionnaire n’a pas été plus heureux dans les autres communes comme dans celle du Monna et qu’il ne peut donner aucun renseignement sur la quantité de bois que le pétitionnaire faisait flotter. Ainsi observé à Millau le 25 vendémiaire an X républicain. » (Procès Verbaux et avis de la commune de Millau Registre 2D-36).

Le professeur Philippe Delvit rappelle que Millau fut, jusqu’à la fin de la Restauration (1815-1830), « le port d’aval d’une importante activité dont il reste à vrai dire fort peu de traces ». Ce n’était pas un port fluvial (jamais il ne fut ouvert à la navigation avalante ou descendante), mais bien un port de flottage. Le 2 juillet 1824, le sous-préfet d’alors relève que « depuis de longues années, l’approvisionnement du bois à brûler de la ville de Millau se fait par le moyen du flottage sur les rivières du Tarn, de la Jonte et de la Dourbie… »

Avec l’ouverture des chemins et des routes dans nos vallées au milieu du XIXe siècle s’arrêta le temps des bois flottés.

En 1943, seuls quelques bateaux animaient la rivière en assurant la traversée de la Dourbie dans la paroisse du Monna, une quinzaine tout au plus. Quelques gués existaient à Félix, Plaisance, Brefuel, Navadou, Riouferrand, le Gazel et Laumet. Ce temps-là est révolu.

Marc Parguel

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