L’habitude d’une relation entre un cours d’eau, le Tarn, devenu objet, et l’homme son utilisateur, était enracinée depuis de très nombreuses décennies.
À présent, le temps de l’oubli est révolu. La mémoire se nourrit du souvenir des hommes et des femmes ; elle est présente dans les esprits. Aussi, doit-elle être mise à plat, rassemblée, ordonnée et présentée. Les conteurs retrouvaient un plaisir à évoquer leur vie, leurs souvenirs, ne sentaient-ils pas confusément qu’ils sauvegardaient leurs propres mémoires ?
Ils mesuraient ainsi la distance qui les séparait du présent, souvent vécu comme un temps de bouleversement et de rupture. Car si les conteurs avaient protégé tout un répertoire de récits, de légendes, voire même de simples mémorats, ils n’avaient en réalité, plus guère l’occasion de les faire partager à leur entourage.
Les cadres sociaux qui perpétuaient et enrichissaient leur savoir, s’étaient en effet estompés ou totalement transformés. Les veillées d’hiver, lieu essentiel de transmission des récits, événements, contes et légendes, n’existaient plus depuis l’après-guerre, tout comme les points de rencontre traditionnel : autour de la fontaine de la place publique, chez le maréchal ferrant, dans les caves, les étables ou bien autour du four communal où les hommes et les femmes alimentaient la chronique villageoise.
Aujourd’hui, seuls les cafés, l’épicerie, la boulangerie ou bien la boucherie et le jeu de pétanque sont restés lieux de communication. Le club du 3e âge joue un rôle de conservatoire de la mémoire.
je citerai ces quelques lignes de J. Artières extraites de « Millau à travers les siècles » :
« Et n’est-ce pas en effet un vrai plaisir de l’âme, en même temps un acte d’amour filial de vivre par la pensée de la vie de nos pères, de nous réjouir de leurs joies et de compatir à leurs souffrances ? C’est à ces récits du temps passé que, dans ses loisirs, le citoyen aime à retremper sa vertu ; la maison de ses pères, son église, son village natal, sa patrie toute entière s’embellit alors pour lui de touchants souvenirs, de nobles pensées. Quoi de plus utile enfin ?
Chaque événement porte avec lui un enseignement moral : à nous de savoir l’en dégager et d’en profiter. »
Néanmoins, les crues se sont montrées et se montreront dangereuses et dévastatrices. Les grandes « tarnadas » d’automne ou de printemps, qui ravagent les berges, déracinent les arbres, noient les caves et les maisons. Il restera toujours la crainte pour les habitants d’Aguessac.
Les sinistres que fait éprouver cette rivière dans ces crues anormales sont sensibles sur le long de nos rivages. Plusieurs fois, le Tarn s’est creusé de nouveaux lits, a formé des îles et dentelé les rivages.
Les riverains du Tarn ont appris à se méfier de cette rivière. La liste des crues est longue comme en témoignent, les traits de crues gravés dans la pierre des maisons.
Rue de la plume et des rue des Jardins, les hauteurs des crues sont gravées dans la pierre.©DR.
Si le Tarn donne la fraîcheur, le mouvement et la vie, il occasionne quelquefois des ravages désastreux. Profondément encaissé dans un lit escarpé, resserré par des montagnes à rapides anguleux, gonflé par de fortes rafales de vent d’ouest et de sud, mues par une pente extrême, le Tarn reçoit au printemps les mille ruisseaux des montagnes, grossi par la fonte des neiges, en automne les pluies abondantes dues aux épisodes cévenols. Alors les eaux mugissantes dédaignent les rives fleuries, emportent les digues, déracinent les arbres, renversent les habitations, se répandent au loin en couvrant les campagnes de deuil et de tristesse.
Les notes chronologiques des crues enregistrées sur Aguessac
Elles nous montrent que le Tarn peut se mettre en crue presque chaque mois de l’année. (inventaire des crues connues par les récits, la référence au livre et les registres de délibérations communales)
- Janvier : 1758, 1856, 1889, 1897, 1919, 1924, 1930, 1948, 1960, 1970, 1971, 1972, 1975, 1988, 1996
- Février : 1808, 1867, 1880, 1881, 1885, 1892, 1912, 1922, 1925, 1950, 1955, 1967
- Mars : 1812, 1843, 1895, 1901, 1904, 1909, 1911, 1916, 1920, 1930, 1936, 1946, 1947, 1954, 1956, 1974, 1978, 1991
- Avril : 1555, 1686, 1848, 1884, 1918, 1921, 1957, 1983, 1993
- Mai : 1894, 1913, 1917, 1932, 1940, 1952, 1964, 1985, 1999
- Juin : 2020
- Juillet : /
- Août : 1580, 1677, 1697, 1901
- Septembre : 1324, 1499, 1581, 1657, 1663, 1766, 1833, 1866, 1875, 1890, 1900, 1933, 1965, 1980, 1992
- Octobre : 1351, 1499, 1685, 1705, 1868, 1872, 1886, 1891, 1893, 1896, 1907, 1920, 1929, 1937, 1995
- Novembre : 1705, 1825, 1887, 1892, 1898, 1899, 1902, 1905, 1906, 1914, 1923, 1926, 1927, 1928, 1931, 1934, 1935, 1941, 1949, 1951, 1961, 1962, 1963, 1966, 1968, 1982, 1986, 1989, 1994, 2003, 2011, 2014, 2019
- Décembre : 1864, 1882, 1888, 1903, 1908, 1910, 1915, 1933, 1938, 1939, 1944, 1945, 1953, 1958, 1959, 1973, 1981, 1984, 1998
Jusqu’à ce jour, les mois de juin et juillet avaient été épargnés, mais cette nuit du 11 au 12 juin 2020 nous a montré le contraire. Nous devons rester humbles face à ce phénomène climatique, en tirer tous les enseignements et le garder à jamais gravé dans nos mémoires.
Claude Trémolet