Millau. Le « Bar Albert » une longue histoire de 103 ans

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Pour inaugurer leur nouvelle terrasse originale en bois de hêtre, Françoise et Laëtitia, propriétaire du « Bar Albert », probablement le bar de quartier le plus ancien de la ville, avaient convié leurs clients et amis ainsi que pour retracer l’historique de l’affaire et la vie dans le quartier des décennies écoulées, celui qui a grandi dans ce berceau de la famille Guibert, jusqu’à l’âge de 20 ans, Jean-Paul, qui a relaté les pages écrites depuis la création du commerce, en présence de l’une de ses deux sœurs, Renée.

(Photo : © Gérard Rouquette)

« C’est notre grand-mère, Marie Guibert, qui a ouvert une épicerie-buvette en 1917, il y a 103 ans, raconte Jean-Paul Guibert. C’était en pleine guerre, elle venait de perdre son mari 3 ans auparavant et se retrouvait veuve avec 4 enfants, dont notre père Albert, alors âgé de 14 ans. Du courage, il lui en a fallu, d’autant que juste un an après l’ouverture, elle a perdu son fils ainé, mort pour la France, à 24 ans, en octobre 1918, quelques jours avant l’armistice. »

Le bar disposait d’un coin cuisine, la buvette proposait aussi des collations et l’épicerie dans la salle attenante vendait également des produits maraîchers.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Chronologiquement, quelques étapes clés qui ont marqué la vie du commerce :

  • 1917 : création du fonds de commerce, sous le nom d’Epicerie Veuve Guibert
  • 1923 : acquisition des murs d’habitation et commerciaux par Marie Guibert
  • 1933 : cession du fonds de commerce à Albert Guibert, puis des murs d’habitation et commerciaux en 1950. è A compter de 1933, c’est surtout notre maman qui tenait le commerce devenu depuis le « Bar Albert » et au décès de notre mère en 1958, c’est notre père, qui travaillait jusqu’alors à l’extérieur qui a poursuivi l’activité, entre temps notre grand-mère qui avait créé le fonds, était décédée en 1956 », souligne Jean-Paul Guibert.
  • 1965, Albert Guibert avait 62 ans, sa fille aînée Francine était déjà mariée et c’est Renée et son mari qui ont pris le bar en location-gérance jusqu’en 73, puis un couple millavois, les Raymond, ont pris le relais, toujours en location-gérance, de 73 à 75, année de la vente du commerce et des murs par Albert Guibert aux Sénégas.
  • Enfin, c’est en 1984 que Françoise a acquis l’affaire exploitée depuis maintenant 36 ans, avec aujourd’hui la complicité de sa fille Laëtitia.

En fait, en 103 ans, depuis la création, il n’y aura eu que trois propriétaires, la famille Guibert, qui l’aura conservé 60 ans, les Sénégas et les exploitants actuels.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Et Jean-Paul Guibert de poursuivre sur l’environnement et la vie du quartier au cours de ces années passées :

« Le bar était alors, en quelque sorte, l’annexe de la Maison du Peuple, qui existait depuis 1903, notamment les soirs de bals, avant que la salle des fêtes ne prenne le relais à partir de 1970.

De l’ambiance il y en avait et jusqu’à 3 h du matin. Entre deux danses, la jeunesse remplissait le bar, nous avions une autorisation de rester ouverts jusqu’au milieu de la nuit.
Les bals, mais aussi les quines, car le bar ainsi que celui de La Poste, des Colonnes et du Tour de Ville étaient reliés à la Maison du Peuple et comme on pouvait fumer à l’intérieur, autant dire que dans la petite salle archicomble, on distinguait à peine les numéros sur les cartons.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Les soirées proposées par les associations locales (Hirondelle Millavoise, Amis des Malades, concerts de l’Harmonie, de l’Estudiantina, etc.) étaient fréquentes, ainsi que les tournées et les réunions syndicales animées, notamment lors des périodes de grève dans la ganterie et peausserie.

Un poêle à sciure que notre père garnissait deux fois par jour chauffait le bar avant que dans les années 60, le gaz ne prenne le relais.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Au quotidien, la clientèle était essentiellement composée d’employés travaillant en ganterie, mégisserie, peausserie, avec de gros employeurs dans le quartier (Mégisserie Alric et Galtier – Peausserie Deruy…). Les premiers clients étaient là, avant 7h du matin, certains pour consommer un verre d’eau-de-vie, car le travail était rude et ils étaient sur le pont depuis 5h du matin et à midi, bon nombre faisait une courte halte avant d’aller déjeuner.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Le vin rouge coulait à flots, il était le produit « phare » du bar, avec une consommation importante, une pompe derrière le bar, directement branchée à la cave sur la barrique, préfigurait déjà, avant l’heure, l’intérêt du « circuit court » dont on parle beaucoup aujourd’hui et aspirait certains jours pas moins de 100 l de vin, consommés au comptoir ou à table sous forme de « chopines ».

(Photo : © Gérard Rouquette)

Le soir et le week-end, c’était les parties de belote interminables, parfois bien arrosées avec la voix qui gagnait en intensité et pour savoir, à la sortie, combien de verres avaient été servis, pour chacun des clients, on mettait sur la table une soucoupe, autant dire qu’il arrivait que la pile prenne de la hauteur.

Dans la rue de la Saunerie, où se trouve la résidence Baticoop, face au Théâtre de La Fabrik, c’était les jardins ouvriers du plus gros employeur de la Ville, le Gant Jonquet qui amenait aussi de la clientèle de retour de travailler la terre.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Les jours de marché étaient également porteurs, les discussions en patois parfumaient le bar et le 6 mai, l’activité battait son plein.

Dans le quartier, le seul commerce qui existe encore aujourd’hui, c’est la Miroiterie Millavoise, aujourd’hui entre les mains de la petite fille.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Attenant, dans la rue Pasteur, il y avait un tapissier, puis un forgeron, on entendait chanter l’enclume lorsqu’il ferrait les chevaux et il n’était pas rare que l’un s’échappe sur le boulevard.

Un peu après la Fontaine Basse, juste avant la Caisse d’Epargne, c’était le Magasin d’Incendie, la caserne des pompiers d’aujourd’hui, qui occupait deux garages et ne disposait seulement que de quatre véhicules dont l’un était garé sur le trottoir en face, devant l’OPHLM d’aujourd’hui, où le Commissariat de Police s’est installé plus tard.

(Photo : © Gérard Rouquette)

Les pompiers faisaient un peu partie de la famille, d’autant que notre père, était dans l’effectif et la clique qui était alors intégrée, dissoute au début des années 60 dont le prolongement a donné lieu à la création de l’Elan Millavois, faisait résonner clairons et tambours.

Après la Maison du Peuple, sur le boulevard Saint-Antoine, où se trouve aujourd’hui le magasin de Cycles Orcel, il y avait jusqu’au milieu des années 50, un dancing, « Le Sélect », une mezzanine surplombait la piste de danse.

(Photo : © Gérard Rouquette)

En face le bar, la maison aux volets verts, c’était « Les Petites Sœurs des Pauvres » qui se rendaient, avec leurs coiffes cornettes, auprès des malades pour les piqûres.

Et puis, à l’angle de la rue du Champ du Prieur, se trouvait une maison dite de tolérance, dont on parlait à demi-mots. 

Tout cet environnement, notre reporter du jour de millavois.com, Gérard, un ami d’enfance qui a grandi juste à côté, au-dessus de la Fontaine Basse dans la maison familiale Rouquette, a partagé tous ces moments et ces douces soirées d’été, où les gamins jouaient dehors, tandis que les voisins se retrouvaient sur le trottoir pour refaire le monde.

Voilà en quelques mots, comme souhaité, le témoignage que je pouvais vous livrer sur cette page de l’histoire du Bar Albert depuis sa création et son environnement, son ancienneté en faisant aujourd’hui, en quelque sorte, probablement la plus vieille institution du paysage des bars de quartier de la Ville.

Merci de nous avoir conviés à remonter le temps, à travers cette séquence souvenir, chargée d’émotion, merci pour nos parents et notre grand-mère « courage », qui puisaient leurs racines du Lévézou, de Ségur côté paternel et de Castelnau pour notre mère, en formulant le souhait d’une longue vie au « Bar Albert » et qu’il conserve longtemps son enseigne identitaire ».

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