Saint-Paul-des-Fonts, petit village situé à 5 km au sud-est de Tournemire dans un de ces immenses cirques taillés dans les flancs du causse du Larzac, peut s’enorgueillir d’avoir eu dans ses terres pendant 30 ans l’un des plus grands botanistes français : Hippolyte Coste.
Jacques Cros-Saussol, dans une brillante étude, nous le décrivait tel qu’on le voyait au début du XXe siècle.
« Une silhouette alerte, noire et voûtée, marchant, s’arrêtant, se baissant, repartant… Hippolyte Coste, curé du village, herborise des années durant dans ce décor sauvage.
Soutane, souliers ferrés, une « longue boîte en bandoulière », il cueille inlassablement les espèces régionales, parfois accompagné d’enfants profitant de sa science » (Rouergue, carrefour d’histoire et de nature, Société des Lettres de l’Aveyron, 2003). Affectueusement, les habitants de Saint-Paul-des-Fonts le surnommèrent « le curé des fleurs ».
Né le 20 décembre 1858 au mas d’Estiousses, près de Balaguier-sur-Rance, non loin de Saint-Sernin sur Rance, Hippolyte Jacques Coste passa son enfance à s’imprégner des beautés de la nature qui l’entourait.
Ses parents qui étaient paysans lui firent apprécier la vie à la campagne, mais il ne put reprendre la ferme familiale et se dirigea vers une carrière ecclésiastique. Ses études primaires passées avec succès, il entra au Petit Séminaire de Belmont en 1870. En 1878, il entra au Grand Séminaire de Rodez.
Entre temps, passionné par les sciences naturelles et après avoir eu des cours rudimentaires de botanique, il constitua un herbier de 800 plantes, ce qui était tout à fait remarquable pour l’époque. Une rencontre décisive allait avoir lieu en 1882 : le chanoine Joseph Revel (1811 – 1887), de Villefranche-de-Rouergue, botaniste réputé fut frappé par les qualités intellectuelles du jeune Coste, il le convainc de réaliser un « herbier » de l’Aveyron.
La suite nous est racontée par Jacques Cros-Saussol.
« Il eut alors, sur les conseils de celui-ci, l’ambition de compléter le catalogue des plantes vasculaires de l’Aveyron du docteur Antoine Bras de Villefranche, publié en 1870. Celui-ci avait prospecté sa région du Rouergue occidental mieux que personne, mais pour les Causses et les bassins du Rance et du Dourdou, son catalogue ne contenait que de rares indications. Coste vit tout de suite l’opportunité qu’il avait de se lancer dans la recherche, sur le terrain de ces régions. Aussi multiplia-t-il ses études dans les coins encore mal explorés du département ».
Ordonné prêtre le 20 décembre 1884, il devint dès l’année suivante professeur de latin au collège Saint-Joseph de Villefranche-de-Rouergue, il entra également à la Société botanique de France, avec comme parrain, Henri Loret, auteur de la Flore de Montpellier, et Ernest Malinvaud, secrétaire général de la Société.
En 1886, il devient vicaire à Monclar (jusqu’en 1891) et à Sainte-Eulalie-de-Cernon en 1891. Le jeune abbé Coste ne manqua pas d’herboriser avec une ferveur et une curiosité insatiable, partout où le conduisirent les charges de son ministère.
Il fit paraître sa première publication scientifique dans le Bulletin de la Société botanique de France en 1886. En 1887, il publiera « Herborisation sur le causse Comtal » et en 1893 « Florule du Larzac, du causse Noir, et du causse de Saint-Affrique ».
Pensant satisfaire son penchant pour la science, l’évêque d’alors l’envoya à l’Institut Catholique de Toulouse en 1890, avec l’espoir d’en faire un professeur de physique et chimie, mais nostalgique de son Aveyron natal et de l’immensité des Causses, il pria son évêque de le faire revenir sur ces terres chères à son cœur.
Son vœu fut exaucé et il devint le modeste curé de campagne de Saint Paul des Fonts en mars 1894, il a alors 36 ans. Le plateau du Larzac devint son terrain de prédilection. Dès son arrivée à Saint Paul, il se lie d’amitié avec l’abbé Joseph Soulié (1868-1930) avec lequel il va herboriser pendant 30 ans, ils publieront leurs découvertes en signant « Coste et Soulié ». En témoigne la rose baptisée rosa aveyronensis. C’est Coste qui l’a décrite, mais le nom de Soulié lui est associé.
Un autre de ses amis, Albert Carrière nous parle de l’homme. (A. Carrière, « Par monts et par vaux », Midi Libre, 12 juillet 1953.)
« Et maintenant quelques souvenirs sur notre grand botaniste l’abbé H. Coste, le populaire “curat de los flours”, dont je m’honore d’avoir été l’ami. Je l’ai accompagné dans quelques excursions botaniques locales dès 1896. À ma demande, il dressa une liste des plantes les plus remarquables des Gorges de la Jonte, parue dans le Journal de l’Aveyron. Dans la suite, je lui adressai les plantes qui me paraissaient présenter quelque intérêt pour lui. »
Le botaniste Coste était un infatigable marcheur. « La botanique est une science qui ne s’apprend pas entre quatre murs. Il faut parcourir les campagnes, gravir les rochers, franchir les précipices », disait-il.
En 1899-1900, H.Coste publie une Flore du Sud-Ouest. Il eut ensuite l’idée de publier une « Flore illustrée de l’Aveyron ». Comme éditeur possible, le botaniste amateur de Genève, Paul Klincksieck le contacte. Mais Klincksieck voit plus grand, qu’une flore de l’Aveyron, il veut s’inspirer de la flore américaine réalisée Nathaniel Lord Britton (1859-1934) et Addison Brown (1830-1913).
Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la publication de la Flore de France par Grenier et Godron (1848-1850) qui fut pendant cinquante ans le Vade Mecum de tous les botanistes français, mais qui n’est désormais plus à jour. Aussi Klincksieck propose à Coste cet immense labeur de refaire une flore complète et celui-ci accepta. Sept ans de travaux seront nécessaires.
Les dessins sont réalisés par différents dessinateurs sur la base des spécimens sélectionnés par Coste. La Flore de France commence à paraître en juin 1900 et s’achève en décembre 1906. Au total, cette Flore de France compte 1956 pages. Elle est illustrée de 4 354 figures originales d’une grande précision. Elles seront souvent réutilisées dans d’autres ouvrages.
Le Messager de Millau du 9 février 1907 nous fait part de la sortie de cette flore de France : « Une nouvelle Flore de la France. Depuis longtemps, j’avais prié mon ami le savant chanoine Coste, de me réserver le très grand honneur de présenter dans les journaux du Midi, le monumental ouvrage de botanique, qu’il vient enfin de terminer.
Dans le monde des docti in re herbaria, c’est tout un évènement que l’apparition si impatiemment attendue de cette flore descriptive et illustrée de la France et des contrées limitrophes.
« La Flore Coste est terminée », s’écrie triomphalement l’éditeur M. Klincksteck. « Si enfin nous possédons une statistique complète et détaillée de la végétation de notre pays, c’est à un curé d’un petit village des Cévennes, mais zélé botaniste, que nous la devons ».
Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la publication de la Flore de Grenier et Godron (1848-1850) qui fut pendant cinquante ans le Vade Mecum de tous les botanistes français, mais qui n’était plus au courant de la science. À tous les points de vue, la Flore Coste est infiniment supérieure à sa devancière.
Indépendamment de l’inventaire des plantes qui est beaucoup plus complet à cause des découvertes faites pendant ce demi-siècle, l’ouvrage de H. Coste, est illustré de 4354 figures, représentant le port de la plante, son faciès et le détail des caractères qui servent à la reconnaître.
Aucune flore française n’avait encore paru avec toutes les espèces figurées. Aussi ajoute M. Coste dans sa préface, tous les botanistes sauront gré à M. P. Klincksieck de n’avoir reculé devant aucun sacrifice pour offrir au public un ouvrage illustré tel qu’il le réclamait en vain depuis de longues années.
L’ouvrage précédé d’une magistrale introduction de M. Charles Flahaut, l’éminent professeur de Montpellier, comprend trois volumes, et ne compte pas moins de 1950 pages de texte encadrant très harmonieusement les gravures juxtaposées.
C’est un avantage inappréciable de pouvoir du même coup d’œil lire la description écrite et en contrôler l’exactitude par la figure dessinée à la marge. Ah ! ces descriptions et ces dessins. Que de travail, que de précision, que de soucis minutieux il a fallu pour les rendre avec cette perfection !
Le vaillant abbé Coste a mis près de sept ans non seulement pour rédiger le texte, mais encore pour préparer les planches à envoyer aux dessinateurs, pour signaler à ceux-ci les détails à reproduire, corriger ces croquis, revoir et approuver définitivement les dessins.
Et comme préparation générale à ce grand travail, on peut dire qu’il a fallu les trente, les quarante ans de vie d’études, de courses à travers les montagnes et les vallées, d’excursions nombreuses au Plateau central, aux Alpes, aux Pyrénées aux Cévennes, en toute saison et sous toutes les températures. »
Cette flore va être un ouvrage de référence pour de nombreuses générations de botanistes et reste encore aujourd’hui encore incontournable. Rééditée en 1995, elle est complétée et corrigée par six suppléments parus en 1984-1985.
Devenu très célèbre, le curé Coste est réclamé de partout. En 1908, la Société des Lettres, sciences et arts de l’Aveyron lui décerne le prix Cabrol. En 1911-1912, il publie dans le Messager de Millau, à la demande de Jules Artières un catalogue des « plantes médicinales » qui croissent aux environs de Millau.
Il fut fait officier d’académie en 1914, mais à force de se surmener, Hippolyte Coste fut affecté d’une maladie de cœur qui ne cessa d’empirer. Une première alerte eut lieu en 1903, où il faillit succomber à la tâche qui sera suivie de beaucoup d’autres. Il fut élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur, le 1er octobre 1923. Au crépuscule de sa vie, Albert Carrière se souvient : « sa dernière carte, du samedi 29 septembre 1923, est la réponse à la lettre de félicitations à l’occasion de sa nomination dans l’ordre de la Légion d’honneur ».
« Bien cher ami. Grand merci pour votre aimable lettre et pour vos félicitations beaucoup trop élogieuses. Elles m’ont toutefois fait plus de plaisir que certaines tombées de plus haut, parce que plus sincères. Depuis trois semaines, je suis débordé par ma correspondance. J’ai déjà répondu à près de 250 lettres ou cartes et ce n’est pas fini. Le professeur Flahaut, de Montpellier, doit venir prochainement présider un banquet et m’armer chevalier. Mais tous ces honneurs me font perdre un temps précieux et fatiguent ma santé, qui laisse toujours fort à désirer. Je voudrais cependant élaborer une flore de l’Aveyron, qu’on me demande depuis si longtemps et même une deuxième édition de ma Flore de France, qui est presque épuisée chez “L’homme”. Avec mes bons souvenirs, mes cordiales amitiés, H. Coste ». (Par monts et par vaux, M.Libre, 12 juillet 1953.)
Âgé de 66 ans, il décède le 24 novembre 1924, alors qu’il lisait une lettre lui annonçant que le prix Jérôme Ponty venait de lui être attribué par l’Académie des Sciences. Ses biens furent légués à la Société des Lettres de Rodez.
On lui élèvera peu de temps après le buste qu’on voit dans le petit jardin du presbytère de Saint-Paul, où il continuera de vivre, dans le cœur de ses paroissiens, qui le chérissaient unanimement.
À l’inauguration de ce monument, œuvre du sculpteur aveyronnais, Marc Robert (1875-1962), le 16 avril 1927, prirent successivement la parole : le maire de St-Jean-Saint-Paul, M. Borel, célèbre mathématicien, Mgr Chaillol, MM. Gaussen, professeur de botanique de la Faculté de Toulouse . Nauche, instituteur communal et ami personnel de Coste, qui prononça le discours le plus écouté, parce qu’il faisait connaître le plus intimement le disparu.
Pour terminer, citons Jacques Cros-Saussol qui a rendu un hommage appuyé au « curé des fleurs » .
« Coste s’est éteint avant d’avoir achevé la Flore du Rouergue pour laquelle deux années lui étaient encore nécessaires. Le célèbre botaniste avait néanmoins rédigé, à la demande du géographe Émile Vigarié, un important résumé de cette Flore, reproduit in extenso dans l’Esquisse générale du département de l’Aveyron.
Mais si Coste n’a pu réaliser son rêve de jeunesse, faire une flore de l’Aveyron, il a fait mieux, il a rédigé une Flore de France. » (Rouergue, carrefour d’histoire et de nature, 2003.)
Son souvenir reste encore présent. Depuis 2008, à Saint-Paul des Fonts, un espace Hyppolite Coste a été créé, et deux journées sont consacrées au savant aveyronnais. Organisées par l’association « Les journées Coste », elles permettent à travers des conférences, des expositions et des balades de se familiariser au monde de la botanique.
Le 16 mars 2016, a été signée à Saint Paul des Fonts, une convention entre la Fondation du Patrimoine, la Commune de Saint-Jean et Saint-Paul et l’association « les journées Coste » en vue de restaurer la stèle dédiée à Hippolyte Coste et réhabiliter son environnement immédiat.
L’association actuellement présidée par Jean-Yves Concé a eu le plaisir de présenter l’année dernière la stèle restaurée au cours d’une inauguration le samedi 27 juillet 2019.
Marc Parguel