Le trou de la lune
Un tout petit sentier qui part à gauche de la grotte de Boffi nous amène, pour tourner parmi les rocs et descendre jusqu’au « trou de la lune ». Empruntons ce chemin avec la plume de Pierre Goth :
« Après une marche de quelques minutes, au milieu de rocs ruiniformes, on arrive au pied d’un grand rocher percé en son milieu. Pour contempler davantage le grandiose canyon qui se montre ainsi en enfilade à travers cette fenêtre bien circulaire, on pourrait descendre de l’autre côté, jusque sur un balcon aérien…mais, mieux vaut ne pas risquer de glisser dans le vide…à plus de 70 m de haut ! De ce point, le paysage est d’une symétrie parfaite – avec la rivière au milieu, de chaque côté les pentes boisées et les falaises du Causse Noir et du Larzac- et si ravissant que des nuits, paraît-il, Phébé projetant ses rayons, viendrait se pencher au-dessus des rochers pour voir par le trou béant…d’où son nom Lou traou de lo Luno. » (Messager de Millau, 16 juin 1934)
Le « Trou » en question mesure approximativement 1m50 de large. Une fenêtre aérienne s’ouvre sur la vallée de la Dourbie. A notre droite, le vide et l’attache d’une corde de rappel pour permettre aux meilleurs grimpeurs de la paroi « ultime » du site, de redescendre au bas de la falaise. Au-dessus du trou, on a un joli coup d’œil sur une bonne partie du massif de Boffi et de Millau. A gauche, dans une petite cavité, les amis d’Albert Austruy (Bébert, personnage poète à ses heures), ont scellé une pierre sur laquelle est gravé l’un de ses poèmes :
Amitié
Mon nom chante dans la source et embaume le romarin.
Je danse la vie dans l’aube des clairs matins.
Après le long hiver, je suis l’anémone qui revient ;
Et dans les soirs de désespoir jusqu’à la fin,
Je suis ce qui reste quand il ne reste rien.
(Albert Austruy).
La grotte de Mirabal
Le sentier Albert Austruy conduit à la grotte aven de Mirabal explorée en 1932 par l’Alpina. Celle-ci se situe à 200 mètres à l’Est de la grotte du Figuier, dans un renforcement de la falaise, sur la droite. La baume-jasse à l’entrée de la grotte avait souffert du passage des apprentis spéléologues et promeneurs.
Les Adralhans ont remonté une partie conséquente de la façade en 2000 espérant que désormais l’exemple sera suivi par les nouveaux visiteurs. Particularité de cette baume-jasse : son entrée basse facilitait le comptage des bêtes. La première salle, éclairée par la lumière du jour grâce à deux entrées, donne sur deux continuations qui permettent d’accéder à la cavité proprement dite.
Hadrien Bousquet dans la revue « Tenir » et dans le « Messager de Millau du 23 octobre 1932 » nous fait part de sa première exploration :
« Après avoir pénétré dans une cavité relativement basse, dont l’ouverture donne sur la vallée de la Dourbie, nous montons en pente douce un corridor aboutissant à une cheminée de 5 mètres. Ici, seuls les gens d’une extrême maigreur peuvent passer, au prix de quels efforts ! Mais aussi quelle récompense ! C’est vraiment un spectacle unique qu’il nous est donné de contempler, après la descente du premier aven. Une série de salles se succèdent ; les unes plus belles que les autres, présentant toutes un caractère très spécial. Ici, celle des « éléphants » : de grandes oreilles grises encadrant de longues trompes recourbées tapissent les murs de toutes parts. Un aven de 12 mètres, d’un noir d’ébène, aboutit à une salle très spacieuse que l’on croirait goudronnée. Là, celle des « Cierges », ornée de magnifiques stalagmites hautes de 3 à 4 mètres, très sveltes, très élancées, surgissant comme par enchantement d’un lac aux eaux limpides. Nous poursuivons ensuite notre marche, subitement émerveillés par une splendide cascade toute pétrifiée qui, du haut d’une voûte de quinze mètres tombe en mille fuseaux sur les parois, pour se perdre dans un aven blanc comme neige et conduisant, lui aussi, à une pièce magnifique. C’est Dargilan en plus petit, mais en plus beau. Et nous progressons toujours en des corridors relativement larges, très élevés, avant que de pénétrer dans la salle des « Cascades Argentées » aux teintes toutes particulières. Nous ne pouvons nous lasser d’admirer les splendides concrétions qui s’offrent à nos yeux. Ce sont de bien belles plantes calcaires travaillées par les eaux. Ensuite, un aven, tout rouge, nous conduit à la « caverne des perroquets ». Ils abondent là, avec leur bec crochu et leur longue queue… Enfin nous nous arrêtons devant les éboulements qui, sans nul doute, ferment la route à cette immense cité souterraine… De nombreuses questions se posent : sommes-nous en présence d’une rivière souterraine intermittente ? D’où vient la multiplicité des couleurs rencontrées çà et là : du noir ébène au blanc neige, en passant par le gris argenté et le rouge ? ».
A ces interrogations, Louis Balsan se devait de répondre, suite à une visite qu’il fit le 9 décembre 1934, avec MM. J. Galzin et R. Rataboul, du Club Cévenol :
« Le schéma de la caverne est simple : elle se présente en forme de couloir, long d’une centaine de mètres environ, à deux étages et de direction générale N.-N.O… La pente de la galerie supérieure est assez régulière, les dénivellations apparentes ne sont que des remplissages stalagmitiques. Le passage difficile et très étroit (en cheminée) ne semble pas un siphon naturel, mais encore de l’obstruction de calcite. Plusieurs avens communiquent avec la galerie inférieure, dernier lit accessible occupé par le torrent souterrain. Nous trouvons là une preuve typique de la loi classique de l’enfouissement. Ce couloir inférieur étant de formation moins ancienne que le supérieur, les concrétions y sont moins importantes… Voici une explication possible : tant que le ruisseau n’a occupé que la partie supérieure de la grotte avec une seule résurgence, le calme atmosphérique régnait à l’intérieur et les stalagmites se formèrent régulièrement. Mais une fois que l’eau s’est creusé une seconde sortie, il s’est établi un courant d’air dans les couloirs, très violent par certains vents. Ce courant d’air entraîna à l’intérieur des débris organiques ou minéraux, poussières plus ou moins fines, qui, retenues par l’humidité des concrétions, formèrent cette sorte de vernis noir. C’est peut-être aussi à ce courant d’air qu’il faut attribuer une partie de l’extraordinaire variété des concrétions de Mirabal. Car la grotte est un véritable musée de cristallographie. Les « cierges » classiques n’y sont pas abondants et pas très beaux, mais les « excentriques » y abondent ; une des plus curieuses se présente en forme d’ « M » surmontant une stalagmite de trente centimètres de hauteur. Nous trouvons encore les « ergots », les « fils » dans toutes leurs variétés, les « crochets » de parois, les draperies, tous les modèles classiques de Printz ; en plus les stalagmites «queue de vache » dont les extrémités sont renflées en forme de pinceau. Nous remarquons surtout les concrétions en « bancs de coraux » si spéciales à Mirabal : des parois entières sont revêtues d’une calcite ramifiée en forme de bouquets. » (Messager de Millau, 5 janvier 1935)
Miraval
Nous sortons de la grotte de Mirabal et ses 120 mètres de galeries, dans lesquelles de nombreuses générations de jeunes spéléologues ont usé leur fond de culotte pour passer l’étroiture ou la « sortie André Weller ». Il ne reste plus qu’à remonter vers Boffi. Suivons le sentier et par là même, la plume de Pierre Goth :
« Pour monter sur le Causse, un seul passage emprunté autrefois par les gens de Longuiers et qu’il faut connaître : le Pas de Bouffy. En effet, il semble pratiquement impossible de traverser ce chaos…mais, en suivant le sentier, toutes les difficultés disparaissent…comme par enchantement, c’est le cas de le dire, puisque les roches que de prime abord on aurait cru infranchissables, sont tout d’un coup percées à leur base…et les broussailles entre-ouvertes…A vrai dire, il n’y a qu’un seul obstacle embarrassant, Le Pas, petit rocher à grimper, mais c’est justement le charme du sentier de ne pas être monotone, obligeant le touriste tantôt à s’agenouiller dans la traversée d’un tunnel, tantôt à escalader pour franchir le Pas, tantôt à cheminer sous l’exquise voûte de verdure qui aboutit au plateau… Et du clair-obscur on passe tout à coup en pleine débauche de lumière. – la lumière éblouissante du Causse !…En face, un rocher solitaire est tout particulièrement éclairé ; sur la paroi, deux flèches indiquant deux directions opposées ; à gauche, les ruines et le panorama de Bouffy ; à droite Lou Traou de lo Luno. » (Messager de Millau, 16 juin 1934).
Nous nous rendrons aux « ruines ». Avant de quitter le Pas, on peut remarquer dans le massif face sud, une trompe qui dépasse, « c’est une trompe d’éléphant » comme aimait à la dire, Raymond Robert, historien du Monna.
Le secteur a été fréquenté à toutes les époques, aux temps préhistoriques, comme nous l’avons vu, mais aussi aux temps gallo-romains. Pour preuve, ces découvertes effectuées en 1974 : « Les travaux de reboisement du Causse Noir viennent de faire découvrir deux nouvelles stations de distillation de résine : l’une se situe sur le rebord du Causse, au-dessus de la vallée de la Dourbie à 800 mètres au nord-est du Monna et à 50 mètres à l’est des ruines du château de Boffi, l’autre à mi-distance entre le Monna et Longuiers à 50 mètres, au sud de la côte 867 » (Labrousse, tome 32, Gallia, 1974). Approchons-nous des ruines « de Boffi ».
Voici ce qu’en disait Jules Artières dans le Messager de Millau le 30 juin 1934, répondant à Jean des Causses qui faisait remonter ces ruines aux époques romaines :
« Boffi. – Au-dessus des immenses rochers qui surplombent le Monna, en un site extrêmement pittoresque, se trouvent quelques vieux pans de mur. D’après certains, ce seraient les ruines d’un ancien château fort. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que l’affar de Boffi, affarium de Boffi, appartenait au XIIIe siècle aux Adde. Il était encore exploité au XIVe siècle, puisque nous trouvons en 1309, un bail de mas appelé Boffi, confrontant avec le mas de Longuiers, avec le mas de Laulano (Lauglanou) et s’étendant jusqu’aux rancs majeurs. A une trentaine de mètres des ruines, à l’extrémité des rochers, on a un magnifique point de vue sur la vallée de la Dourbie et du Tarn et sur une partie de la ville de Millau ».Un nommé Boffi, du Monna, Botfaldus de Molnar fut, en 1117, témoin d’une donation (Cartulaire de Gellone). Si nous avons été réservé sur la question des ruines « d’un ancien château fort », c’est que nous n’avons trouvé aucun document portant cette mention à propos de Boffi. »
Il fallut la détermination d’André Soutou pour nous éclairer sur ces ruines que l’on considère désormais comme ayant appartenu à un château nommé « Miraval ». La première mention remonterait à 1148. Au XIIe siècle, trois générations se succèdent, portant tous le nom de Raymond de Miraval (A. Soutou, Mont Cervi, ancien nom de Saint-Véran, Revue du Rouergue, n° 84, 1967, p.372). Au même moment, le site est désigné comme un domaine ou une ferme sous le nom de Boffi, affarium de Boffi (J.Artières, Millau à travers les siècles, 1943). Grâce à un acte passé en 1117, on connaît un personnage du nom de Boltfaldus de Molnar. Dans un autre acte passé au Monna en 1170, un dénommé Bolfar, décédé au moment de la transaction, est mentionné.
Boffi, Miraval… Etait-ce donc un vaste domaine, un château ? Sans doute l’un et l’autre… Le nom de Miraval donné à une grotte de Mirabal par rapprochement au mot Miraval reste intact. Seuls quelques pans de mur, de faible hauteur, sont encore visibles, mais, malheureusement, la végétation ne permet pas de restituer un plan des structures conservées. Les mesures que j’ai pu prendre de la plus grande partie conservée de la muraille sont de cet ordre : 1,70 mètre de hauteur x 1m de large, pour 4,5 mètres de longueur (relevé du 20 juin 2011). Quelques pas plus loin, on a un panorama des plus beaux sur la vallée. Les corniches du Monna comme nous les avons détaillés ne manquent donc pas de charme et d’intérêt.
Marc Parguel