Emile Viguier, ancien colonel d’artillerie devenu maire de Millau

Bernard Maury
Bernard Maury
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L’Hôtel de Pégayrolles ©DR

Ce vendredi 18 mai 1888, il est vingt heures, lorsque la secrétaire d’Emile Viguier ferme, derrière elle, la porte du bureau du maire de Millau. Pour cet ancien colonel d’artillerie à la retraite, c’est la dernière journée dans ses fonctions de premier magistrat de la ville.

En effet, lors des élections municipales qui ont eu lieu les dimanches 6 et 13 mai, les radicaux conduits par l’avocat Sully Chaliès ont battu les conservateurs de la liste menée par Emile Viguier. Celui-ci sait que le 20 mai, lors de la première réunion du Conseil Municipal, Sully Chaliès sera élu maire par les nouveaux conseillers municipaux et que, dès le lendemain, il prendra possession de l’Hôtel de Ville. Aussi ce soir, celui qui est encore maire veut s’attarder dans son bureau, situé dans l’aile droite de l’Hôtel de Pégayrolles.

Assis confortablement dans son fauteuil, il se penche en arrière, ferme les yeux et laisse vagabonder ses pensées. Soudain, dans cet immeuble historique, calme, car déserté à cette heure tardive et devenu ainsi propice au recueillement, les souvenirs surgissent et lui rappellent les grandes étapes de sa vie mouvementée.

D’un coup, c’est toute sa vie qu’il revit

Fils de Guillaume, Alexis, Marie, Joachim et de Justine Lacoste, Alexis, Emile Viguier est né à Millau, le 30 septembre 1820. Emile se souvient avec émotion des marques d’affection de ses parents dans sa prime jeunesse et durant toute son adolescence. Ignorant les périodes de sa brillante scolarité, il préfère penser avec nostalgie à la peine qu’il a ressentie de ne pas pouvoir fêter ses vingt ans avec ses parents, car le lendemain de son anniversaire, le 1er octobre 1840, il est entré à l’Ecole Polytechnique !

L’Ecole Polytechnique ©DR

Deux ans plus tard, il est nommé sous-lieutenant élève à l’Ecole d’Application de l’Artillerie à Metz, qui est en fait la principale école d’application de l’École Polytechnique.

Promu sous-lieutenant le 17 janvier 1844, il est affecté le 21 à la 14e Batterie du 2e Régiment d’Artillerie, à Douai. En 1845 et en 1849, il va suivre le régiment à Bourges, puis à Metz. Dans ces trois garnisons, il va successivement être promu lieutenant en second, le 29 octobre 1844, lieutenant en premier à la 3e Batterie, le 14 juin 1846 et capitaine en second le 8 avril 1850.

Un mois plus tard, il est affecté à la 7e Batterie du 13e Régiment d’Artillerie, mais il sera détaché à Tulle le 25 mai 1852, comme adjoint au Commandant de la Manufacture d’Armes. Le 6 mars 1854, il retrouve à Besançon le 2e Régiment d’Artillerie, commandé par le colonel Auger. Le 28 mars 1855, il est promu au corps, capitaine en premier. Il va étrenner son nouveau grade en Crimée. En effet, le 14 avril 1855, il embarque à Marseille avec le 12e Régiment d’Artillerie. Commandant la 2e Batterie, il est mis à la disposition du général de division Charles Ambroise Thiry commandant l’Artillerie de l’Armée d’Orient.

Le Général Thiry ©DR

Pendant la campagne de Crimée, au cours du siège de Sébastopol, il se fait remarquer à plusieurs reprises par des actions courageuses et notamment, le 8 septembre 1855, lors de l’assaut de la Tour Malakoff, où il obtient la croix de chevalier de la Légion d’Honneur pour sa belle conduite au feu. De retour en France, il est nommé à la tête de la 4e Batterie du 11e Régiment d’Artillerie.

Tour Malakoff ©DR

A partir du 12 mai 1859, il participe à la campagne d’Italie comme aide de camp du général Yves, Hercule Fiereck, commandant l’Artillerie du 5e Corps d’Armée. Le 24 juin 1859, il se distingue par ses actes de bravoure à la bataille de Solférino.

Bataille de Solférino ©DR
Estève – Laurent Boissonnet ©DR

De retour en France, promu chef d’escadron, il sert successivement au 20e, puis au 16e Régiment d’Artillerie à cheval. Le 20 octobre 1866, en étant affecté à l’Etat-Major particulier de l’Artillerie, il redevient l’aide de camp du général de division Fiereck. Il ne fait qu’un bref passage (du 21 mars au 24 avril 1870) à la Sous-Direction de l’Artillerie à Oran, car il demande à revenir en France lorsqu’éclate la guerre franco-allemande. Arrivé à Paris, il est affecté à l’Etat-Major de l’Artillerie de la 2e Division du 14e Corps d’Armée commandé par le général de brigade Estève – Laurent Boissonnet dont il devient le chef d’Etat-Major. Pendant le siège de Paris, il participe à plusieurs tentatives de sortie et opérations de défense. A la bataille de Châtillon du 19 septembre 1870, il est cité pour son courage à l’ordre du jour du Corps d’Armée.

©DR

Du 30 novembre au 2 décembre 1870, durant les trois jours de violents combats de la bataille de Champigny, il est aux côtés du général Boissonnet qui sera grièvement blessé. Ayant été promu lieutenant-colonel, il est nommé chef d’état-major du général de division Charles Victor Frébault, commandant l’Artillerie du 2e Corps d’Armée de la 2e Armée. Se trouvant encore à Paris durant la Commune, il est arrêté par les Fédérés et incarcéré à la Conciergerie, puis dans la prison de Mazas, située en face de la gare de Lyon. Les Versaillais le délivrent lors de la « Semaine Sanglante ».

©DR

Après la guerre, il est affecté à Oran, le 6 juin 1871, pour assurer les fonctions de sous-directeur de l’Etat-Major de l’Artillerie. Promu Colonel le 5 juillet 1875, il en devient le Directeur.

Le 9 mai 1879, il est cité à l’Ordre du 14e Corps d’Armée « pour son dévouement et pour s’être particulièrement distingué le 24 avril 1879 à l’explosion de la salle d’artifices d’Oran ». Officier de la Légion d’Honneur depuis le 18 décembre 1868, il est promu Commandeur le 12 juillet 1880.

Totalisant 14 campagnes durant ses 41 ans et 9 mois de services, le colonel Emile Viguier fait valoir ses droits à pension le 12 juillet 1880. Il quitte Oran et vient s’installer à Millau, sa ville natale. Sollicité pour prendre la tête du parti conservateur, il se présente aux élections municipales des 4 et 11 mai 1884 contre le parti républicain. Le 8 mai 1884, le Journal de l’Aveyron annonce que dès le premier tour de scrutin, « le résultat est presque exclusivement à l’avantage des conservateurs qui ont battu l’ancien conseil ».

En effet, Emile Viguier est élu avec 12 de ses colistiers, alors que ses adversaires n’en comptent qu’un ! Et le journal poursuit : « Tout annonce que la journée électorale du 11 mai complètera la victoire des vaillants conservateurs millavois… ». Nommé maire de Millau, l’ancien colonel a « pendant quatre ans administré la ville, selon le Journal de l’Aveyron du 2 juillet 1895, avec une prudence, un tact et un patriotisme qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait atteint. Sa gestion financière fut remarquable et il quitte la mairie en 1888… en laissant les tiroirs municipaux pleins de ses épargnes », ce que son successeur Sully Chaliès a constaté et reconnu !

Sully Chaliès ©DR

En effet, le 13 mai 1888, le radical Sully Chaliès a battu Emile Viguier. Pourtant ce dernier, au cours de la campagne électorale avait obtenu un vif succès le jeudi 26 avril 1888, lors d’une grande réunion conservatrice présidée par le vicomte de Bonald. Il avait rendu compte de son mandat, « à la grande satisfaction de l’assemblée et son discours avait produit la meilleure impression ». Aussi, en cette soirée du 18 mai 1888, dans la pénombre de son bureau, il s’étonne amèrement de son échec en constatant que malgré un bilan positif il n’a pas été réélu !

©DR

Emile Viguier, célibataire, ancien maire de Millau, colonel d’artillerie en retraite, est décédé en son domicile Place de l’Hôtel de Ville, le 29 juin 1895, à l’âge de 74 ans. Il repose dans le carré 7 du cimetière de l’Egalité dans la tombe numéro 181.

Bernard MAURY
Sources : Articles du Journal de l’Aveyron

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