Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la nuit du samedi 20 au dimanche 21 septembre 1980 sera celle où l’on aura vu nos causses inondés. Comme on peut lire bien souvent dans nos archives, « de mémoire d’homme, on n’avait jamais vu pareil déluge… ».
Il est vrai que si l’homme ne peut se rappeler de pareils faits, les archives nous indiquent que le dernier orage aussi violent remonta au 18 septembre 1909. Celui de 1980, fut le dernier que nous ayons connu d’aussi catastrophique pour nos Causses. On se souviendra longtemps de cette nuit d’équinoxe devenue paradoxalement la plus longue nuit de l’année.
Une nuit de cauchemar pour certains habitants du Larzac, du Causse Noir, des vallées de la Dourbie, de la Jonte et du Tarn. Qui aurait cru voir ça ? Un vrai déluge. Un vieux dicton de chez nous repris dans le journal « Lo Causse Nègre » d’hiver 1980, disait « Avant qu’on ait les pieds dans l’eau sur le Causse, il faudrait que ceux de la vallée soient tous noyés ». Nul n’aurait pensé qu’il en serait tout autrement. Depuis samedi 20 septembre 20h 30 jusqu’à dimanche matin vers 7 h 30, l’orage n’a pas cessé de se déchaîner avec une violence faisant parler de tornade et d’ouragan. Violence sans doute rarement égalée dans notre région.
L’Avenir de Millau dans son édition du 26 septembre 1980 nous informe : « Samedi soir Millau s’est trouvé au centre, relativement épargné, d’un vaste arc de cercle allant de la région de Saint-Affrique aux gorges du Tarn et passant par l’Hospitalet, les Liquisses, Nant, le Causse Noir (en particulier Saint-André, Lanuéjols et Veyreau), Meyrueis et le Rozier. C’est dans ce vaste « croissant » que la tempête a sévi au maximum de sa force avec tonnerre et éclairs incessants, pluie diluvienne ininterrompue et des vents du midi soufflant parfois à plus de 100 km/heure. »
Dès 20h30, l’orage a été si subit et si violent dans ses manifestations que la plupart des lignes téléphoniques ont été coupées. Les pompiers de Millau ont été prévenus un peu tardivement de la montée des eaux de la Dourbie et de la situation exceptionnelle à l’Hospitalet, aux Liquisses et à Nant. Quant au Causse Noir, il s’est retrouvé, très vite, totalement isolé.
Les habitants de Lanuéjols, Saint-André ou Veyreau ont l’habitude des rigueurs du climat et ne sont pas des gens à s’effrayer pour quelques éclairs. Mais vers minuit, après déjà quatre heures de pluie, de vent et de tonnerre d’une violence inouïe, la peur a commencé à gagner certains habitants, des maisons ou des fermes isolées surtout.
La pluie, portée par un vent de 100 à 150 km/h, entrait par les moindres interstices des portes et des fenêtres et dégoulinait par les cheminées. Il fallut intervenir à plusieurs endroits pour éviter l’inondation des bergeries et la noyade des brebis, soit en brisant une porte pour permettre l’écoulement, soit en faisant sortir le troupeau.
A la ferme du Ruassou, M. Balland a retrouvé ses chèvres immergées jusqu’aux oreilles et la porte s’ouvrant de l’intérieur bloquée par la masse d’eau. Il parvint de justesse à échapper à la force du flot, après avoir brisé la porte à coups de hache. L’une des chèvres a péri noyée.
Deux jeunes filles revenant d’une soirée de danse à Meyrueis ont échappé de bien peu à la noyade en regagnant en voiture leur domicile à Veyreau. Vers 1h30 du matin, à la sortie d’un virage entre le hameau de Bré et la ferme de Pellallergue, leur « 4 L » a été plaquée contre un arbre par un torrent d’eau et de boue. Elles ont dû lutter jusqu’à la limite de leurs forces pour se dégager du flot, perdant dans le courant chaussures, sacs et vêtements. Et c’est exténuées mais indemnes qu’elles trouvaient enfin refuge à la ferme de Pellallergue.
Le lendemain, les Caussenards n’en croyaient pas leurs yeux, le paysage caussenard s’était totalement transformé…
Le dimanche 21 septembre 1980, après que la pluie a cessé de s’abattre vers 7 heures 30 du matin, les rares personnes intrépides voulant s’aventurer à monter sur le Causse furent consternées.
Partout dans les creux, d’immenses lacs s’étaient formés. Le plus important (certainement plusieurs mètres de profondeur) s’étalait en dessous de Vessac, près du carrefour des routes de Millau à Lanuéjols. Trois jours après encore, il restait une mare assez vaste. Des avens se sont ouverts un peu partout, souvent en plein champ : des agriculteurs passaient régulièrement en tracteurs sur ces gouffres ignorés, depuis des années… Les plus grands trous qui ont été mis à jour par les eaux sont ceux recensés aux Bouteillettes ou à la Cadenède en plein champs. M. Gély propriétaire aux Bouteillettes demanda à la suite de cette mésaventure qu’on lui remette en état au plus vite son terrain. Chose bien difficile…
De nombreux arbres ont été arrachés, il en a été de même pour les poteaux qui ont été couchés, des routes se sont effondrées ou coupées de failles profondes. Les canalisations d’eau potable récemment installées ont été déterrées et arrachées près de Saint-André de Vézines. De nombreux villages et hameaux ont été privés d’électricité plusieurs jours.
Les fermes les plus touchées sont celles déposées sous une pente, comme au Ruassou, où en plus la nouvelle route à fait digue avant de céder, où à la Bouteille, maison abritant deux personnes âgées, où les terres ont fait place à un chaos de roches.
Les meilleurs champs ont parfois disparu, leur terre emportée plus loin, comme à Pellallergues ou à Sarraliès.
La situation est à peu près similaire en certains endroits du Larzac. L’Hospitalet a été durement éprouvé, avec ces 40 maisons évacuées, parce qu’envahies par un torrent déferlant. Le hameau des Liquisses est resté longtemps isolé. Nant a également beaucoup souffert et la route de la Dourbie était encore coupée en plusieurs points mardi. Un éboulement spectaculaire de masses rocheuses s’est produit sous Saint Véran.
Comme l’indique l’Avenir Millavois dans son édition du 26 septembre 1980 « Certains relevés de la météo donnent une idée de la violence de cet orage mémorable. 112 millimètres d’eau au Monna, 280 mm à Nant (dont 256 en huit heures), 202 mm à La Cavalerie mais le pluviomètre a finalement débordé. Sans en être certain, on pense qu’il en est tombé 500 aux Liquisses et sans doute en d’autres endroits. En une année la pluviosité peut être évaluée autour de 750 mm en moyenne. »
Les Caussenards n’avaient pas besoin de cette épreuve, heureusement qu’aucune personne n’a péri dans cette catastrophe.
Marc Parguel