Empruntez la départementale 151, entre le joli petit village de pierres des Rives et le hameau de la Pezade : si l’hiver a été pluvieux, le lac sera au rendez-vous.
C’est une surprise que réserve le Larzac. Sur le causse, une couche de roche imperméable se trouve, par endroits tellement près de la surface que les précipitations ne peuvent être absorbées par le terrain. A l’occasion de fortes pluies, un véritable lac se forme, pouvant atteindre jusqu’à quinze mètres de profondeur. L’eau arrive par de simples ruisselets ou des petites rivières, la terre, faisant, ainsi, office d’éponge. Le lac met alors plusieurs mois avant de s’écouler et de s’évaporer.
La formation du lac des Rives a longtemps éveillé la curiosité des touristes autant que des spécialistes. Certains y voient une remontée d’une nappe d’eau souterraine, d’autres l’accumulation d’eau en surface provenant essentiellement de ruissellements aériens.
Le lac des Rives, aussi appelé des Aygues se situe dans le département de l’Hérault entre la ferme de Combefère et le village des Rives, dans un important lapiaz dolomitique dont les larges ruelles convergent vers l’aven des Aygas situé au pied de la colline de la cote 722 mètres. L’aven est entièrement comblé par du sable dolomitique et de ce fait impénétrable.
Lors d’une conférence donnée à l’Université Populaire du Sud Rouergue en 1986, le professeur Henri Salvayre disait que « Parmi les phénomènes hydrogéologiques du Larzac, le lac des Rives est de tous le plus important. Lors des grosses pluies et au centre du plateau, à proximité de l’aven de la Bayssière se forme le lac des rives qui couvre une surface de plusieurs kilomètres carrés. Au milieu de ce désert de pierres, l’énorme masse d’eau constitue un paysage insolite ». (Spélunca, octobre-décembre 1985).
Chaque rocher forme une île d’un petit archipel, et si un rayon de soleil ricoche sur l’eau, la masse tourmentée des dolomies s’anime et les rochers géants retrouvent la mémoire du temps où leurs pieds baignaient dans les eaux des torrents qui modelèrent leur surface.
Christiane Burucoa en a fait une description autant poétique que réaliste :
Les Aygues, curieuse appellation sur cette terre qui ne porte que des cailloux. C’est que périodiquement un siphon souterrain se bouche retenant les eaux. Elles montent par une cheminée d’un aven situé au fond d’un cirque de rochers au milieu duquel on aperçoit « l’arche des bergers » et envahissent tout le site. L’effet est saisissant. L’eau s’insinuant entre les rues de rochers en épouse toutes les anfractuosités. Toute une géographie de caps, de presqu’îles, archipels se dessine sur le miroir immobile. Des monolithes trapus, des beffrois de pierre, des échines de monstres marins, émergent de la surface liquide. On a même fait du canoë sur ce lac intermittent qui se vide un jour sans qu’on puisse le prévoir. Nous touchons là du doigt les grandes aventures géologiques qui ont modelé les grands causses, où les ruissellements tertiaires ont creusé les rues de rochers visibles dans tous les lapiaz et sculpté les villes étranges de Montpellier-le-Vieux, mais aussi Lodève-le-Vieux » (Le Larzac, « Royaume de silence et de lumière », revue Causses et Cévennes, n°3,1996).
Dans son exposé le professeur Salvayre rappelait que : « le 1er novembre 1963, le lac mesurait 1250 mètres de long du nord au sud et franchissait alors la route départementale D51 qui relie les rives de la Pezade. D’une largeur de 400 mètres environ, il mesurait de 2 à 12 mètres de profondeur. Le volume d’eau stocké représentait environ 2 500 000 m3. Ce volume diminua rapidement pour se stabiliser vers 450 000m3 ». En 1963 sa durée fut d’un an, en 1956 elle ne fut que de 6 mois, mais en 1933, cette durée aurait été de 3 ans. Le lac des Rives n’apparaît pas de façon régulière comme en témoigne cet article paru dans la presse locale en 2004 : « On avait coutume de dire que le lac des rives sortait de terre tous les dix ans. Une affirmation qui depuis plusieurs années n’est plus de mise puisque son apparition se fait de manière irrégulière, la dernière en date ayant eu lieu en 1997 ». (Journal de Millau, 15 avril 2004).
Les dernières dates d’apparitions du Lac sont de cet ordre : 1976, 1983, 1987, 1996, 1997, en mai 2004 où après 7 ans d’absence l’eau est revenue dans la cuvette des rives et enfin en décembre 2014. L’évènement hydrologique mobilise chaque fois des foules de curieux au point que comme le note Alain Marchal « Des panneaux interdisent le canotage, la baignade et la plongée ce qui est pour le moins insolite sur le Larzac » (U.P.S.R, 24 octobre 1996).
Les scientifiques ont apporté toutes les explications possibles sur le phénomène. Mais les habitants continuent, encore aujourd’hui, de croire que l’eau remonte du sol, qu’elle sort de terre par un siphon comme c’est le cas dans la zone des Ménudes à Caussanuéjouls où coule une véritable rivière (4 km en ligne droite, en réalité beaucoup plus, vu les méandres), la formation des lacs des Ménudes est due à la remontée des eaux souterraines contrairement au lac des Rives qui est, selon H. Salvayre : « un bas-fond étanche dans lequel s’accumulent les eaux de ruissellement. » (le Monde souterrain du pays des Grands Causses, 2007).
« Ce lac-là n’est pas comme les autres étangs temporaires du Larzac qui apparaissent par extravasement. Lorsque les grottes souterraines sont saturées, l’eau finit par remonter à la surface. Cette dépression concentre le ruissellement des eaux météoriques des bassins versants des alentours. Et les différentes analyses ont prouvé que ce lac suspendu n’entretenait aucune relation avec le réseau souterrain d’alimentation de la rivière la Sorgue, enfoui à la verticale à 100 mètres de profondeur », avance le professeur Paul Ambert, géomorphologue au CNRS, qui a délivré son diagnostic en 1979, « Sauf que les eaux qui alimentent les Rives s’infiltrent dans le calcaire karstique et qu’elles s’échappent à flanc de prairie en donnant l’illusion de remonter des profondeurs, y compris par les taupinières. ».
Lorsqu’il pleut très fort, les particules d’argile sont arrachées. Elles arrivent en contact avec le grézou, ce sable très fin provenant de la décomposition de la roche calcaire de type dolomie. « C’est ce mélange fin et imperméable qui contribue à colmater les fissures au fond de la cuvette et qui en assure ainsi l’étanchéité », ajoute Aimé Malet, ingénieur hydrogéologue spécialiste des réseaux du plateau du Larzac. Mais, pour parvenir à la saturation des poches d’eau souterraine, encore faut-il que les précipitations soient fortes, voire exceptionnelles, et régulières. Le lac resurgit lorsque le niveau des pluies atteint ou dépasse les 500 mm en quelques jours, soit à peu près la moitié de ce qui tombe en 12 mois dans cette partie du Larzac.
En résumé, comme le note Alain Marchal : « l’apparition de lacs et de rivières sur le Larzac ne présente aucun mystère. Le remplissage des dépressions et la circulation d’eau sont dus à une saturation des sables des Canaules provoquée par des pluies importantes et surtout continues. Certaines explications qui peuvent paraître fantaisistes sont dues à la méconnaissance de la karstification particulière des dolomies ruiniformes. En effet, les règles de l’hydrologie des Causses ne s’appliquent pas à ce type de roches » (U.P.S.R. 24 octobre 1996).
Marc Parguel