[dropcap]B[/dropcap]arry, en langue romane, signifie faubourg. Ce quartier constituait, au Moyen-âge, un des principaux faubourgs de la ville ; il faut par là entendre faux bourg, c’est-à-dire un quartier situé à l’extérieur des remparts. L’abbé Joseph Rouquette nous en fait la présentation : « A proprement parler Millau n’avait qu’un faubourg, situé en face de la porte de l’Ayrolle et appelé Lou Barri, dénomination qu’il a conservée jusqu’à nos jours. Dans ce quartier, traversé par l’ancienne voie romaine, qui reliait Millau à Rodez, on trouvait plusieurs grandes hôtelleries, le couvent des Carmes, celui des Frères Mineurs et la commanderie des chevaliers de St-Jean-de-Jérusalem. Tout près du pont vieux, et en dehors de la porte de la Capelle, il y avait d’autres petits groupes de maisons, beaucoup moins considérables que lou Barri et qui ne méritaient pas le nom de faubourgs » (Recherches historiques sur la ville de Millau, 1888).
Situé dans l’axe de la rue Droite et de l’antique voie romaine menant vers le Larzac, la rue actuelle du Barry qui part du boulevard de l’Ayrolle au Pont des Capucins (autrefois nommé Cap del Barry) appelée voie publique n°12 a une longueur de 400 mètres pour une largeur de 6 à 7 mètres. Cette rue était appelée autrefois rue de l’Ayrolle, carrieyra de l’Ayrola (XIIe siècle) en raison de la porte d’honneur de l’Ayrolle de laquelle elle partait, rue droite et aussi « cami romieu » (voie romaine) et faisait partie du chemin mage de Lodève à Rodez.
Par là, passait jadis la route pavée désignée sous le nom de camy farrat, sans doute bien antérieure à la voie romaine, qui allait affronter le Lévézou, après avoir passé le Tarn à gué.
Flanqué de couvents, elle était très utilisée durant l’ancien régime, peuplé d’hôtelleries et d’auberges, voire de casernes occupées par les troupes de passage, on l’avait même surnommée : lo Barry de las Ostalarias, « le faubourg des Hôtelleries » (XVIe siècle).
Jules Artières et Camille Toulouse nous rappellent cette époque : « Comme ces immeubles pouvaient, en cas de guerre, gêner la défense de la ville, la construction n’en était autorisée par les Consuls, « protecteurs des droits du Roi et gouverneurs de la république » que tout autant que les propriétaires s’engageaient à les démolir en cas de nécessité : tel fut l’engagement imposé, par exemple, en 1496, à Pierre Rodes, « hoste » ; en 1498 au commandeur du Saint-Esprit et, en 1515, à Nicolas Galau. » (Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924)
A l’entrée de la rue se trouvaient la commanderie Saint-Jean et au-dessus l’hôpital Saint-Esprit (fondé en 1190) qui recueillait les enfants abandonnés. Cet hôpital disparut au XVIe siècle pendant la tourmente religieuse et fut réuni en 1561 à l’Hôpital Mage (actuel Hotel-Dieu). Plus haut étaient les casernes où cantonnaient les troupes de passage au XVIIIe siècle.
Plus haut encore était le Cap del Barry, où jadis on voyait les moulins de la Recluse, alimentés par le ruisseau de Bésoubies (Vézoubies), moulins « bladiés » et « drapiès », ce qui veut dire qu’on y moulait du blé et qu’on y apprêtait les draps. Quant au nom de Recluse, il nous vient du Moyen-âge : « on appelait reclus, recluses ; des personnes qui s’isolaient du monde et s’enfermaient dans une cellule par piété et par esprit de pénitence. Ces cellules dépendaient d’une église ou d’un couvent. Il en existait deux dans le Rouergue : une à Rodez, une à Millau » (J. Artières, C. Toulouse, Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924)
L’eau de la fontaine de la Mère de Dieu au ruisseau de Vézoubies, coulait autrefois en plein air, descendait par la rue du Barry et allée au Moulin de la Recluse qui se trouvait à la place de l’immeuble Sorro, amputé pour l’ouverture de la rue Jean Moulin.
Il y avait autrefois un lavoir alimenté par ces eaux qui dominait la voie ferrée.
« Au cours d’une séance au conseil municipal le 18 août 1892, une discussion s’engage au sujet d’une réparation à faire au petit lavoir de la rue del cap del Barry. Le docteur Lubac fait remarquer que les lavoirs de Millau sont construits en dépit du sens commun. On lave le linge dans un seul bassin, dans une eau qui est nécessairement bientôt contaminée à tel point que le linge au lieu d’être lavé y est sali, comme le fait remarquer le docteur Bompaire, qui se joint au docteur Lubac.
On décide : 1° que les réparations urgentes demandées par les habitants de la rue du Barry pour leur lavoir seront exécutées incessamment ; 2° que là, de même qu’au grand lavoir du boulevard de l’Ayrolle, une cloison sera établie, de manière à former deux bassins bien distincts, un pour le premier lavage, un autre pour le second ; 3°que les lavoirs seront souvent vidés et nettoyés et l’eau renouvelée. » (Journal de l’Aveyron, 24 août 1892).
Dernier témoignage des canalisations menant l’eau au lavoir, un orifice dominant la voie ferrée au Pont des Capucins, sous le mur de soutènement de la rue Montplaisir. Cette canalisation fut coupée en deux lors de la création de la voie ferrée.
Dans la rue du Barry, se trouvait l’auberge dite la caisse d’épargne, tenue par le nommé René Enjalric, gantier, âgé de 48 ans (Journal de l’Aveyron, 23 septembre 1891)
Entre la rue et le Cap du Barry est l’impasse du Barry (voie publique n°13, longueur 70 mètres, largeur 2 à 3 mètres) qui part de la rue du Barry et se dirige vers l’avenue Alfred Merle.
La rue du Barry a connu pendant des siècles une circulation très intense. En 1890, les habitants se plaignaient du manque d’éclairage : « Tout le monde se plaint, à Millau, de l’insuffisance de l’éclairage. Dans les principales rues, telles que la rue de la Peyrollerie, du Barry, la rue droite, il n’y a que deux ou trois becs de gaz. Il y a autant de différence entre l’éclairage de Rodez et celui de Millau qu’il peut y en avoir entre celui de Rodez et celui des grands boulevards de Paris. Avant de songer aux embellissements, qui ne sont que l’accessoire, le conseil municipal devrait bien songer à l’indispensable. Et certes, indispensable est la lumière, la nuit pour une ville industrielle et importante comme la nôtre. » (Journal de l’Aveyron, 15 novembre 1890)
Elle a vu aussi passer bien des drames :
Ecrasé par une charrette. Dans la soirée de vendredi dernier (17 juin 1892), un bien pénible accident a jeté la désolation dans une honnête famille. Un vieillard de 94 ans, nommé Cambaroc, demeurant au quartier du Barry, est tombé sous la roue d’une charrette, tout près de sa maison. Relevé aussitôt et transporté à son domicile, l’infortuné vieillard expirait quelques instants après, sans avoir repris connaissance (Journal de l’Aveyron, 20, 21 juin 1892)
Pauvre mère. La femme Victorine Reynes, de la rue du Barry, vient de finir ses jours d’une manière bien triste. Dans la nuit d’hier, elle crut entendre l’aîné de ses enfants chanter avec des camarades sous les croisées de sa maison. Elle l’appela pour l’engager à rentrer ; mais n’ayant obtenu aucune réponse, elle descendit et se mit à la poursuite de la bande d’écervelés qui se dirigeaient vers la maison de tolérance.
Arrivée près de la porte de cette maison, la malheureuse essoufflée se laissa choir sur le sol. Un passant la rencontra dans cet état, sans mouvement et appela du secours.
Le sieur Nouyrigat, employé de cet immeuble, sortit aussitôt et ils remarquèrent tous deux que cette pauvre mère avait cessé de vivre. Elle fut transportée sur un fauteuil à son domicile. On constata qu’elle avait succombé à une crise occasionnée par une maladie de cœur dont elle souffrait depuis quelque temps (Journal de l’Aveyron, 22 juin 1892).
La rue du Barry conserve encore quelques portes médiévales assez basses au n°2, 15 et 23. La plupart des constructions dans l’alignement ont été refaites au XIXe siècle. Un linteau au n°29 avec la date de 1878 est là pour nous le rappeler.
Elle conserve aussi le nom des hôtelleries qui la longeait :
- Rue du lion d’or nommée en 1883 en référence à l’hôtel de ce nom « Au lion d’or », ouverte en 1810 sous le nom « de rue traversière derrière les Cordeliers » qui relie les rues du Barry et de la liberté
- Rue de l’hôtel de la Croix Blanche (1883) en référence au « logis de la Croix blanche » (1616). Elle s’appelait autrefois Traverse du Barry.
- La rue de la liberté (depuis 1882) s’appelait autrefois « rue du cheval vert » (1810) où une hôtellerie portait cette enseigne.
- La traverse Saint-Jean (souvenir de la commanderie Saint-Jean).
- La rue de la pépinière rappelle le souvenir de la Pépinière créée par le conseil communal, en 1722, pour fournir annuellement 2500 plants de mûriers.
Délaissée au début du XXe siècle, suite à l’ouverture de la rue Alsace-Lorraine, et la construction de la Voie ferrée qui ont fait là deux saignées, la rue du Barry a repris vie depuis que se sont construits de hauts quartiers (Aumières, etc.) dont elle est une des voies d’accès.
Marc Parguel