Variation autour de La Couvertoirade : Sur la piste des invisibles

Millavois.com
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Après une petite promenade dans les bois de La Virenque, il est temps de se poser un peu. Confortablement installés sur un rocher dominant, nous allons suivre la piste visible des «invisibles».

Ils sont invisibles pour la plupart et pourtant tellement présents, ces animaux qui nous entourent. Pour les deviner, il vous faudra garder les yeux rivés au sol, apprendre à lire les taillis, les herbes foulées, les marques, empreintes et excréments qui parcourent les alentours. Puis lever les yeux et chercher dans le lointain les coulées et sentes qui relient les bosquets.

En un mot, il vous faudra apprendre à pister, à détecter les traces visibles de l’invisible. Le début de l’interprétation, du symbolisme, la première écriture.

Mettez votre chapeau en peau de castor et transformez-vous en David Crockett d’un jour. Mais si, vous êtes très beau avec la queue de castor dans le cou. Vous êtes prêts ? On y va!

Un peu de laine accrochée à une branche, des touffes de poils épars, une laissée déposée sur une pierre, une patte calligraphiée dans le sable, nous partons en quête des indices de ces vies sauvages qui nous entourent. Oh, il ne s’agira pas de suivre les chemins de randonnée bien balisés, pas de performance kilométrique, pas de paysages « à couper le souffle », mais une lente et laborieuse recherche de témoignages répondant à la question : « Mais qui habite ici ? »

Avec un peu de chance, nous emprunterons la belle et vaste sente d’un cerf qui mènera sur un petit replat ensoleillé. Nous l’imaginerons posé là, se séchant sous les rayons d’un soleil d’hiver. Plus difficile, engouffrons-nous dans la coulée exigeante d’un sanglier, entre les branches serrées et basses d’un taillis de buis, oui, je sais, ça griffe, ça fait mal, mais au bout, il y aura peut-être la merveilleuse rencontre.

Pour comprendre la trajectoire des animaux, il faut se mettre à leur place, voir par leurs yeux, sentir par leur museau, éprouver par leur cerveau, battre par leur cœur. Vous vous retrouverez ainsi en train de sautiller dans une flaque d’eau aussi joyeusement qu’une mésange, de vous frotter le dos contre un tronc d’arbre aussi énergiquement qu’un vieux mâle ou de sauter un muret avec la grâce du chevreuil. Et un jour, si vous apprenez à vous déplacer avec la finesse du loup, alors peut-être ferez-vous cette rencontre qui change une vie.

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Nous l’avons tous vécu, ce moment magique où une biche, un renard, un écureuil lèvent les yeux vers nous. Yeux dans les yeux. Comme un don gratuit. Dans cet échange, personne ne donne et personne n’a rien perdu en donnant. « On sent monter une improbable gratitude. Juste l’envie de rendre grâce pour cet imprévu aussi beau qui en cet instant existe et se donne aux yeux », écrit Baptiste Morizot. (Quoi ? vous ne connaissez pas Baptiste Morizot, ni Vinciane Despret, ni Vincent Albouy ? Alors, vite, courez chez votre libraire préféré, vite vite avant le printemps).

Le monde vivant qui nous entoure est si vaste et riche qu’il nous faudrait plusieurs vies pour en faire le tour. De pisteur, nous devenons parfois pistés. Quel museau sera venu renifler la souche sur laquelle nous avons posé notre sac tout à l’heure? Nous laissons, nous aussi, des traces et des empreintes, autant de signes qui ne sont pas des mots.

Pas des mots, mais un langage.

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Alors, n’oublions pas d’ouvrir les yeux et les oreilles à tout instant. Soyons à l’affut de la beauté et redécouvrons le plaisir de partager une seule et même terre. « Restons vifs et alertes dans les forêts disparues du monde » et vous verrez que le paysage est beaucoup plus qu’un magnifique fond d’écran, un terrain de jeu ou un magasin ouvert 7 jours sur 7 : c’est un monde offert que nous devons partager avec tous les autres non humains.

Partir, juste pour rencontrer on ne sait qui, on ne sait quoi, c’est l’autre nom possible de la Vie.

Solveig Letort

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