[dropcap]L[/dropcap]e Rajal (du verbe Rajar : couler) del Gòrp (corbeau) situé à 13 km de Millau, sur le causse du Larzac, en bordure de la D809, est un amphithéâtre naturel de rochers d’une superficie de 106 hectares orienté au soleil couchant, avec de longues quilles qui se dressent vers le ciel.
On retrouve ici de vastes étendues de pelouses et de landes à buis et à genévrier. On rencontre aussi sur des dolines argileuses plus fertiles, quelques zones cultivées notamment au nord et au sud du site.
Un abri préhistorique a été fouillé en ces lieux au début des années 1980 : des bijoux, des poteries, des éclats de silex ainsi que des fragments d’os humains y ont été retrouvés. Cherchez un curieux rocher en forme de dent… La promenade dans le Rajal est très agréable et sans danger.
Comme aimait à le dire Pierre Solassol : « Lo Rajal del Gòrp (lou rajal del gouorp, le ruiniforme du corbeau) appartient à l’Histoire. » Il s’inscrit dans le débat politique de la « guerre » du Larzac (1970-1981), aux manifestations anti-mondialistes (2003) avant de devenir le champ de faire d’une « rave-party » (2003).
En effet, le site se prête admirablement à de grands rassemblements. Les 25 et 26 août 1973, soutenant les 103 paysans du Larzac opposés à l’extension du Camp militaire, 60000 personnes lors d’une marche partie de Millau occupèrent ce site grandiose.
En août 1974, se remémore Pierre Burguière, « il y avait au moins 100 000 personnes rassemblées au Rajal. C’était assez incroyable. Je me rappelle que les gens arrivaient de partout, de toute la France, parfois à l’issue de marches collectives convergeant vers le plateau » (Midi Libre, 2 septembre 2017).
Pour mémoire, l’abandon du projet d’extension militaire fut prononcé par le président de la République François Mitterand, en 1981. Pour le célébrer, 10 000 personnes se rassemblèrent au Rajal, cet été-là. Notons aussi que, deux ans plus tard, le site a été le théâtre d’un autre rassemblement, contre le gel nucléaire, qui réunira 30 000 personnes.
Un sentier de découverte a été aménagé (balisage jaune). Il vous faut compter 40 minutes pour effectuer la boucle du chaos ruiniforme. Pierre Solassol pourrait nous décrire les lieux comme suit : « Cirque immense, amphithéâtre naturel orienté au soleil couchant, il se prêtait admirablement à de grands rassemblements. Et certains, encore aujourd’hui, reviennent en pèlerinage à la saison estivale. Couloirs de rochers, ocres, roses, gris, quilles élégantes ou masses trapues, qu’égayent modeste la chevelure blanchie des amélanchiers printaniers. Gagnés par l’ombre de la nuit, dentelles noires des rocs se détachent sur le ciel rouge du crépuscule. » (Vagabonds des Grands Causses, Journal de Millau, 29 mars 2007)
A proximité des ruiniformes du Rajal del Gorp se trouve l’aven du même nom appelé aussi « des quilles » (situé à 200 mètres à l’ouest de l’ex-RN9, actuelle D809 et à 400 mètres au nord du chaos rocheux). Cette cavité a fait l’objet de travaux de la part de l’Alpina en 1978. Après désobstruction en mai 1978, ce club atteint une salle de 30x12x10 à -27 mètres. D’une longueur de 115 mètres, classé au chasséen, cet aven servit de sanctuaire du IIe siècle av. J.-C. jusqu’au IVe siècle apr. J.-C. Il contenait un grand nombre d’offrandes : fibules, près de 500 pièces de monnaie, certaines à l’effigie de Tatinos, prince ruthène, lampes, statuettes, anneaux et perles, visibles au Musée archéologique de Millau. Des vases étaient également laissés en offrandes aux dieux (Tumulus, oppidum, lavogne, une balade historique sur le plateau du Larzac, dépliant).
En effet, à environ – 20 mètres de profondeur, un point d’eau semble avoir attiré les populations locales, depuis le Mésolithique jusqu’au début du Moyen-Âge (la cavité fut ensuite bouchée par un effondrement). On évalue au total près de 2800 individus qui sont venus porter leurs offrandes pour une période allant de la Tène finale au IVe siècle de notre ère.
La cavité a été colorée dans le cadre de l’étude du bassin d’alimentation de la source de l’Esperelle, la réapparition du colorant a été constatée à la résurgence de Riou Ferrand au Monna dans la vallée de la Dourbie.
En 1993, une désobstruction est entreprise par le même club de l’Alpina au niveau de l’étroiture terminale. Un prolongement s’effectue jusqu’à – 52 mètres. Il s’agit à partir de – 30 mètres d’une désescalade se terminant dans une petite salle sans continuation évidente (Ratapanade, n°6, avril 2000).
Marc Parguel