[dropcap]«[/dropcap] Quel est donc ce coffre ? » s’écria M. Vidal, boucher à Creissels, en glissant sa main à travers le mur de la cave de sa maison d’habitation en ce début de printemps 1892. Alors qu’il faisait des travaux d’excavation dans les sous-sols de son habitat, ce sont ces lapins qui lui ont fait découvrir cette boite s’apparentant à un pot, cachée là depuis des siècles ; ce sont eux qui ont déterré ce qui allait apparaître comme un trésor.
Comme nous le rappelle le journal « La dépêche » de l’époque : « En creusant, à hauteur du sol, ils ont fait se détacher une pierre, qui a montré au propriétaire ébahi la cachette contenant le magot. C’est bien le cas, ou jamais, de dire que voilà de fameux lapins ! » (26 mars 1892).
Le sieur Vidal se saisit de ce pot de terre, et à l’aide de sa lampe à pétrole vit briller de belles pièces métalliques « 72 pièces d’argent et un très grand nombre de pièces en métal ou en cuivre, presque toutes – frappées au marteau – à l’effigie de Louis XIV. Une seule au millésime de 1624. » (La dépêche, trésor découvert par des lapins, 26 mars 1892).
Mais Vidal fouillant le pot et extirpant toutes les pièces qu’il y avait dont la plupart en cuivre étaient en mauvais état, pensa qu’il s’agissait d’un trésor remontant aux Croisades et commença à crier sa trouvaille sur tous les toits du village, mais, il ne se doutait pas, que locataire des murs, le propriétaire des lieux n’allait pas tarder à se manifester.
Le Journal de l’Aveyron dans son édition du 30 mars 1892 nous le rappelle : « Le propriétaire du logis, ayant eu vent de la trouvaille, exigea de son locataire une part du butin ; mais ce dernier ayant su d’abord la chose, Casimir Reynès vint déposer une plainte au parquet.Il parait que sur le soir l’entente s’était établie, mais un peu tard, car la gendarmerie pénétrait chez les intéressés au moment du partage des pièces, les saisissait et les déposait en réserve au bureau de tabac du village en attendant qu’un jugement fût rendu » (Journal de l’Aveyron, 30 mars 1892).
Le trésor ne remontait pas aux croisades, mais il avait été caché au pied du mur de la cave, selon toutes vraisemblances, durant les guerres de religion et plus précisément pendant le siège de Creissels en août et septembre 1628 où le duc de Rohan, chef huguenot tenta de s’emparer du village.
Quelque 80 défenseurs de la cité catholique peuvent remercier l’appui du prince de Condé de les avoir sortis de cette guerre. C’est durant cette période troublée que le trésor fut caché, puisque la plus « récente » des pièces retrouvées remonte à quelques années après le siège, et porte l’inscription de 1636.
Avant que le jugement soit rendu par la justice, un correspondant du journal « l’Eclair » visita le bureau de tabac où le magot était déposé.
Voici ses impressions : « On a fait tant de bruit autour de ce trésor que nous avons eu la curiosité d’aller le voir de près. On parlait des Croisades, de l’époque carlovingienne, pour un peu la rumeur publique aurait garanti qu’on y trouvait l’effigie de Jules César. Aussi notre déception a été complète quand on nous a soumis un sachet de pièces d’argent au nombre de 70, remontant simplement aux seizième et dix-septième siècles.
Il y en a d’Henri III, de Louis XIII, de Louis XIV, enfant ; d’autres, en plus grand nombre, frappées aux armes de Castille et d’Aragon, sont du règne de Philippe IV, roi d’Espagne, de ce souverain malheureux qui, par le traité des Pyrénées, abandonna à la France le Roussillon et une partie de l’Artois ; d’autres enfin , au nombre de six, sont des monnaies pontificales aux armes du Pape Urbain VIII et dont l’inscription porte des dates variant entre 1629 et 1636.
Il y en a outre une assez grande quantité de monnaie de cuivre de la même époque, mais en assez mauvais état et n’ayant aucune valeur intrinsèque. Cette monnaie d’argent ou de cuivre est assez commune et réalisera une vente dont le produit ne dépassera pas 200 francs. » (Journal de l’Aveyron, 31 mars 1892).
Le jugement statua en faveur d’un partage équitable entre propriétaire et locataire, et le trésor ne fit plus jamais reparler de lui.
Marc Parguel