[dropcap]L[/dropcap]es rois ont leur musée du Louvre ou des Arts Premiers. Les roitelet(te)s leur quai Sully-Chaliès ou leur passerelle sur le Tarn. Je contemple, le cœur lourd, la rivière provisoirement domptée, dans son carcan d’enrochements et de granulats, qui halète et s’essouffle, en tentant de s’extraire de sa gangue tellurique. Lacérée par les mâchoires hydrauliques des engins mécaniques qui la piétinent.
Nouvelle et énième blessure infligée par cet homme tout puissant, imbu de son éphémère suprématie technologique. Je songe, mélancolique, à sa lointaine sœur québécoise, la rivière Mutehekau Shipu, qui s’est récemment vue attribuer le statut de personnalité juridique. Des gardiens autochtones veilleront donc, désormais, au respect de ses droits fondamentaux, dont ceux de vivre, d’exister et de couler naturellement.
D’être préservée et protégée en respectant sa biodiversité naturelle. Ici, pas de gardien. Et les votations citoyennes ne portent que sur la couleur des pots de fleurs. Ou de l’essence des trois arbres qui seront plantés dans les années à venir… Mais il est évident que des études d’impacts environnementaux ont, bien entendu, été menées, en amont des travaux, par nos suzerains locaux, afin de préserver ces écosystèmes si fragiles.
Je m’interroge, néanmoins, en contemplant le lit de la rivière obstruée, métamorphosée en chantier autoroutier. N’aurait-il pas été plus respectueux pour l’environnement, et au passage plus élégant en termes de geste architectural, de doubler l’actuel pont du Larzac ? A l’instar de l’ouvrage piétons-vélos construit à Ganges, sur le Rieutord ? Techniquement beaucoup moins complexe et écologiquement moins intrusif ? Mais il est vrai que mes études de génie civil remontent à Mathusalem.
Les méthodes de réalisation de batardeaux en rivière ont, selon toute vraisemblance, considérablement évolué depuis… Mais, suis-je sot ! Il s’agit très certainement d’une histoire de coûts et de budgets.
Je contemple, le cœur lourd, la rivière moribonde. En songeant à celui qui se bat contre la mort, dans son lit d’hôpital. Après avoir, une fois de plus, pu apprécier le dévouement et la gentillesse de toutes ces femmes et de tous ces hommes en blouse blanche. Ce personnel hospitalier que nos bouffons de gouvernants, à l’humanité de tableur Excel, ne cessent d’humilier et de pressurer. Combien de salaires décents et de matériels modernes dans ces mètres cubes de béton qui seront déversés ?
Ph. Donnaes
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