Sur la colline de l’Andurme (Causse de Sauveterre)

Marc Parguel
Marc Parguel
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Au sommet de l’Andurme, vue sur la vallée du Tarn (25 avril 2021). DR

[dropcap]S[/dropcap]ur la rive droite de la vallée du Tarn, dominant à l’est le village de Boyne, la colline de l’Andurme ou « Endurme » que certains traduisent par « l’Endormie » culmine à 682 mètres d’altitude, à 300 mètres au-dessus du niveau de la rivière qui coule à son pied.

Situé à la limite des communes de Mostuéjouls et de Rivière sur Tarn, cet éperon détaché à l’extrême pointe du Causse de Sauveterre est une crête très étroite de 1m de largeur seulement par endroits ; elle s’étend du nord au sud sur plus de 2 kilomètres de longueur entre les ravins du ruisseau de Trébans-Boyne à l’ouest, des Lacs à l’est.

La crête de l’Andurme. DR

Pour se rendre à ce promontoire, on peut partir du sentier historique proche de la source du Théron, sur la route qui mène au lacs. Après une montée moyennement rude, on suit le sentier des crêtes en montant sur des rochers faciles à gravir, puis le sentier descend vers un petit col. Bien avant de l’atteindre, sur la gauche, un sentier se devine. Une petite boucle, amène sous un rocher peu élevé. Un trou. Nous voilà donc à l’entrée, côté Boyne, de la grotte « qui traverse la montagne »

La grotte des maquisards

Entrée de la grotte des Maquisards (côté Boyne). DR

Cette grotte abrita le « maquis des Lacs » sous l’occupation durant l’hiver 1943-1944. C’est M. Maury, agriculteur à la ferme des Lacs, qui enseigna cette cachette à Claude Bessière : « Ce sera le premier maquis armé, FTP (les francs tireurs et partisans français), de l’Aveyron, Serge Forcolin, André Marcolin, Jean Baumel furent les premiers volontaires. M. Maury nous fournit tout un lot de planches solides (et lourdes !) qui transportées à dos d’homme de la ferme au bas du ravin et, de là, vers la grotte tout en haut, puis hissées à la verticale le long de la paroi, constituèrent le bat-flanc, les étagères et une rudimentaire porte anti-courants d’air. Car, en cet hiver 43-44, la bise qui entrait et traversait la grotte en courant et gémissant après avoir léché les champs couverts de neige ne facilitait pas le séjour. Le ravitaillement était assuré par M. Maury et par un groupe de Millau. L’armement ? Un révolver et quelques balles, un fusil de chasse aux canons sciés, et par la suite une mitraillette Sten que Jean Birebent avait accepté de donner… Peu de jours après arrivaient un fusil Mauser offert par un ouvrier ébéniste et les 17 révolvers de Calvayrac de quelques camarades espagnols réfugiés que Louis Maury démonta, déverrouilla, vérifia, et remonta avant de les confier à d’autres… Le fermier Maury avait compris que la grotte était un refuge pour des gens qui se cachent, mais non une base d’opérations et un cantonnement » (D’après Cellule 28 ou l’Embellie, Millau, 1982).

Il faut ramper avant de traverser la falaise. DR

De ces aménagements, il ne reste aucune trace. Il faut se mettre à quatre pattes pour avancer dans la grotte. On peut se relever dans la salle qui débouche sur la sortie côté Lacs. Il ne reste que les traces d’un foyer avec un peu de cendres (il est vrai que les maquisards des Lacs rejoignirent assez vite une bergerie désaffectée).

Sortie de la grotte (côté Lacs). DR

Une première occupation gallo-romaine

Un premier important habitat rural est signalé au Théron. Il s’agit sans doute d’une villa dont l’occupation s’étale du Ier au IIe voire IVe siècle. Le mobilier mis au jour comprend de la sigillée italique, de la sigillée de la Graufesenque, des sigillées tardives (IIIe-IVe siècle), de la céramique commune grise du IIIe siècle et des urnes à résine.

Sur le site de l’Andurme, après une faible occupation au Haut-Empire, une importante installation semble se faire au Bas-Empire. Cette occupation est attestée par la mise au jour de céramique commune tardive, des céramiques paléochrétiennes (Ier-VIe siècle apr. J.-C.), de monnaies de Constantin 1er (frappées à Trêves entre 341 et 346). De cette période, des murs épais ou un rempart de pierres liées à la chaux ont pu être observés, constituant un oppidum.

L’ Andurme a livré la stèle de l’ouvrier charpentier Marinus, aujourd’hui utilisé comme bénitier à l’église de Boyne (commune de Rivière-sur-Tarn). On peut y lire cette modeste épitaphe d’artisan gravée : MARINI FA BRITIGNAR TVMVL Marini fa bri tignar tumul(us). Tombeau de Marinus, Charpentier. Sur la face postérieure du monument se trouve une cavité cubique où devaient être déposées les cendres du défunt. Comme le rappelle Alexandre Albenque : « On notera la formule originale de cette épitaphe où n’apparaît l’expression d’aucune idée religieuse. C’est pourquoi je pense que l’ascia stylisée qui est tracée sur la face gauche est le symbole de la corporation du défunt plutôt qu’un signe religieux » (Les inscriptions romaines en Rouergue, les Rutènes, 1948 p.295)

L’inscription, dont les caractères sont réguliers, doit dater du 1er ou du IIe siècle. Le nom de Marinus se rencontre assez fréquemment sur les fonds de vases de la Graufesenque.

Au-delà de ce monument, on a trouvé la belle stèle anépigraphe de Mostuéjouls, sur la colline de l’Andurme Cette stèle anépigraphe, communément nommée « des trois anges », a été retrouvée par la famille Vernhet en labourant un champ qui domine Boyne entre les ravins des Lacs et du Bourg. Hauteur : 1m36, largeur 0m87, épaisseur 0 m 33. Sur la face antérieure, dans une niche surmontée d’un fronton : trois personnages en pied drapés et coiffés à la romaine (hauteur 89, 88 et 86 cm). Les deux personnages qui se donnent la main sont probablement des époux ; le troisième personnage qui les regarde et tient les mains croisées sous son vêtement est peut-être leur fils. La rosace qui orne le fronton est identique à celle de la stèle de la Graufesenque.

La stèle anépigraphe dite des « trois anges ». DR

Jusqu’à la pierre de grès

Laissons la parole à Louis Balsan : « Des débris de tégulae, quelques fragments d’amphores, se rencontrent ça et là dans les terres remuées par les animaux fouisseurs. Le dégagement d’une partie des substructions effectué pour en reconnaître l’origine- travaux limités en vue de ne pas compromettre la solidité des murs- nous révéla un fragment de brique épaisse qui servit de crapaudine ; contre les murs nous recueillîmes des tessons beaucoup plus tardifs. Nos travaux, bien que très superficiels, mirent au jour une très curieuse dalle de 140 cm de longueur sur 73 de largeur et 22 d’épaisseur, taillée dans un grès gris, à éléments fins, provenant des étages géologiques du Trias.

Elle est réemployée dans le mur de 35 mètres de longueur de la défense nord ; nous n’en voyons, dans sa position actuelle, qu’une face et une partie des côtés. Sur cette face se remarquent deux saignées transversales de 17 cm de largeur sur 1,5 cm de profondeur. Un bourrelet, haut de 11 cm court en bordure d’une saignée à l’autre, une rainure, terminée d’un côté par une cupule, le longe sur toute sa longueur. Il est bien difficile de préjuger de son usage et de dire si les saignées et la rainure sont d’origine ou retaillées ? Le bourrelet lui est ancien. Nous constatons que la dalle fut réutilisée (au moyen-âge) pour servir de seuil de porte, porte qui donnait accès, face à Boyne, à l’intérieur de l’enceinte. Sa situation, son usure assez nette vers le centre, sa disposition, tout indique cet usage. M

ais l’homme du moyen-âge n’est pas allé chercher à grande distance, le grès se trouve assez loin, et n’a pas monté jusqu’ici, par des pentes extrêmes et sans chemin, un bloc de grès de plus de 500 kilos pour en faire un seuil de porte, car le calcaire propice à cet usage, se rencontre en quantité sur place. Cette dalle fut trouvée là par des constructeurs des derniers bâtiments qui furent heureux de s’en servir pour le premier usage venu. Mais alors d’où provient-elle ? Les tegulae et la céramique trouvées en ces lieux nous indiquent une occupation romaine. Un poste d’observation à l’Andurme parait improbable, car inutile. Nous songerions plus volontiers à l’un de ces petits temples romains, ou fana, et qui semblent si nombreux sur nos sommets. Seule la foi de croyants de quelque culte païen peut expliquer tant d’efforts. Nous avons déjà vu, au fanum du Combalou (commune de Roquefort), des moulurations et des éléments d’architecture taillés dans un grès porté de plusieurs dizaines de kilomètres » (Coins perdus des Causses, l’Andurme, P.V. de la société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, T. XXXIX, 1963, p.61-62).

La table en grès énigmatique qui servit de seuil de porte. DR

Ce bloc de grès amené en terrain calcaire a posé bien des interrogations sur sa présence et sur son origine. Avant de servir de seuil de porte, avec rigole pour les eaux de ruissellement, la tradition locale lui a donné le nom de « pierre du sacrifice ». Elle proviendrait de la vallée du Bourg.

André Arnal nous fait part de ses impressions : « On peut voir encore ce qui semble avoir été une table du sacrifice ou un autel, grosse pierre qui n’est pas du calcaire, mais semble venir de l’Aubrac, certainement acheminé là par les sentiers des crêtes il est en effet quasiment impossible que cette pierre qui doit peser près d’une tonne ait été monté là depuis la vallée. C’est par ailleurs du granit, donc qui vient d’ailleurs. Malheureusement, des individus, pas très malins, espérant sans doute trouver quelque trésor au-dessous l’ont soulevé ou du moins ont essayé en faisant levier. Le seul résultat qu’ils aient obtenu a été de casser cette table en deux. » (Le site de l’Endurme, notes, 21 avril 2016).

La table en grès. DR

Au Moyen-âge

De nombreux vestiges moyenâgeux sont encore visibles. Comme nous le rappelle Louis Balsan : « Sur le sommet du promontoire, à la côte 682, se trouvent d’anciennes constructions que nous visitâmes avec le regretté Albert Carrière en 1929… Un mur peu visible en raison de sa vétusté et de la végétation dense qui le recouvre, barre le promontoire ; une sorte de bâtiment rectangulaire, aussi très ruiné, semble s’y appuyer.

A 200 m. environ au nord de ces vestiges un autre mur, de trente-cinq mètres de longueur fermait l’accès du promontoire vers l’amont. Un second mur, perpendiculaire au premier, se branchait à deux mètres de son extrémité nord et complétait la défense sur la pente occidentale de la montagne : en très mauvais état, il a disparu en grande partie et sa présence se relève surtout par des traces de mortier…

Tous ces murs sont construits en calcaire local. Le mortier des joints est soigné, à base de sable de rivière et de chaux provenant des fours à bois. » (Coins perdus des Causses, l’Andurme, P.V. de la société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, T. XXXIX, 1963, p.60).

Ces vestiges remontent au haut moyen-âge. Le mortier n’est pas gallo-romain et l’ensemble représente un habitat fortifié ou on a réemployé la « pierre en grès » comme seuil de porte. Les murs de défenses sont solides, ils ont plus d’un mètre d’épaisseur.

La source à sec de Saint-Estèbe faisant face à Boyne. DR

Comment s’appelait ce lieu ? Une tradition bien ancrée dans le pays signale que se situait ici l’ermitage de Saint-Estève. Un petit point d’eau portant le nom de « Saint-Estèbe » souvent à sec, se trouve au-dessous de l’Andurme, face à Boyne. Cette source coule abondamment après de fortes pluies jusqu’à se déverser en cascade. Son vocable transmis de génération en génération puise peut-être ses racines sous les pierres où jadis s’élevait l’habitat fortifié.

Marc Parguel

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