[dropcap]Ç[/dropcap]a commence toujours par une histoire humaine. Une histoire d’amitié et de rencontre au Sénégal entre deux vétérinaires, Oliver et Malick, permet aux deux associations d’éleveurs avec lesquelles ils travaillent de se jumeler.
Deux voyages, celui de 30 éleveurs de l’Avem (Association vétérinaires éleveurs du Millavois) à Kaolack dans le bassin arachidier et l’année d’après celui des Sénégalais dans le bassin de Roquefort furent pour tous une découverte, mais aussi un choc. Une agriculture permettant à peine l’autosuffisance alimentaire de la famille, donc une grande pauvreté d’un côté et notre agriculture, moderne, très mécanisée, soutenue par des aides publiques, générant de couteux surplus.
Des paysans des deux côtés qui partagent ce rapport à la terre et aux animaux comme un langage commun.
Un jumelage pour renforcer la santé des animaux, car c’est un peu la spécialité à l’Avem. « Mais nous le faisons depuis toujours dans une approche globale : la santé est la résultante de beaucoup de facteurs », précisent les éleveurs de l’Avem. Justement, sur place, grâce aux visites et aux longues discussions avec les agropasteurs, ils ont pointé le déficit alimentaire dès que la période sèche arrive.
Il fallait commencer par ça : l’herbe pousse quand il pleut, il est possible de faire plus de stocks en mécanisant la fenaison avec les motofaucheuses.
Comment financer l’achat du matériel ?
Les éleveurs de l’Avem sont aussi adhérents de Cuma (Coopérative d’utilisation de matériel agricole) et les agropasteurs ont l’habitude de fonctionner avec des GIE (Groupement d’Intérêt Economique)
La fédération départementale des Cuma de l’Aveyron et les Cuma des éleveurs de l’Avem puis d’autres ont prêté de l’argent à taux zéro pour l’achat des motofaucheuses remises aux Groupements.
Les actions des éleveurs de l’AVEM, autofinancées en grande partie, consistaient en formation des chauffeurs et des éleveurs à la mécanique et à la fauche, mais aussi au stockage du foin.
Après 10 ans de fonctionnement, l’Agroprov a souhaité aller plus loin dans la mécanisation en s’équipant de tracteurs.
L’agriculture sénégalaise concerne 70 % de la population. Dans cette zone elle est confrontée à beaucoup de difficultés :
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- le climat avec une période de pluie plus tardive et raccourcie à cause du changement climatique
- un sol très pauvre fortement déficitaire en matière organique beaucoup d’érosion (vent et eau)
- un calendrier cultural très chargé pour l’arachide, le mil puis le sorgho, niébé, pastèques
- pas de matériel motorisé, uniquement attelé ou manuel et un recours important à la main-d’œuvre externe
- manques et difficultés d’approvisionnement en semence
- une partie de l’engrais est subventionnée, mais déficit d’approvisionnement le fumier ne permet de couvrir qu’environ 10 % de la surface
- un accès à de l’eau souvent saumâtre des crédits de campagne à taux prohibitifs de 8 % à 15 %
- un cheptel ovin en baisse à cause des maladies, de la malnutrition et des vols
- des possibilités d’agrandissement variables, mais souvent très réduites
- des jeunes peu tentés par l’agriculture traditionnelle à forte pénibilité et qui ne trouvent pas leur place
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Il est clair que ces difficultés devraient relever d’une politique agricole très aidée comme fut la nôtre.
Au contraire, quand le FMI a exigé que les Etats se désengagent et laissent les prix agricoles s’aligner sur les marchés, les rendements ont baissé, les importations ont cassé les prix, la pauvreté a augmenté.
L’aide au développement s’est intensifiée avec un risque de dépendance.
« Notre aide, notre accompagnement est une goutte d’eau, mais peut avoir une valeur d’exemple, une façon aussi de renvoyer la balle vers ces paysans que la politique européenne a pénalisés par ses exportations. Et nous avons aussi beaucoup à apprendre des pratiques, de la réactivité et de la quiétude des paysans sénégalais !, expliquent les éleveurs de l’Avem. Nous avons voulu avoir une approche prudente de la mécanisation. Le Sénégal se lançait dans un programme de modernisation de l’agriculture en mettant à disposition des tracteurs brésiliens ou indiens subventionnés, mais encore très coûteux. Notre approche passait par des tracteurs d’occasion de faible puissance, révisés par l’équipe de l’Avem et remis aux GIE qui se transformaient en CUMA. Les Cuma, partenaires privilégiées et fidèles, nous ont accompagnés.
Ce programme fut possible parce que nous avons bénéficié tout au long de ces années de plusieurs aides de la Région Occitanie et, tout récemment, d’une aide de l’Agence Française de Développement (AFD) via l’ICOSI (Institut de Coopération Sociale Internationale). En particulier, ce programme a permis l’animation, grâce au recrutement d’un jeune ingénieur sénégalais, et la formation des chauffeurs et des éleveurs adhérents des nouvelles Cuma sur l’organisation collective, la programmation des travaux et l’organisation de la campagne de battage du mil. C’est beaucoup de changement pour les Sénégalais. 5 CUMA ont été mis en place avec 56 agropasteurs ».
« Evaluer notre action est une nécessité, assurent-ils. Nous l’avons fait par un opérateur externe, qui a bien montré les forces et les faiblesses de nos actions. Nous avons aussi tenu à enquêter les agropasteurs sur les changements apportés par le tracteur. S’il reste du travail sur l’organisation collective des Cuma, l’enquête menée par Raphael Ndiaye dans le cadre d’un mémoire de Master a montré que l’esprit Cuma était présent !
Nous redéposons un nouveau dossier AFD avec nos partenaires de Cuma Benin et ICOSI et cherchons des financements complémentaires pour inscrire la continuation de notre action vers plus d’agroécologie en nous intéressant au sol, aux pratiques des paysans locaux, aux fourrages, aux semences, en essayant de plus impliquer les jeunes et les femmes et en favorisant l’autonomie de notre association jumelée, l’Agroprov. »