[dropcap]L[/dropcap]e village de Peyreleau conserve dans le nom d’un de ses quartiers, le souvenir d’un temps où l’on pratiquait l’élevage d’abeilles. Cet endroit s’appelle les Abeillous. Son emplacement n’a pas été choisi au hasard, c’est le seul coin du village qui soit pleinement exposé au rayon du soleil. Sur chaque terrasse, il y avait des ruches.
Les ruchers étaient disposés de préférence dans des endroits chauds, au levant (très souvent contre la paroi d’un rocher, à l’abri des vents), car le soleil fait travailler les abeilles.
Au printemps, une partie des abeilles quittent leur ruche lorsqu’elle est trop peuplée, cela s’appelle l’essaimage. Les ouvrières butinent à qui mieux mieux et se répandent dans la nature, les derniers mâles présents dans les ruches sont expulsés sans ménagement. Ainsi en est-il de la dure condition masculine au pays des abeilles !
Entre la fin du mois de juin et la mi-août, les cadres des ruches livrent leur poids de miel aux arômes de sainfoin, de thym ou de busserolle, autrement appelée « raisin d’ours ».
Autrefois, les abeilles jouissaient d’une grande considération. Elles étaient même à l’occasion bénies par le curé. Si on était piqué par l’une d’elles, il suffisait de passer de l’eau de Lourdes que chaque foyer avait eu soin de rapporter du pèlerinage pyrénéen.
Il est probable aussi que les ruches étaient plus nombreuses qu’aujourd’hui parce que le miel remplaçait le sucre et qu’un certain nombre de censives se payaient en cire. Le sucre étant rare et cher, le miel le remplaçait pour le café et les pâtisseries.
On lui accordait aussi le privilège de soigner : brûlures, enrouements, enfin on utilisait la cire pour les cierges, dont l’usage dans les églises ou dans les maisons était beaucoup plus fréquent. La cire dans un grand nombre de seigneuries figurait parmi les redevances féodales.
Les plus petits propriétaires possédaient plusieurs ruches sur leur héritage. On prétendait que vendre des ruches portait malheur, aussi les donnait-on en général, à mi-fruit : « Layrolle de Liaucous donne 6 ruches à mi-fruit pour 9 ans moyennant 18 livres ; les ruches resteront en place ; bailleur et preneur se partageront les essaims… » (16 juin 1743, notaire Lafon.)
André Arnal, lors d’une visite du village me raconta ceci : « Il était particulièrement décommandé à un propriétaire de ruchers de vendre ses ruches contre espèces sonnantes et trébuchantes. Si pour une raison ou pour une autre, il ne pouvait plus s’en occuper, à ce moment-là, il la cédait à un voisin, il participait à l’entretien s’il le pouvait, il partageait la récolte de miel, de cire, etc., mais en aucun cas le vendre. C’était censé porter malheur à la colonie voire même au propriétaire. Quand le propriétaire du rucher mourait, on mettait un crêpe noir qui entourait la ruche mère en signe du deuil. C’est vous dire l’importance qu’on attachait aux abeilles en ces temps-là… » (Visite de Peyreleau, 14 juillet 2017.)
Ce crêpe noir ou drap de deuil qui recouvrait la ruche signalait aux passants et voisins du quartier le décès du propriétaire.
Sauf erreur, seul le nom de la rue rappelle au souvenir de l’élevage d’abeille sur Peyreleau. Comme le remarquait si justement Albert Carrière : « Dans une région où le miel est si parfumé, il est regrettable qu’il y soit si peu pratiqué » (Notes sur Peyreleau, 1913).
Marc Parguel