A l’occasion de la fête de Saint-Jacques, rendons-nous dans la rue Saint-Antoine, devant l’ancien hôpital qui recevait les pèlerins se dirigeant vers Saint-Jacques de Compostelle.
[dropcap]L[/dropcap]es premiers textes de nos archives municipales qui mentionnent le nom de cet Hôpital remontent à la fin du XIIIe siècle.
L’histoire du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle s’articule autour des reliques de Saint-Jacques le Majeur, chrétien des origines, disciple le plus proche de Jésus décapité en 44 à Jérusalem. Son corps aurait échoué à bord d’une barque sans rame ni voile sur la côte atlantique du nord-ouest de l’Espagne, en Galice.
Le lieu de sa sépulture aurait été révélé par un saint ermite de l’endroit, Pélage, par une étoile (Stella) venue briller au-dessus d’un cimetière (campus), d’où l’appellation de Compostelle (campus stellae) donné à cet endroit béni.
Ce n’est qu’au XIe siècle, avec la reconquête de la péninsule ibérique sur les musulmans, que le pèlerinage prit une ampleur européenne. Une cathédrale romane fut d’ailleurs construite sur le site entre 1078 et 1130.
Au cours des siècles, il s’en suivit d’invraisemblables mouvements de foules qui continuèrent, en s’intensifiant, jusqu’à l’engouement que l’on connaît aujourd’hui.
On se rendait en pèlerinage essentiellement pour trois raisons : sur ordre ou conseil de l’église pour obtenir l’exemption d’une faute grave, pour obtenir la guérison d’une maladie, ou pour sa satisfaction personnelle. Mais dans la majorité des cas, ces « marcheurs de Dieu » espéraient les clés du paradis en se lançant sur les routes.
Pour ces pèlerins en marche vers Compostelle, s’ouvrit ça et là, sur les quatre itinéraires connus qu’ils empruntaient, un asile secourable dit « Hôpital Saint-Jacques », leur offrant pendant deux ou trois jours le gîte et le couvert. Ainsi, grâce à de généreux dons effectués par des familles riches, se fonda à Millau un « Hôpital Saint-Jacques ». On estime qu’il fallait six semaines pour gagner les reliques de Saint-Jacques le Majeur, depuis Conques, situé à 100 km à vol d’oiseau de la cité millavoise. Ces routes étaient semées d’embûches et les pèlerins étaient souvent la proie des maladies. D’où l’idée de créer un hôpital à Millau pour les soigner.
De Gaujal situait cet hôpital dans la rue de la Capelle et il ajoutait que cette rue tirait son nom de là, mais comme le remarqua Jules Artières : « De nombreux textes nous obligent à reconnaître que c’est là une erreur et que l’hôpital Saint-Jacques était situé, non pas rue de la Capelle, mais bien rue Saint-Antoine, en face le couvent de ce nom : « lodig hospital, est-il dit dans un inventaire de 1313, que es davan las mayos de Sant Antoni » (Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924). C’est-à-dire devant les maisons du couvent des chevaliers de Saint-Antoine de Vienne, dans la rue qui porte son nom, rue Saint-Antoine. Il ajoute : « Le compois de 1668 n’est pas moins précis : « maison et hospital Saint-Jacques… mazures de l’esglise et de l’hospital Saint-Jacques, à la rue Saint Antoine ». Ces textes sont bien formels et nous ne devons pas hésiter à en adopter la conclusion. »
Cet hôpital est mentionné pour la première fois en 1285 et fut réuni, parait-il, en 1299, à l’Hôpital Général.
Cet ancien établissement de santé appelée confrérie ou hôpital Saint-Jacques de trois étages, aujourd’hui occupé par des particuliers, accueillit entre le XIIIe et XVIe siècles, les chrétiens en route vers Saint-Jacques de Compostelle, l’un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés d’occident depuis le XIe siècle, après Rome.
Il distribuait aussi une charité à certains jours.
Sur son activité, Georges Girard (1919-2009) nous donna ces informations complémentaires : « Son fonctionnement est d’abord assuré par plusieurs familles riches du cru, qui multiplient les dons en numéraire et en nature. Vers 1300, un comité directeur de dix personnes est chargé de recueillir les dons, et de les gérer.
Un inventaire fait état de l’équipement de cet hôpital. Il comptait cinq lits garnis, un coffre de 40 setiers de blés, une table, une croix d’argent et un encensoir en laiton ».
Les dix personnes retenues pour le gérer avaient été recrutées parmi celles qui avaient déjà fait le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Au XIVe siècle, cet hôpital avait un revenu de 44 sous et 100 setiers de froment.
Les directeurs de la confrérie ou hôpital Saint-Jacques étaient appelés regidors del hospital e de la karitat e de la cofrayria de Mossen S. Jacme.
Cet établissement offrit son bienveillant accueil à ces courageux pèlerins en marche vers Compostelle jusqu’aux guerres de religion (1562-1598) qui mettent la région à feu et à sang. Mais les Calvinistes épargnent le bâtiment, qui devient dans la foulée un lieu d’enseignement agrégé au couvent de Saint-Antoine.
En 1601, la chapelle de l’hôpital Saint-Jacques servit momentanément (Notre-Dame ayant été démolie au cours des guerres civiles et religieuses du XIVe siècle) d’église paroissiale ; Jean de Pellegri y fut inhumé en 1606.
Mais en 1680, la chapelle de l’hôpital Saint-Jacques n’était qu’une ruine. Dans un procès-verbal de visite de l’année 1683, nous lisons ceci : « ledit hospital est desmoli et il n’y reste que les masures parmi lesquelles…le devant de la cheminée de la grande salle dudit hospital et partie du clocher de l’esglise où sont les murailles » (Jules Artières, Millau à travers les siècles, p.429, 1943).
Il faudra attendre l’année 1874, comme en atteste l’inscription sur la façade du bâtiment, pour que l’hôpital Saint-Jacques devienne une habitation privée.
C’est pour que ne s’efface pas le souvenir jusqu’ici peu évoqué du passage à Millau des « Jacquets » que la Société d’Etudes Millavoises a pris l’initiative de le rappeler il y a vingt ans, le samedi 28 juillet 2001 par l’apposition d’une plaque commémorative surmontée de la symbolique coquille du pèlerin à l’emplacement même de cet hôpital Saint-Jacques, à la rue Saint-Antoine. La famille Guérin, propriétaire de cet immeuble ayant donné l’autorisation d’apposer cette plaque, la coquille Saint-Jacques a été réalisée par Henri Marquès, et depuis cette stèle fixée signale aux passants l’emplacement de cet hôpital méconnu.
Marc Parguel