[dropcap]E[/dropcap]n bordure de la rivière de la Dourbie, près des couronnes de la Pouncho d’Agast, s’étend le quartier de la Pomarède. Ce nom de Pomareda qui figure sur le cadastre millavois de 1668 n’est rien d’autre que l’équivalent patois du mot français pommeraie.
Pomarède, dès le bas latin, pomaris, pomarium, qui désignait le verger (dérivé de pomum, fruit) se spécialisa en Gaule au sens de « verger des pommiers » dans la mesure où poma, pluriel du neutre pomum avait pris le sens de pomme. L’occitan pomairet, pomaret, pomareda désignant la pommeraie, est représenté par Pomarède (Jacques Astor, Dictionnaire des noms de famille et noms de lieux du midi de la France, 2002).
Il y avait en effet, des pommeraies, du moins au XVIIe siècle, dans ce terrain fertile : « pomareda et canabieyra, en la ribieyra de Dorbia. », d’après Jules Artières, (Messager de Millau, 25 août 1906).
Dans ses « esquisses sur Millau et sa vallée », Raoul Artault de Tauriac évoque la situation de la Pomarède en ces termes : « Le revers de la Pouncho d’Agast, appelé la Pomarède, est, par sa position méridionale, le terroir le plus chaud de la vallée. À cette exposition, les gorges de la Dourbie sont resserrées, entièrement à l’abri de l’influence du vent et de l’Est ; le sol est pénétré de bonne heure par les rayons du soleil, qui, le soir, s’y concentrent avec force. » (L’écho de la Dourbie, Météorologie S 5. Météores aériens vent, gelée blanche, etc., 3 avril 1842).
Antoine de Malrieu, bourgeois de Millau, possédait en 1668 une vigne et la moitié d’un pigeonnier detras lo pon nou, sive à la Pomareda, sive als Mazels (d’après le cadastre de 1668). Ce bourgeois possédait également Cureplats.
Entre Saint-Lambert et la Pomarède, on remarquera plusieurs points d’eau, tous captés. La principale source est celle de Combe des Fonts, francisation de Comba de las Fonts (coumbo dé las fouants) le vallon des fontaines. Une appellation bien poétique dont l’orthographe varie selon les actes. Une des propriétaires, au cours d’un passage en septembre 2012 me racontait :
« Il y a quarante ans, il y avait beaucoup plus d’eau qui coulait à travers la vallée venant du Causse, on comptait de nombreuses sources, mais cela à bien changé depuis ».
Ces sources, notons-le firent couler beaucoup d’encre il y a plusieurs décennies entre les propriétaires des terrains de Saint-Lambert et de la Pomarède qui voulaient chacun en avoir la possession.
Celle de « Combe de Fonts » sort dans des broussailles, au pied de la « Rulha de Combe des Fonts » (le Rulle : éboulis rectiligne particulier aux vallées caussenardes) et sur le travers opposé au Rocher troué. L’eau est récupérée plus bas dans les « semals » et les « semalons ». Source pérenne. Cette source, et autres sourcettes alimentent les quartiers pavillonnaires de la Pomarède et de Saint Lambert.
Vente de Combe de Fond. Par acte passé devant Maitre Monestier notaire à Millau, le 21 novembre 1847, le sieur François Vernhet, propriétaire domicilié à Combe de Fonds, commune de Millau, a acquis du sieur Jean Betou, propriétaire cultivateur domicilié à Massebiau, susdite commune, une propriété en nature de bois et pacage, située dans la commune de Millau, dite bois de Combe de Fond, au terroir de ce nom, au prix de cinq cents francs (Écho de la Dourbie, 8 janvier 1848).
Vestiges archéologiques. Rive droite de la Rivière Dourbie, au quartier dit de la Pomarède, des trouvailles fortuites et mal renseignées, mais complétées par des prospections de surface, signalent la présence de céramique sigillée gallo-romaine, de céramique commune, de tubulures de four, de cales d’enfournement, de moules et de bordereaux d’enfournement (R.Marichal, les graffites de la Graufesenque, Paris, 1988).
Ce mobilier peut être daté du Ier siècle de notre ère. Cette association de matériel pourrait attester la présence de fours et d’ateliers de potiers sur ce côté de la rivière en vis-à-vis de la plaine de la Graufesenque située, elle sur la rive gauche (Alain Vernhet, Autour de la Graufesenque : fouilles et prospections sur les gisements gaulois et gallo-romains des environs de Millau, 1994). Ces minces données archéologiques ne nous permettent pas d’appréhender l’histoire de ce secteur.
Au-delà des pommiers, on trouvait également en grand nombre, des vignes. Les paroissiens dépendant du quartier de la Pomarède qui se rendaient à la chapelle de Saint-Amans-de-Bouysse (dont des ruines subsistent au-dessus de l’Hymen) devaient fournir en reconnaissance parmi les censives, du vin pour le prieuré dont il dépendait. Ainsi Pierre Raynal chapelier de Millau mari de Magdelaine Albusquier pour une vigne au terroir de la Pomarède donne en 1743 une émine vin cy 8 canons de vins, Guillaume Delbosc cellier une vigne à la Pomarède à côté de Galtier Esloy du Sr Singla un setier vin cy 1 s vin.
Françoise Creissel veuve d’Étienne Alméras pour partie d’une vigne près de l’église de Bouysse, un carton huile de noix et un sol argent cy 1 qn 1 s.
Messire François de Sambucy conseiller et… du Roi pour partie d’une vigne ou à une maison à la Pomarède pour dix deniers. Plus pour un champ jadis pred au même endroit demi quarte froment cy demi qte frt.
Charles Carthalhac, docteur en médecine pour partie d’une vigne au même endroit demi livre cire cy ½ l cire.(État des censives que M. le prieur de Bouysse lève suivant les reconnaissances reçues par M. Jean Fabre notaire de Millau l’année 1734.)
Au milieu du XIXe siècle, dans l’arrondissement de Millau, les meilleurs crus étaient produits à Comprégnac, Compeyre, à la Pomarède, à Troussit, au Chairan, à Bouysse.
À vendre aux enchères publiques « Vigne avec petite maison, située dans la commune de Millau, au terroir de La Pomarède, de contenance d’un hectare soixante-six ares vingt-quatre centiares, portée au dit cadastre sous les numéros 742, 743, 744 de la section J. On vendra en même temps un grand tonneau, dit Boulidou, deux tonneaux vinaires et plusieurs barriques. Tous ces biens appartiennent au sieur Joseph Aimé Buscarlet, perruquier, dudit Millau ». (Écho de la Dourbie, 14 mai 1853)
Un acte de vente que j’ai pu relever dans le journal local de l’époque « L’écho de la Dourbie » montre bien l’étendue des vignes dans ce secteur : « La partie en champ et vigne de la grande pièce de Bouysse, située au midi de la ligne qui divisera cette pièce en deux. Cette ligne de division sera fixée par deux bornes à planter, savoir : l’une à l’angle sud-est de la vigne acquise par le sieur Cousi du sieur Bourles Barthelemy, de Saint-Lambert, et l’autre sur le chemin qui conduit de la maison au jardin à un point distant de trente trois mètres de l’angle nord-ouest du four. Cette partie est d’une contenance de 84 ares, 38 centiares. L’entière pièce est comprise sous le numéro 431 de la section J dudit plan, pour une contenance totale d’un hectare 69 ares, 80 centiares, tenant du Nord à Cousi, du midi à terres de la succession et au sieur Vernhet.
Le restant de la partie vers le nord de la grande pièce de Bouysse, et vigne sur la maison et jardin, d’une contenance totale de 80 ares, 30 centiares, tenant d’un côté ladite pièce, d’autre le sieur Cousy et d’autre le sieur Maury » (Écho de la Dourbie, 3 juillet 1858).
On trouve la vigne sur les coteaux en forte pente où elle jouit de la meilleure exposition. En revanche, elle est exceptionnelle sur les plateaux. Les meilleures terres, nous apprend une enquête de 1821, sont les « rivières », c’est-à-dire les coteaux abrités. Mais la vigne pousse un peu partout, sur le Causse, où elle donne le vin le plus capiteux ; sur le schiste, où naît le vin le plus léger ; enfin sur le « rougier », où le vin est plus foncé avec un goût « mâle et rude ». Le tout conditionné, évidemment, par l’exposition. Mais partout le travail est pénible, le résultat aléatoire, à la merci des gelées, des orages.
De nombreuses ventes de terrains publiés dans les journaux locaux de l’époque nous rappellent au temps où la vigne était omniprésente :
• Acte de vente. « Par acte passé devant M.Monestier, notaire à Millau, le 28 octobre 1846… le sieur Alexandre Robert, propriétaire, domicilié au Monna, a acquis du sieur Antoine Michel Salgues fils, propriétaire domicilié à Millau, une propriété en nature de champ et vigne, comprenant une maisonnette, située dans la commune de Millau, au terroir de la Pomarède, bornée au levant par vigne du sieur Pointillade ; au couchant, par le sieur Creissels, taillandier ; au midi, par Marianne Loubière, et au nord, par les héritiers Aldiguier, au prix de trois mille francs. » (Annonces judiciaires, Écho de la Dourbie, 6 février 1847)
• À vendre aux enchères publiques « Vigne avec petite maison, située dans la commune de Millau, au terroir de La Pomarède, de contenance d’un hectare soixante-six ares vingt-quatre centiares, portée au dit cadastre sous les numéros 742, 743, 744 de la section J. On vendra en même temps un grand tonneau, dit Boulidou, deux tonneaux vinaires et plusieurs barriques. Tous ces biens appartiennent au sieur Joseph Aimé Buscarlet, perruquier, dudit Millau ». (14 mai 1853)
• « À vendre de gré à gré, les immeubles dépendant de la succession de feu M.Jean Carrière, dit Puissant, consistant : en une vigne et champ situés à la Pomarède » (Écho de la Dourbie, 14 novembre 1857)
Lors de la réalisation de la route de Millau à Meyrueis, fut négociée en 1861 des cessions de terrains au quartier de la Pomarède : « Par acte administratif, en date du 30 janvier 1861, MM.Rey Victor, marchand, Bion de Marlavagne, propriétaire, et Peyre Pierre négociant, ont fait vente à la commune de Millau, pour la construction du chemin vicinal de moyenne communication n° 1 de Montjaux à Meyrueis, sur le territoire de la susdite commune, savoir :
1° Rey, Victor, de treize ares quatre-vingt-dix centiares, d’une propriété en face de vigne et champ section I, situé au terroir de la Pomarède, moyennant la somme de 950 fr., et la construction d’un mur du côté supérieur et la plantation d’une haie vive du côté inférieur de la propriété.
2° Bion de Marlavagne, de cinq ares soixante-dix huit centiares, d’une vigne dite la Pomarède, numéro 755 du plan cadastral, moyennant la somme, y compris tous dommages, de 545 fr.80 cts.
3° Peyre, Pierre, de onze ares trente cinq centiares, d’une vigne et champ, section I, du plan cadastral, situés au terroir de la Pomarède, moyennant la somme, y compris tous dommages, de 814 fr.70 cts. (Écho de la Dourbie, 13 avril 1861)
Continuons à feuilleter la presse locale d’autrefois, on peut lire quelques faits divers et actes de vente concernant la Pomarède :
• 1897 : Accident mortel. Un bien regrettable accident s’est produit avant-hier soir au quartier de la Pomarède. Le sieur Amédée Frayssinet, propriétaire à la Roque, revenait de la foire de Millau sur sa charrette, avec plusieurs autres personnes, lorsque tout à coup les rênes lui glissèrent des mains. En se penchant pour les reprendre, il tomba si malheureusement qu’une roue de la charrette lui passa sur le corps. Relevé immédiatement et malgré les soins qui lui furent donnés, le pauvre homme expirait un quart d’heure après (Messager de Millau, 8 mai 1897).
• À vendre de gré à gré. Usine à la Pomarède, près Millau, dépendant de la succession de M.Adrien Selles, avec grande chaudière, machine motrice de 25 chevaux, broyeur et grande presse hydraulique, le tout en très bon état. On cèderait aussi l’industrie des cuirs factices, graisses et engrais qui y était exercée. S’adresser à M. Jules Guy, fabricants gantiers, à Mme Selles, avenue Gambetta, n° 30 et à Me Layral, notaire (L’indépendant Millavois, 20 août 1910).
• À vendre, une propriété, en nature de pré, située à Bèches, commune de Millau, une vigne, située à la Pomarède, même commune ; on diviserait. Le tout appartenant aux héritiers Valdebouze. S’adresser à Me Sabathier, notaire, chargé de la vente (Messager de Millau, 20 janvier 1912).
• À vendre à l’amiable (Étude de Me J Monestier, licencié en droit, notaire à Millau (Aveyron). Une propriété sise à la Pomarède, commune de Millau, composée de jardin potager, avec puits à noria et canalisations, maison d’habitation, champ et rivage, d’une contenance de 90 ares, 40 centiares, susceptibles d’un revenu de cinq cents francs. Appartenant à Madame veuve Cyrille-Casimir Roudil. (Messager de Millau, 19 octobre 1912.)
En 1943, Raymond Robert notait cette particularité : certains propriétaires du Monna ont des terres qui s’étendent depuis Laumet à la Pomarède sur une distance de plus de 6 km (Notes manuscrites, cultures en 1943).
Ce quartier de la Pomarède, est devenu depuis pavillonnaire où gîte avec chambre d’hôtes voisine avec la verdure et le calme dans la vallée riante de la Dourbie.
Marc Parguel