Patrimoine Millavois : Sur les pas d’Emilie Arnal (1863-1935) dans le Millau d’autrefois (2e partie)

Marc Parguel
Marc Parguel
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L’avenue des platanes (DR)

L’avenue des Platanes

Le « Millau d’autrefois » c’est aussi l’Avenue des Platanes, qu’évoque Emilie Arnal dans son ouvrage « un oiseau dans l’Azur » relatant ses souvenirs d’enfance en prose rimée : « C’est ma fête aujourd’hui. Nous sommes invités chez la bonne cousine que ma chère maman aime comme une sœur. La maison est au coin de la longue avenue où les platanes font des dômes de verdure, et le feuillage vert met un voile flottant dans le vaste salon qui s’ouvre sur la route.

C’est là le rendez-vous de toute la famille… Au dessert, on m’apporte une pièce montée : de la neige, glacée d’un givre étincelant. Une rose est au cœur du gâteau magnifique, rouge, fraîche et luisante en son bouquet de feuilles…On me donne la rose, et je vais m’amuser sous la voûte en arceaux des platanes géants. »  (La rose disparue).

Cette avenue des Platanes n’était autre qu’une partie de l’avenue Jean Jaurès actuelle, ancienne avenue de Paris.

Les platanes en question qui l’ombrageaient  furent plantés en trois fois : en 1778, suite à la création de l’avenue puis en 1870 et enfin en 1880.

L’avenue « des platanes » en août 1903. DR

Jusqu’à la belle époque, cette avenue dans cette partie des platanes était fort prisée des Millavois, surtout ceux épris de tranquillité. Située dans un secteur calme, sous la magnifique voûte que lui faisaient des arbres respectables, cette voie se démarquait de l’Avenue de la République (ex-avenue de Rodez) où se faisaient la Monte jusqu’aux Marronniers plantés en 1778 (près du Pont Landau) suivis d’une autre plantation sur 1 kilomètre dans la montée du Crès en 1889-1890.

Les platanes de l’avenue devinrent trop gros, au point d’en être encombrants, ce qui leur coûta la vie, dit-on pour excuser leur abattage.

« Doux pigeons que j’aimais, pigeons de Notre-Dame » 

Assise près de sa fenêtre à l’angle de la rue Sarret de la Capelle, la jeune Emilie raconte : « Je regarde la rue et notre Place d’Armes. Je vois la vieille église à la flèche élancée d’où sortent les sons clairs en notes de cristal. J’écoute le refrain triste de la fontaine coulant avec un bruit de pluie dans le bassin, et je me sens aussi toute mélancolique. Voilà ! je suis un peu fâchée avec Julie, qui voulait, ce matin, m’obliger à sucer une aile de pigeon. D’abord, je n’ai pas faim. Et puis, je n’aime pas qu’on mange les pigeons.

La place Foch (ancienne place d’Armes) DR

Je les trouve jolis dans leur robe de moire ! Surtout, ils n’ont jamais fait de mal à personne, et ce sont des oiseaux sacrés ! …En voici un qui marche sur la place. Ils luisent au soleil comme des boules bleues ; ils paraissent heureux…Il doit bien arriver qu’on leur casse la patte ou l’aile ! Alors ils vont se cacher près de Dieu. Je les ai vus souvent s’enfuir vers le clocher (extrait du texte « Ainsi que les pigeons »).

Les odeurs du cuir

Le jeudi, c’est le jour de la promenade. Aussi Emilie raconte sa journée : « On va vers le Pont Lerouge, aux tanneries, qui ne sentent pas bon avec toutes ces peaux qu’on racle, qu’on suspend pour les faire sécher. Nous nous bouchons le nez. C’est vraiment détestable ! Comment supporte-t-on, dans cette jolie ville, ces mauvaises odeurs ?

Voilà : c’est nécessaire ; et, sans tout ce travail, beaucoup de pauvres gens auraient grand-peine à vivre.

Oui, mais ils pourraient bien faire des choses propres : de la parfumerie, des gants, de la dentelle !

Par malheur, ce gros cuir nous est indispensable. On ne peut pas toujours n’avoir que des sandales ; pour marcher dans la boue, il faut de bons souliers. Et l’on se sacrifie aux choses nécessaires !

Moulins du Pont Lerouge. DR

C’est de l’humble travail que nous vient la beauté. Ces mignons escarpins et ces bottines jaunes, les ceintures à boucle et les sacs de voyage, la malle de papa et son porte-monnaie sont faits avec les peaux que nos tanneurs préparent. On n’aurait pas cela sans tous les travailleurs qui ne refusent pas de se salir les mains.

J’aime les ouvriers. Ils sont intelligents, ils savent leur métier, ils sont gais, généreux ; s’ils boivent quelquefois une bonne bouteille, ils ont, quand il le faut, la noblesse du cœur. Ils savent s’entraider. Quand leur pays prospère, ils gardent la fierté de se sentir utiles » (Extrait du texte « les mauvaises odeurs »)

Le père d’Emilie, Lucien Arnal devait décéder malheureusement en 1873, il n’avait que 42 ans et sa fillette douze ans.

Sa maman ne devait décéder que bien plus tard. Déjà, Emilie avait connu le deuil par le décès de son grand-père maternel : Hippolyte Vidal qui devait mourir l’année auparavant en juillet 1872, âgé de 71 ans.

Evoquant le souvenir de celui qu’elle avait beaucoup aimé durant son enfance, la poétesse écrivait : « On m’envoie souvent chez mon grand-père qui sait tant de beaux vers, et de contes merveilleux, il est un peu souffrant et ne sort pas beaucoup, mais il a voyagé du temps de sa jeunesse, lorsqu’il a dû partir pour l’exil en Espagne. Je m’assieds près de lui dans mon petit fauteuil ; je tiens un livre ouvert, posé sur mes genoux. » (D’après le texte « les livres sont ouverts »)

« O mon grand-père aimé, ton âme généreuse éprise de justice et d’ardente bonté, a connu l’âpre vent du malheur. Tu as connu la douleur de quitter ta patrie (c’était en 1830 au moment de la Révolution) de t’arracher à tout ce qui fut ton bonheur, à l’exil, les rudes hivers de la terre étrangère ont détruit ta jeunesse et sa brillante fleur et tu meurs lentement la poitrine meurtrie par l’air qui n’était pas l’air de la douce France ; et, quand ta voix brisée murmure encore un chant pour ta petite fille, assise à ton côté, je regarde, troublée, tes yeux brillants et fiers où se lit le secret d’un tragique destin. »(D’après le texte « Le vent qui passe »)

« L’Espagne fut pour toi, l’exil, la pauvreté, la douleur, l’inconnu, la grande solitude, l’angoisse de penser au désespoir des tiens, le deuil de ta patrie et de ses espérances, et tu n’écoutais pas les sonnailles d’argent, mais les balles qui sifflaient au dessus de vos têtes, lorsque tu traversais la frontière espagnole, allongé sur le char  d’un vieux contrebandier. » (D’après le texte « Les deux Espagnes »)

Pour Hippolyte Vidal, ce destin lui avait compté vingt ans de lutte et de souffrance, de fortune perdue aussi. Après son mariage tardif à l’âge de 32 ans, il avait perdu sa femme qui n’avait que 50 ans, mais il avait eu la joie de marier sa fille Elmy à Lucien Arnal qui lui donna sa chère petite Emilie.

Celle-ci se rappelait avec émotion d’une journée mémorable pour ce vieux grand-père qui se mourrait : « Un soir, j’étais restée, la tête abandonnée sur tes genoux, couverts d’une tiède fourrure. Tu me gardas longtemps sans bouger, sans parler, respectant le chagrin de ta petite fille, seulement. De ta main amaigrie et brûlante, tu  lissais doucement les lourdes nattes fauves, et quand je relevais mon visage pali tout humide des pleurs en silence versés, tu dis en souriant ces beaux vers de Musset :  « La tempête s’éloigne, et les vents sont calmés, la forêt qui gémit, pleure sur la bruyère, le phalène doré dans sa course légère, traverse les prés embaumés. » (D’après le texte « le Phalène doré »)

A onze ans, Emilie a perdu son grand-père. Elle dit : « Grand-Père est mort. Depuis ce matin, on m’a mis, pour la première fois, une robe de deuil. Noire, bordée de crêpe, elle dit mon malheur. Je regarde les yeux de maman, si brûlés, que je n’ose augmenter sa douleur de la mienne » (D’après le texte « L’ombre de mon ami »).

Emilie Arnal en 1908. DR

Le départ vers Paris

Après de sérieuses études au couvent de la Présentation, Emilie partit à seize ans à Paris, pour suivre des cours à l’école de Sèvres, acquit une vaste culture et embrassa ensuite la carrière de l’enseignement, professant pendant de longues années le Français et la littérature au lycée de jeunes filles Edgard-Quinet à Paris.

De la Capitale, elle dira : « Paris ! Je t’ai connu enveloppé de brume, de fumée, de brouillard et noyé sous la pluie ; et dans la solitude immense de tes rues, je n’ai pas eu le réconfort de la présence de ceux qui souriaient autour de ma jeunesse. Je me sens là, perdue, comme une goutte d’eau, dans l’incommensurable abîme de la mer… Pourtant, dans cette foule où je reste un atome, je suis mêlée aux flots qui portent dans leur sein la palpitation sublime de la vie » (D’après le texte « Les dames de Paris »)

A suivre…

Marc Parguel

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