Patrimoine millavois. Le Voultre (2e partie)

Marc Parguel
Lecture 10 min.
La Porte du Voultre et non du Pouzous comme indiqué sur la carte postale. (DR)

De la rue du Castellas à la rue du Voultre

La rue du Voultre est le type des rues étroites et plus ou moins tortueuses des très vieilles cités. Elle s’étend de la rue des Jacobins à la rue du Jumel. En 1843, R.A.de Tauriac écrivait : « La rue du Voultre faisant face à l’avenue du pont vieux était terminée par un petit fort connu dans tous les anciens terriers sous le nom de Château Trompette, et encore aujourd’hui les restes sont appelés Château de Gozons » (Esquisses sur Millau et sur sa vallée, fortifications, l’Echo de la Dourbie, 26 février 1843)

Le plan de la ville de 1865 appelle cette voie rue du Castelas, augmentatif de castel (château) ; c’est ainsi qu’on appelait le Voultre que, dans un livre de reconnaissance de l’Hôpital, du XVIIIe siècle, côté B5, on désigne sous le nom de château trompette. Cette dénomination fut remplacée, en 1883, par celle de Rue du Voultre.

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Cette rue fut jusque dans les années 1960 très vivante, on y voyait quatre épiceries, un boucher, une charcuterie, une boulangerie, un cordonnier, un marchand de journaux, un marchand de volailles..

On y voyait la boulangerie Rivière, la boucherie Bernat. De l’autre côté, l’Etoile du Midi tenu par Madame Boudes et en face le cordonnier marchand de chaussure Aninat.

Cette rue fut aussi le témoin de drames. Le 20 septembre 1922 : « Un jeune enfant, Jean Cavalier, âgé de deux ans, qui jouait sur une terrasse au deuxième étage de l’habitation de ses parents, rue du Voultre, s’étant hissé sur une chaise, est tombé dans la cour. Dans cette chute de six mètres de hauteur, le pauvre petit a eu le crâne fracturé. La mort a été instantanée » (La Dépêche, 21 septembre 1922)

Groupe d’enfants devant le porche du Voultre. (DR)

La Place du Voultre

 A partir de 1290, le Voultre donne accès au grand couvent des dominicains ou Jacobins, installé sur l’emplacement actuel du temple et de la place Emma Calvé.

Elle était désignée au Moyen-âge sous le nom de « plasseta del Voltre » au même titre que la « plasseta del Payssieira » et elle ne représentait qu’un carrefour de rue. Sa superficie était fort réduite, ainsi que l’on pouvait encore le constater jusqu’à nos jours, conservant son assiette d’alors. La véritable place de Millau était l’actuelle place Foch autrefois « place Matge » ou encore « Plassa de la Gleya », véritable forum de la cité millavoise.

La place était le cœur d’un quartier habité par une population ouvrière. Elle était un carrefour entre la Rue Haute, le Temple, la Rue des Jacobins et la Rue du Voultre qui descendait vers l’Hôpital et le Tarn. On l’appela un temps « Place des Jacobins ».

Dans quelques vieilles maisons de la place du Voultre, comme dans les autres quartiers de la ville, subsistent encore des vestiges qui témoignent de l’ancienne splendeur intérieure de ces habitations.

[highlight color= »yellow »]Bien des histoires ont eu lieu sur cette place :[/highlight]

Tapageurs nocturnes. « Dans la nuit du dimanche 8 à lundi 9 mars 1891, à 11 heures, les agents de police Lacombe et Fontaneilles se trouvant de service furent appelés, place du Voultre, pour faire cesser le bruit et le tapage scandaleux que faisaient dans un caboulot du quartier une bande d’ivrognes coutumiers du fait. Une véritable bagarre s’ensuivit. Les deux agents furent insultés, bousculés et assaillis par une grêle de pierres. Ce n’est que grâce à leur énergie et à leur sang-froid qu’ils purent maintenir et conduire au violon quatre des plus enragés ; mais ils furent obligés pour tenir à distance le restant de la bande, de tirer en l’air un coup de revolver. Un bec de gaz a été cassé par les pierres, à côté du commissariat. » (La dépêche, 11 mars 1891)

On nous écrit de Millau (Aveyron). Les quatre individus dont vous avez annoncé l’arrestation il y a deux jours, à la suite de tapage nocturne et coups aux agents viennent d’être jugés correctionnellement : les nommés Conne et Puech, à vingt jours de prison chacun ; Chapert et Arragon à trois jours de la même peine. La justice serait sur les traces des autres tapageurs du quartier du Voultre, dont l’un, par son audace, a forcé l’agent Fontaneilles à faire usage de son révolver » (Le Petit Marseillais, 15 mars 1891)

Imprudence de Repasseuse. Millau, le 12 mars 1911. Hier, vers 2 heures, Mlle Galibert, domiciliée, place du Voultre, avait allumé un réchaud pour repasser du linge. Elle eut l’imprudence de verser de l’essence sur le réchaud pour activer la combustion. Une colonne de feu l’environna tout à coup, et ses vêtements s’enflammèrent. Aux cris poussés par la jeune fille, des voisins accoururent : mais la victime portait sur tout le corps de graves brûlures. Son état inspire de vives inquiétudes » (Le Petit Marseillais, 13 mars 1911)

Un chien enragé mord quatre personnes. Millau, le 18 octobre 1925. « Dans la journée de vendredi 16 octobre, un chien enragé a mordu, place du Voultre quatre personnes de notre ville : Mme veuve Rivière, 70 ans, Charles Tarrusson, 18 ans, Mme Delmas, 57 ans, et M. Delmas, fils 18 ans. Les victimes de ce chien hydrophobe ont été transportées, le soir même, en auto, à l’Institut Pasteur à Montpellier » (La Dépêche, 19 octobre 1925).

L’îlot du Voultre avant sa démolition. (DR)

En 1897, un concours publié dans le « Messager de Millau » demandait aux Millavois :  « Que feriez-vous si vous pouviez disposer d’un million ? De quelle généreuse fondation, de quelle œuvre gigantesque, de quelle institution bienfaisante doteriez-vous votre cher Millau ? ». En 9e position figurait « le dégagement du Temple et des églises Notre-Dame et Saint-Martin, et reconstruction de celle-ci. »

Ce dégagement du Temple s’effectuera quelque 122 ans plus tard. En 2016, la ville a pris la décision d’acquérir le bâtiment du Voultre (entre les rues Haute et la rue des Jacobins) pour 200.000 € et de procéder à sa démolition. Puis le choix a été fait de conserver cet espace libre et public et d’y créer une nouvelle place publique de 1710m2.

Des fouilles furent réalisées en amont, avant l’aménagement de l’actuelle place et ont révélé une partie des fondations de l’église des dominicains (détruite en 1867) au profit de la construction du temple en 1869, en connexion avec les vestiges de l’ancien portail du XVIIe siècle. La démolition de cet îlot n’a pas plu à tout le monde, et nombreux ont été ceux à vouloir conserver la croix qui surplombe une façade, à l’angle des rues Haute et des jacobins.

La croix du Voultre. (DR)

Cette croix processionnelle fut érigée par le curé de l’église Saint-Martin  au XIXe siècle et son motif décoratif rappelait la présence des Dominicains. Au-dessous de cette croix fichée sur la façade était « l’épicerie Arnal » tenue par Justin Arnal, né en avril 1858 surnommé « Lo Lebraù » suisse de l’église Saint-Martin. Mégissier de profession, il est décédé le 16 octobre 1933, âgé de 75 ans, au 17 de la rue Droite.

La nouvelle place du Voultre (15 janvier 2022). DR

Malheureusement, le souhait de la population de conserver cette croix qui veillait sur la placette ne sera pas exaucé.

Au n°4 de la place du Voultre, la façade colorée par de multiples pots de fleurs et autres ajouts décoratifs mérite d’être signalée.

Les démolitions ont débuté en janvier 2020 et après un an de travaux, la placette du Voultre a changé de visage pour devenir une véritable place ombragée par des platanes laissant passer plus de lumière sur le Temple ou la porte du Voultre. 

Marc Parguel

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