[dropcap]L[/dropcap]a foire du 17 mai a toujours été associée à « la loue » qui ne possède désormais que le nom comme souvenir. Dans son dictionnaire des institutions, mœurs et coutumes du Rouergue, Henri Affre en 1903 écrivait : « Il existait fort anciennement en Rouergue et dans des lieux déterminés des marchés où se rendaient les personnes désireuses de se louer comme domestiques ou seulement pour la levée des récoltes.
Ces marchés s’appelaient louogos en patois, d’où le mot loue en un français particulier à notre province ».
Cette foire semble s’être toujours tenue sur le Mandarous, du moins de mémoire d’anciens Millavois.
Dans le quotidien « L’Eclair » qui précéda « Midi Libre » en date du 18 mai 1888, on pouvait lire : « Louage de domestiques. Comme les années précédentes, la Place du Mandarous était bondée, hier, de domestiques, à l’occasion du louage ».
En 1842, notamment dans « l’Echo de la Dourbie » du 8 mai, ou dans l’Annuaire de l’Aveyron de 1846 : la loue qui, existait sans doute déjà, ne figurait pas parmi les 5 foires traditionnelles de Millau. Ce fait est déjà confirmé par une lettre de 1825 écrite par le Maire de Millau à M. le Sous Préfet : « Par votre lettre du 11 octobre, vous me demandez de vous fournir un état indiquant les foires qui se tiennent dans ma Mairie, les époques auxquelles elles ont lieu… J’ai l’honneur de vous répondre, M. le sous-préfet, qu’il y a dans cette ville 5 foires seulement. La 1re s’y tient le 1er jour de Carême ; la 2° le 6 mai ; la 3e le 6 août, la 4e le 28 octobre, et la 5e le 15 novembre de chaque année ». Alors la loue était-elle, ou non considérée comme une « foire » ? Si on se réfère au Journal de l’Aveyron du 15 mai 1867 concernant « la loue » : « c’est une foire où, d’habitude, il ne se traite pas d’affaires commerciales et qui a surtout pour but le louage des domestiques. »
Ces foires de la loue ne concernaient cependant pas que des valets et des loueurs. On en trouve mention régulièrement dans la presse :
En 1920 « La « loue » du 17 mai avait amené une grande affluence de monde. Les salaires sont de plus en plus élevés. Les bonnes pour la ville étaient payées de 1000 à 1200 francs et pour la campagne de 1400 à 1800 francs. Les bergers, valets et domestiques de ferme gagnent de 3000 à 3600 francs par an, nourris, blanchis et couchés » (Millau, L’Auvergnat de Paris, 29 mai 1920).
Comment se déroulait la loue ?
Dès 10 h du matin, de jeunes gens se présentaient, attendant d’être accostés par un « propriétaire » éventuel (de famille pauvre ou ayant besoin d’un emploi, ils recherchaient un travail pour 3 ou 6 mois, où à l’année, ou pour l’été seulement « l’estive ».
Pour se faire connaître, les bergers avaient un fouet, ceux qui s’occupaient des bœufs montraient leurs aiguillons, chacun savait se faire reconnaître.
Celui qui venait recruter paraissait imposant avec sa blouse neuve, son chapeau noir (signe d’une certaine aisance) et son foulard bariolé autour du cou !
Son regard vif et rusé, semblait dit-on après coup, « jauger » le futur valet de ferme. Très vite, le couple employeur et personne cherchant un emploi se créait, débattant du salaire qu’on recevrait et du temps de louage. L’accord ne tarda pas à se faire, symbolisé par un tapement du plat de la main de l’employé vers le futur patron qu’on appelle « la pache »scellant le marché. Bien qu’oral, il engageait les deux parties.
Le domestique engagé recevait jusqu’à 5 francs pour se refaire des frais de cette journée, et s’offrir à boire dans un bon café millavois. Le renouvellement du personnel des exploitations, voire leur réputation, se voyait alors au jeu de l’offre et de la demande.
Certains employeurs qui avaient déjà leurs ouvriers dont le contrat se finissait ce jour-là attendaient malignement la loue au dernier moment pour les reprendre et fixer un tarif un peu plus bas.
Raymond Cassan dans une publication Facebook (« Tu es de Millau si… », 17 mai 2016) évoque ses souvenirs : « Dans les années 50, les bergers et les domestiques se louaient ce jour-là. L’accord se faisait en se tapant dans la main (la patche) que le nouveau patron agrémentait du (binatche) petite somme d’argent pour aller boire un coup. En principe les deux parties respectaient le contrat oral. Mais il pouvait arriver que certains « mauvais ouvriers »encaissent plusieurs « binatche » sans se présenter le lendemain chez aucun patron… Le salaire était fixé au moment de la « patche »… Pour un berger le 17 mai était souvent le seul jour de congé… Avant de se décider pour un patron, bergers et domestiques se renseignaient sur les qualités culinaires de la patronne….Très important : l’accès à la cave était-il libre ou pas ? Un berger bien connu à Millau ne trouvant pas d’employeur avait déposé sur le Journal de Millau la petite annonce suivante : « Homme 50 ans cherche place berger, cave fermée s’abstenir… »
Mon père, né en 1930, se souvient qu’il y avait « une autre petite loue le dernier dimanche de mai pour ceux qui ne s’étaient pas entendus, ou pour ceux dont l’échange n’avait rien donné. »
Désormais la foire du 17 mai n’est qu’une continuité de celle du 6 mai, la loue qui permettait au berger ou ouvrier agricole de se placer a été remplacé par le salon de l’emploi saisonnier, qui assure les mêmes fonctions, mais qui ne recrutent plus de berger, mais des serveurs cueilleurs le temps d’une saison.
Marc Parguel