[dropcap]D[/dropcap]e toutes les chansons vantant la ville de Millau, il en est une qui fait incontestablement partie de notre Patrimoine Millavois. Œuvre de Joachim Balitrand, cette chanson dont le titre signifie les flots, les vagues est une barcarolle en « lengo nostro » bien connue des Millavois que l’on prononce communément « Loi Zounzados, loi nuech d’estiu ol gourp de Bados ».
Elle nous est définie comme suit par son auteur « ce sont les petites vagues, les ondulations de la surface de l’eau que fait un bateau en voguant ».
Cette berceuse se chantait fréquemment dans les fêtes familiales millavoises tant la mélodie en est belle et signe les qualités techniques du musicien qui la composa.
Joachim Balitrand est né à Millau, 7 rue droite, le 13 mai 1823, fils de Victor Balitrand, d’abord marchand chaudronnier, puis fabricant de colles et de Julie Salvat. C’était un poète et un ancien chanteur de l’Opéra. Il habitait la Manne, jolie maison de campagne, route d’Aguessac. Outre la chanson présentée ici, on possède de lui, parus dans le Messager de Millau en février 1875 : « le fils du Paysan » et « le Tanneur ».
Il se maria avec Iphigénie Aussel, originaire de Saint-Georges-de-Luzençon. Il mourut le 2 mars 1877 dans sa maison, rue de la Pépinière, dans sa 54e année.
Il était le père d’André Balitrand, député-maire de Millau, dont la statue figure au Parc de la Victoire.
Las Onzadas
Tot flamba e brilha dins lo cèl
E cada estèla rivalisa ;
Lo temps est doç coma un anhèl,
L’ôm sentis pas la mendra brisa.
Lo Tarn es lis coma un sabon
E fresque coma las filhetas ;
Tôt es florit, tôt sentis bon,
Tôt se parfuma de violetas.
Dels camps, al prats, dins los silhons,
Jos cada mota, jos las peiras,
Riquets, granolhas, aùcelons
Barjan coma de revendeiras.
Los plors me ganhan los quinquets
Mon ama es tota endolorida ;
La canson méma dels riquets
Finis per me semblar polida.
Acô de vêspres sens pariùs ;
Dins los azurs tot es en festa ;
Los angelons i cantan Diùs
Dins una armonia cèlesta.
Refrin
E mon naviôl, doçamenton,
Sa balança dins las onzadas
Del camp del Prior al Gorg de Badas
Del Gorg de Badas al Saùtador (bis)
Les Vagues
Tout flambe et brille dans le ciel,
Et chaque étoile rivalise ;
Le temps est doux comme un agneau
L’on ne sent pas la moindre brise.
Le Tarn est lisse comme un savon
Et frais comme les petites filles ;
Tout est fleuri ; tout sent bon,
Tout est parfumé de violettes.
Des champs aux près, dans les sillons
Sous chaque motte, sous les pierres,
Grillons, grenouilles, oisillons
Bavardent comme des revendeuses.
Les pleurs me gagnent les yeux,
Mon âme est tout endolorie ;
La chanson même des criquets
Finit par me sembler jolie.
Ce sont des soirées sans pareilles,
Dans l’azur, tout est en fête.
Les angelots y chantent Dieu
Dans une harmonie céleste.
Refrain
Et mon navire très doucement
Se balance dans les vagues
Du champ du Prieur au gouffre de Bades
Du gouffre de Bades au Saùtadou (bis)
Joachim Balitrand
Avant Joachim Balitrand, d’autres poètes ont chanté ce pittoresque quartier de Millau. Lucien Grégoire, troubadour millavois du XIXe siècle, écrivait : « Si vous voyez, chose sans pareille, les bateaux sur les eaux du Saoutadou »
Selon Pierre Edmond Vivier, ce nom de Saoutadou est dû à la chaussée ou au barrage du moulin qui se trouve justement en cet endroit. Entre autres acceptations, le mot « Saoutadou » désigne tout « saut » ou chute d’un cours d’eau, plus ou moins marquée, naturelle ou artificielle. (L’ancien quai, Bd Richard, Journal de Millau, 23 janvier 1979).
Edouard Mouly l’a largement évoqué dans ses chroniques de « Mylou du Pays Maigre » reprises dans son livre « Alades » en 1942 : « Il est probable que, pour pallier à la perte du pont qui dura jusqu’en 1822, on dut organiser un bac plus ou moins rudimentaire. Ce bac permettait de « sauter » le Tarn. Je souligne ce mot « sauter », car il était d’usage, courant dans le parler local. Du père l’Albigès, qui en amont du Pont de Fer avait installé un bac, on ne disait pas qu’il passait le Tarn. On disait : « Soùtabo Tar » (il sautait le Tarn). Même remarque pour le père Sicard qui, à la Salette, « soùtabo Dourbio » (il sautait la Dourbie).
Le bon poète Grégoire, dont j’eus l’honneur d’être l’ami, avait chanté son charmant paysage :
« Se besias, caoùso son porelho
Lous nobiols desul Soùtodou,
Lo ribal pleno de frescou,
Dirias be de Milhaù qu’ocos uno merbelho ! »
« Si vous voyiez, chose sans pareille,
Les petits bateaux sur le Saoutadou
Le rivage plein de fraîcheur,
Vous diriez de Millau que c’est une merveille. »
Lo ribal, c’est-à-dire le bois de peupliers, de vergnes et de saules qui s’étendait sur la rive gauche depuis le talus de l’ancien Pont de fer jusqu’à la chaussée. Il fut ravagé par l’inondation de 1900. Les quelques arbres, le peu de végétation qui subsistent, ne sont rien à côté de ce qui existait. Les dimanches d’été, l’après-midi, c’était rempli de monde. Beaucoup de familles venaient y souper sur l’herbe et, tard dans la nuit, fusaient les chansons.
La plupart des gens venaient par le pont. D’autres, pour la redevance d’un sou, avaient passé l’eau sur le bac du père l’Albigès. Mais ils étaient assez nombreux à Millau, alors, ceux qui avaient leur nobiol.
C’était une flottille en miniature qui stationnait sur la rive droite. Des anneaux de fer, scellés dans les gros quartiers de roche, et des chaînes permettaient l’amarrage. Les bateaux, à fond plat, étaient longs de 4 à 5 mètres. Légèrement cintrés, leur largeur maxima ne dépassait pas un mètre. A la partie arrière, terminée de façon carrée, était un coffre servant de siège. Des taquets supportant des planches faisaient des sièges supplémentaires répartis sur la longueur. La proue, également carrée, se relevait comme un sabot pour permettre l’accostage facile sur les bords plats de la rivière. Cette batellerie n’était mue ni par les rames, ni par les voiles, ni par moteurs. C’est au moyen d’une forte perche, qu’armait un capuchon de fer, qu’on poussait le bateau.
Les heureux possesseurs de nobiols franchissaient donc le Tarn dans leur esquif. De l’autre côté, l’amarrage se faisait à un tronc d’arbre. Et dans l’après-midi, ou après souper, beaucoup reprenaient l’eau. Les bateaux, à force de perches, remontaient jusqu’au pont de fer et redescendaient doucement au gré de l’onde paresseuse.
Et un autre poète pouvait chanter : « Et moun nobiol, douçomentou, Se bolonço dins sos ounzados, Del Comp del Priou ol Gourp de Bados, Del Gourp de Bados ol Soùtodou »
« Et mon bateau, tout doucement, Se balance sur les eaux,
Du champ du prieur au gouffre de Bades,
Du gouffre de Bades au Saoutadou » (Alades, Mylou du Pays-Maigre, Le « Soùtodou », 1948)
Le Gourg de Bades ou Gouffre de Bados est situé face au chemin de la Graufesenque là où le Tarn longe la plaine de la Maladrerie, entre deux coudes. En partant de Cureplats, on voit celui, où, butant sur des rochers, il a creusé à son pied le « gourg », c’est-à-dire le gouffre et l’autre courbe passe juste avant le Saoutadou. Ce nom de Gourg de Bades est mentionné anciennement dans les archives communales, il semble n’avoir pas toujours eu la même apparence, car à la fin du XIXe d’après Jules Artières : « Il a momentanément disparu par un de ces caprices familiers à la rivière Tarn qui, dans la partie située entre le Pont de Cureplats et le quartier de l’ancien Pont de Fer a si sensiblement modifié son cours » (Annales de Millau, 1894-1899).
Interprété ici par Léon Veyrier, lauréat du Conservatoire, écoutez ,« Lous Ouzados » vous promèneront sur les rives du Tarn (extrait d’un 33 tours 25 centimètres, « Echo Millavois » (1959)
Marc Parguel