Le manoir de Vignals (commune du Rivière-sur-Tarn)

Marc Parguel
Marc Parguel
Lecture 12 min.
Le manoir de Vignals près de Peyrelade. (DR)

Situé au pied de la falaise de l’Elzède, et proche du village de Peyrelade, à sept cents mètres de la route départementale 907 (ancienne route nationale 107 bis), le manoir de Vignals, d’où l’on peut admirer la vallée du Tarn, est abrité des vents du nord, exposé au midi, et possède au moins douze pièces étagées, avec deux tours-greniers carrées légèrement différentes, dont une de défense avec ses archères canonnières.

L’entrée du manoir possède un magnifique double escalier extérieur en forme de fer à cheval. Son architecture est en tout point remarquable et unique dans la région, avec des pierres de taille finement appareillées, des lauzes en couverture. On trouve en annexe, des bâtiments d’exploitation agricole : trois immenses caves à vin, un four à pain voûté de grande taille. Une source importante coule près de cet édifice et permet l’arrosage des prairies et des jardins par un canal irriguant, avec un mur de soutènement voûté.

Le magnifique escalier du manoir de Vignals (1960). (DR)

Cette belle maison bourgeoise fut construite à la fin du XVIIe siècle par la famille des Puel de Peyrelade ; le château fort de Peyrelade ayant été démantelé en 1633, on prétend avec raison que le manoir se fit en partie à l’aide des matériaux provenant du château et des bâtiments de Peyrelade. Certaines maisons de Boyne ont également bénéficié de cet apport (encadrement de fenêtre ou de porte, pierre d’angle, voûte, porche…).

Avant que Louis de Puel de Peyrelade ne fasse édifier dans « la plaine » ce beau manoir, sa famille habitait dans une maison à plusieurs étages proche du rocher de Peyrelade. Quand débuta la construction du manoir, sa belle position  au milieu des vignes, lui fit donner le nom de Vignals.

Albert Carrière l’évoque dans ses cahiers manuscrits : « Les Puel coseigneurs de Peyrelade sont aussi seigneurs du château de Vignals qu’ils ont fait construire vers 1670. En effet, le compois de 1664 ne le signale pas comme propriété de noble Gaspard de Puel et se trouve ailleurs : Gaspard  de Puel possède tout le terroir dit « Lou Roze de Belzède » une maison nouvellement construite sous le lieu de Peyrelade et dans la partie de Rivière (extrait du cahier des biens prétendus noble). C’est une maison bourgeoise doublée d’une ferme. Elle paraît bâtie à une distance suffisante pour ne pas être écrasée par les quartiers de rocher qui se détachent de la montagne. A 100 m environ à l’est jaillit une source à débit variable, mais pérenne.

Noble Jean de Puel, seigneur du Bourg fait son testament au château de Vignals. Il veut être enseveli en l’église Saint Hilarin. Il a deux filles Marie et Marianne (18 octobre 1687, notaire Vitalis)

En 1750, le domaine de Vignals est affermé 50 setiers de céréales, dont 20 de froment, 10 de seigle, 10 d’avoine, 10 d’orge, 40 livres de fromages, 4 livres de laine, 80 litres d’huile, et 120 livres d’argent et 38 charretées de fumier pour fumer les vignes » (Les seigneurs de Vignals, Monographie de la commune de Rivière-sur-Tarn, 1934)

Vue aérienne. (DR)

Les écrits de Duranc, notaire, en février 1763, mentionnent les noms de Louis de Puel et Alexandre de Puel de Peyrelade qui se succédèrent à Vignals.

Ce dernier, habitant son château de Vignals, est « l’unique successeur de feu noble Louis de Puel de Peyrelade. Il afferme le moulin de Boyne et ses appartenances pour 42 livres, 6 livres de poissons dans le courant du Carême. Le fermier s’oblige de remettre le moulin en état, à moudre le grain et à faire l’huile dud.seigneur gratuitement » (Duranc notaire, 12 juin 1763)

Amans-Xavier de Puel de Peyrelade qui habitait Vignals au début du XIXe siècle fut maire de Rivière ; il signait les actes d’état civil (même en 1819) « Puel Peyrelade » et non « de Puel de Peyrelade ».

Gustave de Puel de Peyrelade, fils de Amans-Xavier le « chevalier de Peyrelade », épousa le 9 octobre 1854 Marie-Cecile-Charlotte, fille de Armand, vicomte de Mostuéjouls et de Mélanie-Stéphanie de Lévézou de Vézins. Il mourut en 1865 à Vignals et sa femme eut un fils l’année suivante.

Le 20 octobre 1884, naissait à Vignals : Gustave Irieix, Armand-Xavier de Puel de Peyrelade, fils de Gaspard et de Maria Malvina Brouillet. Le parrain était Gabriel-Joseph Puel de Peyrelade qui demeurait à Vignals. Le nouveau-né était le petit fils de Gustave-Irieix-Alexandre de Puel de Peyrelade.

Tous les coseigneurs des Puel de Peyrelade et leurs héritiers ont donc habité Vignals jusqu’en 1885, date à laquelle Gaspard de Puel de Peyrelade vendit le domaine à Léon Fabre de Boyne. Il resta trois quarts de siècle la propriété de Fabre avant d’être cédé à M et Mme Gabriel Ricard.

« Publication de mariage : M. Argeliez Calixte Urbain à Pellalergues de Veyreau et Ricard Marie-Jeanne aux Vignals » (L’Auvergnat de Paris, 26 février 1921).

Plusieurs familles de fermiers se sont succédé à Vignals, accompagnant ainsi les familles de propriétaires et assurant la permanence « agricole » du domaine.

Vignals en 1960. (DR)

Parmi ces fermiers, il y avait Clément Guy, né à Vignals en 1905 ; et qui y vécut jusqu’en 1919, voici ses souvenirs : « Le château de Vignals est une grande bâtisse qui avait bien une douzaine de pièces, une grande cuisine, l’immense cheminée où on brulait du bois, la table pour les repas avec de chaque côté  les bancs de bois pour s’asseoir. Avec le château, il y a les terres, on y cultivait (1915) un peu de tout, des céréales, blé, orge, maïs, avoine, la vigne donne, bon an mal an, 150 hl de vin rouge qui est très bon. On fait aussi de la luzerne, des pommes de terre, des topinambours.

Et puis il y a un grand pré qui pourvoit aux besoins en nourriture des animaux, une paire de bœufs de labour, un cheval, une cinquantaine de brebis laitières, une porcherie assez pourvue et, enfin une basse-cour. On récolte beaucoup de fruits variés, des noix avec lesquelles on fait de l’huile, des amandes comestibles. On travaille du lever du jour à la nuit, au froid l’hiver, au soleil l’été (moisson du blé à la faucille uniquement).

Les produits fermiers (le vin et le blé principalement) se vendent mal. De janvier à juin, période laitière, il faut aller porter chaque jour le lait à la fromagerie du Sahuc, à 800 mètres, ceci avec un chariot à deux roues et deux brancards tiré par un chien avec un collier rembourré. C’est le même chien qui garde les brebis au pacage.Travail difficile pour peu de profit. A la ferme les enfants font un travail utile dès qu’ils en ont la force, aller chercher du bois, en couper, aller chercher de l’eau à la fontaine à 150 mètres, surveiller les volailles et les cochons qui s’égaillent dans le champ voisin où il reste un peu de nourriture après la récolte. A 10 ans, les enfants gardent les brebis et, progressivement, participent aux gros travaux, aux travaux des hommes ».(D’après André Guy, descendant des habitants de Vignals, Patrimòni, n°14, mai-juin  2008).

DR

Quelques faits divers

« Les couches extérieures de la montagne de Quézaguet, qui borne à l’ouest la vallée de Rivière, continuent peu à peu leur glissement vers le Tarn. Par suite, la voie ferrée qui court à mi-flanc de la montagne et la route nationale qui en longe le fond, ont besoin de réparations incessantes et leur niveau a souvent besoin d’être relevé. M. Lavabre, fermier à Vignals, près Rivière, allant au marché de Millau avec quelques personnes de sa famille, a versé à l’un des récents rétrécissements de la route. Mme Lavabre a eu une épaule démise et la mâchoire cassée. Le cheval a été blessé et le véhicule assez endommagé » (L’Auvergnat de Paris, 11 mars 1922)

« M. Lavabre, fermier à Vignals, vient d’acheter la vigne dite « La Fontanelle » à M. Guy de Boyne » (L’Auvergnat de Paris, 19 février 1938)

« Le domaine de Vignals est à affermer. Libre au mois de mai. M. Lavabre, fermier à Vignals, fait construire une maison en bordure de la route, sous la ferme de Vignals » (L’Auvergnat de Paris, 19 novembre 1938)

« M. Lavabre, fermier à Vignals a quitté ce dernier domaine le 3 mai et est aller s’installer dans la maison qu’il vient de faire construire en bordure de la route sous Vignals. La ferme va être exploitée par son propriétaire : M. Fabre de Boyne » (L’Auvergnat de Paris, 13 mai 1939)

DR

La dernière famille qui y vivait était donc la famille Ricard. M. et Mme Gabriel Ricard, hôteliers au Sahuc, ou Peyrelade-le-Bas, ont aménagé ce joli manoir pour en faire l’annexe de l’hôtel de Peyrelade. Puis vint Hélène Louis, fille Ricard. Elle dû se résoudre à quitter ce beau manoir pour Compeyre, car l’édifice était menacé par des chutes de rochers. En effet, la falaise qui se trouve derrière s’effondre année après année, siècle après siècle, et pendant un temps la seule solution retenue pour sauver « Vignals » c’était de le raser (2008). Il fut racheté en 2018 par la commune de Rivière-sur-Tarn « pour ruinification » par le Fonds Barnier, avec interdiction de s’en approcher, le péril étant très important. Le temps se chargera malheureusement de « ruinifier » cette belle bâtisse qui jusqu’ici avait su braver les siècles.

Marc Parguel

Partager cet article