« Roquebelle, c’est un endroit pour des dieux et non pour des mortels ! ». Ainsi s’exclame Raymond Bracassat, 16 ans, élève et ami du peintre Théodore Richard, lors d’une promenade à Creissels le 6 février 1821. Invité par son maître qui veut lui faire découvrir les paysages aveyronnais, il séjourne à Millau depuis le mois de septembre 1820. Dans le journal de son adolescence, il poursuit « pour un artiste, cet endroit est divin » !
Aussi fait-il le projet « d’y construire une maison avec monsieur Théodore ».
Mais à cette époque, « tous ces projets sont des châteaux en Espagne » car les deux amis n’ont pas d’argent. Brascassat quitte Théodore Richard pour aller à Rome et devenir un peintre célèbre.
Quelques années plus tard, Théodore Richard fait construire, dans « ce cadre harmonieux », une majestueuse villa au bord d’un grand parc, aujourd’hui arboré, et à l’abri d’une falaise.
C’est au pied de cet immense rocher de tuf qu’il fait creuser un long tunnel qui traverse le plateau sous le vieux cimetière de l’ancien village de Saint Adorny pour aboutir au sud, en face du site des Cascades.
Comme cela se fait dans les Caves de Roquefort, Théodore Richard voulait dans son tunnel, long d’une centaine de mètres, procéder à l’affinage du fromage.
Roger Boudes qui a visité le tunnel précise qu’à l’extrémité sud, une salle a été taillée dans le tuf, d’une dimension suffisante afin qu’un attelage, avec sa cargaison de fromages, puisse faire demi-tour. La réalisation de cette « cave bâtarde » a été très onéreuse en raison de l’importance et de la durée des travaux, en outre, la fabrication du fromage a été un échec et « coûta au peintre la plus grande partie de sa fortune ». Retiré à Toulouse, il est mort le 11 décembre 1859.
En 1841, « L’Echo de la Dourbie » a publié un poème qui invitait les lecteurs à « monter à Roquebelle » ! Signé « B », il a peut-être été écrit par Raymond Brascassat ! Dans la strophe ci-dessous, le poète rappelle que Théodore Richard jouait du violoncelle :
« Il faut monter à Roquebelle.
Quand l’ermite de ces lieux,
Que plus d’une Muse appelle,
Quittant son pinceau gracieux,
Accorde son violoncelle ».
Selon Jules Artières, Théodore Richard « aurait vendu Roquebelle à des cousins anglais de la famille de Gualy » qui réside dans leur château à Creissels depuis 1706.
Par contre, il est certain que le comte Anatole d’Isarn de Villefort en était le propriétaire le 2 décembre 1866, puisque ce jour-là, lors de la déclaration de la naissance de Jeanne, Marie d’Albis de Gissac, il est cité comme témoin, domicilié au château de Roquebelle. La carte ci-dessus porte la signature de « Jeanne ». Sœur du général Henri d’Albis de Gissac, Jeanne était la nièce du comte d’Isarn de Villefort qui a fait construire la chapelle de Roquebelle. Le comte avec son épouse la comtesse d’Isarn de Villefort, née Marie, Laurence d’Albis de Gissac reposent au cimetière de la Countal à Creissels. Adoptée par sa tante la comtesse qui décède le 23 septembre 1887, Jeanne hérite de Roquebelle. Elle épouse le 7 février 1893 monsieur Joseph Moulières. Deux filles naissent de cette union, dont Paule qui épouse le comte Henri de La Londe. Le vendredi 4 septembre 1942, leurs trois filles, Henriette, Sabine et Marie ont offert « une splendide gerbe de fleurs » au général de corps d’armée Jean de Lattre de Tassigny lors de sa venue officielle à Creissels, qui était encore pour quelques semaines en zone libre.
De nos jours, monsieur Henri de Gouttes est le propriétaire de « cet aimable asile appelé Roquebelle ».
Bernard Maury
Sources :
– « Notice historique sur la vicomté et la commune de Creissels » de Jules Artières.
– « L’épopée de caves bâtardes » de Maurice Labbé et Jean-Pierre Serres.