Louis Balsan (1903-1988), l’un des plus grands spéléologues français

Marc Parguel
Marc Parguel
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Louis Balsan sur le chantier de fouilles du sanctuaire gallo-romain des Basiols en août 1987 © Jadot

Il y a tout juste trente-cinq ans, le 8 avril 1988 disparaissait l’un de nos plus grands spéléologues français, Louis Balsan, qui au terme d’une vie bien remplie en matière d’explorations et de découvertes aura offert une production particulièrement féconde pour notre patrimoine local. Aujourd’hui, afin de commémorer l’anniversaire de sa disparition, nous rendrons hommage à celui qui est devenu une référence pour tout archéologue, spéléologue ou historien.

Fils de Charles Balsan, industriel gantier et de Marie Bieysse, Louis Edouard Balsan vit le jour à Millau le 26 juillet 1903. Il devait faire ses études  secondaires au collège Sainte-Marie, à La Seyne-sur-Mer (Var) pour y préparer une carrière militaire dans la marine. Mais l’appel des grands Causses fut plus fort que celui du grand large et il revenait à Millau pour seconder son père. A la tenue d’officier de marine, il préféra arborer jusqu’au terme de sa vie son légendaire short qu’il portait été comme hiver.

Tout jeune, comme l’indique Daniel André dans Lozère des ténèbres (1992), il avait été orienté par ses lectures vers la voie rarement rémunératrice de l’aventure, il se sentait une vocation d’explorateur. La carrière vers laquelle semblait le destiner l’héritage de l’entreprise paternelle ne l’enthousiasmait guère, alors que son esprit curieux s’éveillait à ce qui allait devenir pour lui un véritable sacerdoce. Et ce, grâce, notamment à la lecture du livre « Les Cévennes » signé Edouard Alfred Martel, précurseur de la spéléologie moderne. Il y vit le très joli dessin que fit Gaston Vuillier de la rivière souterraine de Bramabiau et cette vue l’impressionna. En 1918, à l’Hôtel des voyageurs du Rozier, son père fut amené à discuter avec Martel, qui, par hasard, était ce jour-là leur voisin de table. Louis Balsan était ému, intimidé et se mit dès lors en tête de continuer la grande œuvre de l’illustre explorateur. La première grotte dont il fit la visite fut celle du Renard sur le Larzac, il avait alors 17 ans. Puis, il se mit à explorer des cavités de plus en plus grandes et s’attaqua même à des petits avens. La suite nous est retracée par Daniel André : « Peu d’années après, il se lia d’amitié avec un Millavois qui, comme lui, avait la passion des Causses, et l’envie très forte d’aller sous terre : Robert Galzin, dit « Bob » pour les intimes. Ensemble, ils s’enfoncèrent souvent dans quelques cavités, sans véritable but, simplement poussés par la curiosité et l’attrait de l’inconnu. » (Daniel André, Louis Balsan caussenard et spéléologue, Annales de l’Université Populaire du Sud-Rouergue, tome V, mai 1991).

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C’est à cette période que lui vint une autre passion : l’Archéologie. Devenu l’élève d’éminents archéologues, comme l’abbé Frédéric Hermet qui l’avait poussé à fouiller en 1928, la grotte de Clapade, il étudia sur le terrain la préhistoire au cours de ses fouilles ; l’ensemble de ses recherches faisant l’objet de nombreuses publications.

Ses capacités intellectuelles et sa puissance de travail firent de lui un homme incontournable ; en 1937 il était engagé comme secrétaire général de la «Société des Lettres, sciences et arts de l’Aveyron » qui à son siège à Rodez, présidée par Henri Bousquet. Ces nouvelles responsabilités ne diminuant en rien ses activités caussenardes. Durant la semaine, il continue ses recherches sur place et consacre ses week-ends à celles des Grands Causses, lors de son séjour hebdomadaire à Millau.

Vouant toute son admiration au grand Martel, Louis Balsan ne délaissa pas la spéléologie, bien au contraire. Vers 1930, il reprit contact avec le grand explorateur. La grande période d’activité spéléologique de Louis Balsan a duré, en fait, de 1928 à 1944. De tous côtés, Louis Balsan fut appelé pour participer à des explorations en cours ou venir constater sur place la valeur d’une nouvelle découverte. Il travaillera avec Jean Gilbert Birebent (1902-1969). De leurs collaborations naîtront deux livrets dans la collection « Bel Cami » : « Causses Méjean et Vallée de la Jonte » (1938) et Montpellier-le-Vieux (1940).

Il faudrait une centaine de pages pour donner une liste de tous ses écrits et toutes ses découvertes, mais nous ne pouvons pas passer sous silence les sites qu’il a mis en avant tels que les arcs de Saint-Pierre, les corniches du Causse Noir, du Méjean, du Sauveterre, première escalade du Vase de Sèvres (19 janvier 1936) entre autres lieux et sous terre : l’aven Noir, Baoumo Rousso, l’aven Bob, Banicous pour ne citer que les plus classiques. Il devait succéder à Martel au sein du puissant « Club cévenol », Balsan se montrait désormais à la hauteur de son célèbre prédécesseur.

Travailleur infatigable, il mettait son énergie, son art de la photographie, son talent d’écrivain au service et à la défense de la région des Causses, des Gorges de la Jonte et du Tarn dont il se fit le chantre. Il s’intéressait également au mégalithisme aveyronnais et fit campagne pour la protection des dolmens. Comme le mentionne Georges Constantini, « Louis Balsan s’intéressa très tôt au mégalithisme aveyronnais et l’une de ses premières notes, parue dans le Journal de l’Aveyron du 25 août 1929, est déjà intitulé « Protégeons nos dolmens » (G. Constantini, Louis Balsan et la préhistoire des Grands Causses, U.P.S.R. 1991).

Louis Balsan au cours de ses études sur le terrain. (DR)

En 1943, il deviendra conservateur du musée Fenaille. Un musée dont il a voulu faire un outil de travail pour les chercheurs, en même temps qu’un lieu de promotion pour le Rouergue tout entier. Il sera encore conservateur des antiquités et objets d’art de l’Aveyron en 1945, et conservateur des antiquités préhistoriques de Clermont-Ferrand.

Louis Balsan dans son bureau de la Société des Lettres (DR)

A partir des années 1950, il va ralentir ses activités en préhistoire pour se consacrer essentiellement à l’étude du site gallo-romain de la Graufesenque. Louis Balsan publiera à cette époque « Grottes et abîmes des grands causses » (Maury,1950), après avoir rédigé un inventaire intitulé « Spéléologie du département de l’Aveyron » (1946), et participera à l’élaboration de l’ouvrage « Rouergue Roman ». En 70 ans, il aura réuni une importante photothèque, forte de trente-trois mille négatifs, et d’une dizaine de milliers de diapositives. Toutes choses qu’il a léguées à la Société des Lettres, sciences et arts de l’Aveyron. Il obtient le titre de chevalier de la Légion d’honneur en 1951 (décret du 10 février) au titre de l’Education nationale, pour son œuvre spéléologique et surtout pour l’archéologie (Midi Libre, 25 février 1951).

Portrait de Louis Balsan. (DR)

Homme de courage et de conviction, il fut chassé de son poste de conservateur des « antiquités et objets d’art » le 24 janvier 1973 pour s’être opposé au ministre de la Défense qui voulait annexer une partie du Larzac pour agrandir le camp militaire de la Cavalerie. Dans une interview parue dans « le Monde », Louis Balsan déclarait : « Michel Debré insulte le Rouergue, vilipende le clergé, ressasse ses misérables mensonges avec sa hargne habituelle ; c’est l’homme le plus néfaste de la Vème république ».

Le temps est passé, les paysans ont gagné et Louis Balsan qui n’a jamais plié est sorti grandi de cette épreuve.

Comme l’indique « Midi Libre » dans son édition du 24 avril 1998 : « Sous ses dehors rudes, son parler sans détour, Louis Balsan était profondément juste et bon ; il était même un poète délicat et pudique ». Et Robert Taussat qui l’a connu le décrit volontiers comme quelqu’un qui fut remarquablement anticonformiste. Et aussi paradoxal : « Il était ostentatoire et modeste, cordial et hargneux, anarchiste et respectueux ». Ajoutons encore de la curiosité intellectuelle et une immuable jeunesse, et on comprendra que Louis Balsan ne pouvait pas laisser indifférent. Durant cinquante ans, la société des Lettres fut, à la fois son domicile et son domaine, au point qu’il veillait sur les biens de la compagnie avec l’intransigeance jalouse d’un propriétaire.

Louis Balsan attablé à Conques, en 1960. (DR)

Louis Bretou aimait à raconter cette anecdote amusante « Louis Balsan savait aussi sourire. Il ne s’en priva pas le jour où il reçut les chaleureuses félicitations du ministère des Affaires culturelles à propos de la mise à jour, aux fouilles de la Graufesenque, d’un théâtre de poche gallo-romain… Le ministre intéressé avait omis de relever la date du journal annonçant la remarquable découverte (1er avril) » (Journal de Millau, 15 avril 1988).

Robert Taussat se souvient du poste de secrétaire général qu’occupait Louis Balsan  et  parle des dernières années en ces termes : « Malgré les attaques de la vieillesse, dont il ressentait de plus en plus durement les atteintes physiques, il ne cessait de nourrir de nouveaux projets, certains, en raison du temps et de la vigueur qu’eût exigés leur réalisation, parfaitement chimérique, mais dont il aimait entretenir ses interlocuteurs avec un entrain et un enthousiasme dont la soudaine jeunesse séduisait. » (Louis Balsan, secrétaire général de la société des Lettres, U.P.S.R.1991)

Après bien des souffrances, Louis Balsan s’en est allé rejoindre le royaume des ombres le 8 avril 1988, pour y retrouver son maître et ami E.A.Martel.

Une plaque de bronze à son nom et timbrée de son écusson de chercheur a été apposée, en septembre 1988, à l’entrée de musée de Millau, Hôtel Pégayrolles.

Par décision municipale, du 24 juin 1996, une voie de la ville, ouverte à la circulation importante vers le site de la Graufesenque où il s’illustra, a été attribuée en son honneur sous le nom d’avenue Louis Balsan (G8 sur le plan de Millau).

Marc Parguel

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