Patrimoine millavois. L’Hôtel Dieu, de l’Hôpital Mage à l’Hôpital Général (1/3)

Marc Parguel
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DR

L’hôpital Hospice dit « L’Hôtel Dieu » se dresse au sud-ouest du centre ancien de Millau. Sa façade massive regarde le boulevard Richard, mais fait dos au centre-ville (il ne dispose que d’une seule ouverture côté Tarn) coupant ainsi la communication avec le reste de la ville. Les plans de cet édifice ont été réalisés par l’architecte Etienne- Joseph Boissonnade à partir de 1824 et le bâtiment a été achevé en 1867. Il se trouve à l’emplacement de l’ancien hôpital Mage, dont les traces remontent au moins au XIIe siècle. Il occupait une vaste parcelle dans un angle du rempart de la ville, au débouché des rues Peyrollerie et du Voultre, à proximité de la porte de Jumel.

Description des bâtiments

Les caractéristiques de ce bâtiment sont visibles depuis la lecture des façades : vastes salles, hauteur de plafonds élévée, escaliers imposants. Une grande galerie distribue chaque espace tout le long de la façade sud, véritable artère de l’édifice, au rez-de-chaussée ainsi qu’au 1er étage. L’ensemble est en forme de U, constitué par un corps principal en R+3 (étages) avec sous-sol partiel dans la partie centrale et deux ailes en retour en R+3.

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Au rez-de-chaussée.

Au sous-sol, il est possible d’observer des caves voûtées aux sols dallés en pierres, la chaufferie et la cuve à fioul où les sols sont cimentés. La superficie est de 200m2 environ.

Au rez-de-chaussée, l’entrée se fait par une grande cour. A ce niveau, le bâtiment comprend une galerie fermée par de grandes baies vitrées desservant les différentes salles et deux escaliers intérieurs situés à chaque extrémité (partie centrale), un escalier intérieur central, une buanderie avec ascenseur monte-charge (aile est), chaufferie (aile est), une chapelle, sacristie et diverses salles aux sols carrelés ou recouverts de revêtements plastiques (aile ouest). La superficie est d’environ 1008 m2.

Au 1er étage, se trouve un grand couloir desservant les chambres et les box, bureaux, salle à manger, office, séjour, toilettes et sanitaires. La superficie est d’environ 912m2.

Le 2e étage comprend des chambres et box, des bureaux, salle à manger et sanitaires. La superficie est d’environ 929 m2.

Le 3e étage est composé de lingerie et vestiaire, débarras et sanitaires (aile d’une superficie de 480m2) et d’un grenier non aménageable, isolé au moyen de flocons de laine de roche et d’un campanile (partie centrale de 517m2). Attenant à cet ensemble immobilier, se trouve la Maison de la Communauté en R+1 d’une superficie de 161m2.

Le bâtiment tourne le dos à la ville et fait face au Tarn. (DR)

L’Hôpital Mage 

On ne connaît pas l’origine de notre hôpital ; on sait seulement qu’il existait en 1164, car un document de cette époque contient une donation « aux pauvres de l’Hôpital de Millau » ; mais il remonte certainement plus haut. Sa présence dès 1100 ne semble pas faire de doute.

Auguste Molinier, le savant annotateur de l’Histoire du Languedoc de Devic-Vaissette relève la présence d’une maladrerie dédiée à Saint Thomas et évoque les liens de celle-ci avec l’hôpital mage dès 1178, c’est de lui que paraissent être sortis les religieux qui allèrent habiter l’hôpital fondé en 1108 sur le Larzac par Gilbert, comte de Provence et vicomte de Millau, et qu’on appelait l’Hôpital Guilbert. Comme le font remarquer les historiens, il n’est pas vraisemblable que Gilbert eût fondé cet établissement sur le Larzac, si la ville de Millau eût alors manqué elle-même d’hôpital. Quand l’Hôpital devint hôpital général, ce dernier mentionnait à plusieurs reprises au XVIIIe siècle, la donation annuelle de quatre setiers de froment et de quatre setiers de seigle faite en 1184 à l’hôpital mage par Alphonse, roi d’Aragon. Au XIIIe siècle, l’hôpital Mage ou Hôpital Principal (c’est le sens de mage, au sud de la ville, près des bords de la rivière était le plus important établissement d’assistance, il hébergea des personnes en détresse et traitait des malades durant un certain temps.

Raoul Artault de Tauriac décrivait ainsi l’Hopital Mage : « Les bâtiments primitifs, élevés entre deux vastes cours, ne consistaient qu’en un seul corps, ayant au rez-de-chaussée, les cuisines, le réfectoire et une petite chapelle ; au premier étage des chambres, pour les malades.

Lorsque les ressources de l’hôpital furent accrues, il fut adossé à ces constructions un autre corps de logis à deux étages, contenant des chambres, des salles de travail, des caves, et une glacière. A une époque moins reculée, une autre aile fut ajoutée le long de la première cour ; là se trouvait l’infirmerie, le salon, les bureaux du conseil d’administration, des chambres nombreuses pour les malades et le logement des sœurs. Une église modeste fut érigée au côté opposé. Cette église était assez vaste pour la population de l’hospice et des quartiers voisins. Cet hospice se trouva réuni à la ville par le mur d’enceinte exécuté en 1351. Un moulin et une cour de service permettaient aux administrateurs de faire préparer le pain des pauvres dans l’hospice même. » (Esquisses sur Millau et sur sa vallée, Hôpital Mage, l’écho de la Dourbie, 5 mars 1843)

L’historien Joseph Rouquette pourrait ajouter : « Dans un mémoire daté du 16 mars 1750…il est dit : « L’ancien bâtiment de l’hôpital de Millau était fort peu de chose ; et comme on y recevait que les seuls pauvres de Millau, il n’y avait de logements que pour trente personnes tout au plus » (Bâtiments de l’Hôpital général, Histoire de l’Hôpital de Millau, 1890)

Cette structure dépendait du Roi (les rois de France se considérant en l’occurrence comme héritiers des rois d’Aragon), de l’Evêque de Rodez qui prétendait contrôler l’établissement et des Consuls de la Ville, qui en avaient la gestion temporelle au nom du roi. Elle fonctionnait grâce aux donations et aux legs reçus qui étaient affectés à l’hôpital et servaient à son entretien et celui des malades et des pauvres qu’il accueillait.

Quelques bienfaiteurs

[highlight color= »black »]1222[/highlight]. Bernard d’Auriac donne aux œuvres charitables de Millau et spécialement à l’hôpital de nombreux revenus qu’il possédait à Saint-Germain.

[highlight color= »black »]1276[/highlight]. Béranger Ratier et Elix, sa femme, se donnent « à Dieu et à l’Hôpital-Mage » avec leurs biens qui étaient considérables : am lurs bes, que n’y a bèucop. Les donateurs spécifient « qu’il sera édifié une chapelle audit hôpital ».

[highlight color= »black »]1302[/highlight]. Alphonse Sabathier qui, par dévouement et durant plusieurs années, avait administré les biens de l’Hôpital lui laisse tous les siens par testament. Ces biens considérables, divisés en 20 lots, sont vendus aux enchères.

[highlight color= »black »]1311[/highlight]. Raymond de Millau donne cent sous pour acheter une rente de vin (renda a vi) à servir aux pauvres de l’établissement les jours de fête.

[highlight color= »black »]1475[/highlight]. Johan Maury, après avoir donné son avoir à l’Hôpital, gouverna longtemps l’établissement charitable et améliora notablement ses biens ; après sa mort, la Ville lui fit des funérailles solennelles, car sa persona ho valia, car avia servit la mayso de l’hospital et melhurat molt grandamen et en gran estat.

Au Moyen-âge, il existait au mois quatre hôpitaux autres que l’Hôpital Mage dans la ville : l’Hôpital du Saint-Esprit, l’Hôpital Saint-Antoine, l’Hôpital Saint-Jacques, La Maladrerie Saint-Thomas ou léproserie qui devint en 1616 propriété de l’hopital.

Devenu hôpital général

Ce lieu fut transformé, en 1725, en Hôpital Général, c’est-à-dire en Hôpital unique, non sans quelques difficultés. Alors qu’un hôpital général avait été créé à Rodez en avril 1676, à Millau, un conflit d’autorité entre l’évêque et les consuls retarda la mise en place de la structure à deux reprises. Comme le rappelle Jean-Yves Bou : « Les Hôpitaux généraux étaient des institutions habilitées à recevoir et enfermer les mendiants et vagabonds et à les faire travailler. Une aide financière de l’Etat permettait d’aménager les locaux et des répondre aux exigences nouvelles. En 1724, une nouvelle déclaration royale renforça la législation précédente sur l’enfermement. Dans la généralité de Montauban, on estima qu’il était nécessaire d’ouvrir un hôpital général à Millau, en particulier au vu de sa situation sur un axe de communication principal. L’autorité de l’intendant permit de résoudre le conflit antérieur : le juge royal mit en place l’institution avec l’accord de l’évêque et des consuls » (L’histoire des hôpitaux à Millau du Moyen âge au XXe s, 28 janvier 2017)

Arrêt du Conseil du Roi du 2 octobre 1725 décrétant la mise en place de l’Hôpital général de Millau. (DR)

L’hôpital général absorba les autres œuvres de bienfaisance, non seulement de la ville, mais aussi des communes voisines : Compeyre, Creissels et Saint-Léons (Jules Artières, Millau à travers les siècles, 1943, p.49). Pour une gestion mieux contrôlée, un bureau d’administration fut mis en place : 14 personnes, sept autorités et sept élus représentant les notables de la ville pour trois ans.

Joseph Rouquette décrit ce changement comme suit : « Depuis que Louis XV l’a érigé en hôpital général, Sa Majesté a fait fournir pendant plusieurs années aux augmentations qui ont été faites à cet ancien bâtiment. Elles consistent en une salle pour le Bureau et par-dessus une autre salle pour la manufacture et par-dessus celle-là, en une autre salle où il y a dix-neuf lits. En 1732, on fit construire au midi des galeries qui donnent sur le Tarn afin que les pauvres et surtout les convalescents pussent respirer un bon air et dans les beaux jours se réchauffer au soleil. On augmenta aussi les greniers, on fit construire deux chambres de force (prisons) et un bâtiment séparé pour loger les pauvres passants dont le nombre est très considérable. Ces augmentations n’étant pas suffisantes pour contenir tous les pauvres qui se présentaient, on fit construire deux nouvelles chambres en 1744. On fit encore vers ce temps-là, dans l’intérieur de la maison, un lavoir et une fontaine. Malgré ces augmentations, l’hôpital est si rempli de pauvres qu’on est obligé d’en faire coucher plusieurs de quatre à quatre » (Bâtiments de l’Hôpital général, Histoire de l’Hôpital de Millau, 1890)

Le cimetière qui se trouvait dans la cour disparut en 1710 et fut transporté dans un jardin situé sous la porte Saint-Antoine. En 1756, un troisième cimetière fut créé en face du couvent des Carmes ; il servit de cimetière paroissial ou communal de 1782 à 1824. En 1725, une manufacture de cadis avait été installée à l’Hospice. Cette manufacture de petits cadis, tissus en laine du nord du Rouergue amenée par les marchands de Saint-Affrique et Lodève à Millau pour être lavée dans Tarn, filée et cardée, puis travaillée à l’hôpital. Elle fonctionna avec succès jusqu’à la fin du siècle. Il n’en fut pas de même de celle de couvertures de laine qui ne dura que de 1765 à 1767.

Comme le rappelle Jacques Frayssenge : « A lire les documents officiels (lettres patentes et arrêt de 1725), l’hôpital général allait apparaître comme un lieu d’emprisonnement rigoureux de tous les mendiants et de tous les vagabonds. Pourtant, dans la réalité, il en fut tout autrement. Le registre d’entrée (novembre 1724-janvier 1734) nous donne de précieux renseignements sur la véritable fonction de l’hôpital. Certes, on vit l’archer de l’écuelle, ou le portier, arrêter les mendiants, les enfermer dans la chambre de punition, les mettre au pain et à l’eau. Mais la rigueur était souvent relative : les mendiants avaient en général une journée pour quitter la ville et, passé ce délai seulement, ils étaient conduits à l’hôpital. Le temps de réclusion s’avérait généralement limité à 48 heures et les administrateurs relâchaient les intéressés sur la seule promesse de ne plus mendier » (Evolution de l’histoire hospitalière à Millau : XIIe-XVIIIe siècles, bulletin de la société française des Hôpitaux, n°62, 1990,pp.43-50)

L’hospice vers 1815. (DR)

Morceaux choisis extraits des archives municipales (fonds de l’Hôpital, F1)

Voici une femme de Saint-Affrique venue mendier à Millau. Elle est arrêtée à la Place, par le concierge de l’Hôpital, le 7 janvier 1725 : « Claire I., venue de Saint-Affrique, âgée de 65 ans, cheveux gris, les yeux noirs, la paupière de l’œil gauche tirée, la lèvre inférieure grosse, nous l’avons trouvé sur la place, mendiant. Lui ayant demandé si elle ne savait pas les ordres du Roi, a dit qu’elle ne les savait pas ».

Quelques jours après, c’est un habitant de St-Léons, un vieillard, qui est surpris par l’archer mendiant de porte en porte. Après avoir été interrogé, il est condamné à huit jours de chambre de punition au pain et à l’eau.

Pour être admis à l’Hôpital, Jean Rouquette, de la Clau apporte une lettre de son ami certifiant que sa maison a brûlé et qu’il a perdu tous ses cabaux (bestiaux) et il prie très humblement l’hôpital d’accueillir trois de ses enfants, en ayant sept à nourrir…

« Antoine Ricard, de Saint-Léons, 30 ans, arrêté par Raynal, archer, estant en sa demande, lui aurions demandé pourquoi il mendiait, a répondu n’avoir de quoi vivre, le bureau ayant délibéré, l’aurait condamné à rester huit jours dans la chambre de punition au pain et à l’eau » (décembre 1725). Il est de nouveau arrêté en janvier 1726 et demande de rester à l’hôpital.

« La nommée Marie, âgée d’environ six ans, a été trouvée mendiant, ayant du mal aux lèvres et les yeux un peu égarés, Hugues P., de la présente ville, âgé de 14  ans environ, taille 4 pieds, 3 pouces, visage rond, cheveux châtain plats, sourcils aussi châtain, le nez un peu camard, a été arrêté par l’archer des pauvres mendiant de porte en porte, et a été mis à la chambre de correction. » Une fois fini son temps de punition, le malheureux revint supplier qu’on le garde à l’Hôpital pour l’empêcher de mendier.

Car mendiant ou pas, on n’était pas malheureux de se retrouver à l’hôpital général ou « gite et couvert » était offert aux pauvres passants, voyageurs, colporteurs, pèlerins et aux malades même « étrangers » à la ville, l’assistance aux filles-mères allant jusqu’à la réception des enfants abandonnés que l’on déposait en nourrice (142 nourrices en 1772-1780), l’abandon des enfants allant grandissant  fit qu’on les plaça dans des «  tours d’hospice », Millau n’alla pas tarder à en créer une, nous y reviendrons.

Marc Parguel

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