La vétusté des constructions et l’insuffisance des locaux firent penser à une reconstruction de l’édifice. En 1820, la ville établit le tour de ronde (tour de ville) qui traversa le territoire de l’hospice. On se trouva alors plus gênés encore, et le conseil de charité avisa aux moyens à prendre pour remédier à l’insuffisance du local.
Reconstruction de l’Hospice (1824-1870)
Un plan général de reconstruction fut dressé par M. Boissonnade, architecte départemental, et le 19 juillet 1824, le conseil de charité et la commission administrative adoptèrent ce plan, et décidèrent que l’aile droite serait livrée à l’adjudication le 30 octobre de la même année.
Etienne-Joseph Boissonnade n’était pas un inconnu dans notre ville. C’est lui qui éleva le Palais de Justice (1837), l’Orangerie de l’hôtel de Sambucy de Sorgues ou encore la prison aujourd’hui détruite.
Le devis estimatif de cette partie s’élèverait à la somme de 19 929 francs et ce fut Pierre-Claude Villette, entrepreneur qui devint adjudicataire des travaux.
Mais il fallait des ressources pour construire et les caisses étaient vides. On eut recours à l’État et la Commune, on fit des économies sur les budgets, on s’étudia de toute manière ; on exécutait les travaux à mesure qu’on avait des ressources ; enfin, en 1833, l’aile droite fut terminée.
On peut aisément remarquer par la durée des travaux, 8 ans pour si peu de besogne, combien extrême était la pénurie des fonds hospitaliers.
Des personnes charitables prirent en pitié la triste situation de l’hospice ; nous citerons le vicomte de Bonald, membre de l’Académie française, qui fit, en 1836, une donation de 10 000 francs destinée à la construction des ouvrages en cours d’exécution.
On établit ensuite le pont de fer dont le chemin de rive gauche traversa le terrain de la Maladrerie. L’expropriation résultant de ce fait attribua 6822 francs à la caisse de l’hôpital.
On pouvait donc continuer à construire ; on se remit à l’œuvre, la grande aile jusqu’au campanile fut livrée en deux reprises à l’adjudication ; les entrepreneurs Aigouy, Martel et Dianoux furent déclarés adjudicataires.
La cloche du petit Beffroi de l’Hospice porte l’inscription suivante : Auguste Bories, prêtre, Dr de l’Hospice. Triadou, 1842. Saint-Thomas, Saint-Roch.
Malgré les années malheureuses comme rendement de récoltes, grâce à la bonne gestion de l’administration, en 1842, on avait employé plus de 100 000 francs à la reconstruction.
Passant devant le bâtiment, Raoul Artault de Tauriac écrivait ceci : « Lorsqu’il sera terminé, l’hospice civil de Millau sera digne de répondre à la bienfaisance de ses fondateurs, et aux idées généreuses de la philanthropie moderne. Il sera un des plus beaux du département. » (Esquisses sur Millau et sur sa vallée, Hopital Mage, l’écho de la Dourbie, 5 mars 1843).
En présence de l’énorme proportion toujours croissante des enfants trouvés, la préfecture supprima le tour en 1844 puis le rouvrit pour le supprimer définitivement le 20 août 1849.
À cette époque, l’hospice était considérablement endetté et il fallait pourtant terminer la reconstruction. Comment faire ?
Une mesure radicale fut prise ; on décida, dès 1845, de mettre en vente les domaines de l’hôpital du Larzac, du Mas Huc, du Saint-Esprit, des champs de Roch et de la Conrade, le tout évalué, après expertise, à la somme de 279 750 francs. Cependant, une partie de cette délibération fut rapportée et on ne vendit plus tard que les domaines du Saint-Esprit, près Labastide, en 1862, pour la somme de 23 175 francs, et le Mas Huc, en 1865, pour 25 290 francs ; celui de Recoules fut mis en vente sous l’administration de M. Jules Rouvelet.
Avec le nouveau legs de M. Combarel, de Toulouse, et autres… diverses subventions, et grâce à l’administration si patriotique des maires de Gaujal et Aristide Rouvelet, en 1852, les travaux de construction s’élevaient à la somme de 145 000 francs. Enfin, la construction de l’aile gauche fut décidée le 16 décembre 1865. On chargea M. Sahut de reprendre le plan Boissonnade ; d’après les devis de cette partie, les nouvelles dépenses atteignaient 40 000 francs, et l’adjudication fut livrée au sieur Pierre Bénézech.
« Commune de Millau, le 29 octobre 1867 à l’hospice de Millau. Adjudication des travaux de construction de l’aile gauche de l’hospice de Millau, dont la dépense est évaluée, non compris la somme de 2443 francs, 48 centimes, pour cas imprévus à 35 768 francs 12 centimes. Le projet est déposé à l’hospice où l’on pourra prendre connaissance, tous les jours non fériés sans déplacement et sans frais. L’adjudication au rabais aura lieu le dimanche 15 décembre 1867, dans l’une des salles de l’hospice. Le cautionnement est fixé à 4000 francs » (L’Écho de la Dourbie, 2 novembre 1867)
La réception définitive de ces travaux fut approuvée le 3 juillet 1870. La partie principale de l’hospice était alors terminée. Elle avait coûté 200 000 francs.
C’est grâce aux dons de Clarisse Malzac (1808-1890) chrétienne au grand cœur, bienfaitrice de Millau, joints à ceux de l’abbé Rouquette, qu’en 1876 et 1888 furent élevés les pavillons de l’Hospice dont l’un servit longtemps de salle de bains et dont l’autre fut occupé par la loge du gardien et la sacristie de la chapelle.
Clarisse Malzac, ainsi que son frère Gustave Malzac firent bénéficier ce même hôpital de dons successifs se montant à un total de 40 000 francs de l’époque.
C’est aussi grâce à sa grande générosité que fut érigée la grille de l’hôpital. « La maison des pauvres vient de faire une acquisition importante, grâce à la générosité bien connue de la famille de Malzac. L’année dernière, nous constations à l’hospice l’établissement, par les soins de cette bienfaisante famille, d’une grille en fer forgé clôturant une partie de la façade. Il s’agit aujourd’hui d’un fourneau de cuisine d’une valeur de 2500 francs, y compris les frais de pose. Que l’amour et la reconnaissance des pauvres récompensent les généreux donateurs » (Journal de l’Aveyron, 9 juillet 1891) !
Pour toutes ces raisons, les noms de Clarisse et Gustave Malzac furent inscrits sur les tables de Marbre des bienfaiteurs de l’hôpital-hospice.
Henri Arlabosse dans une chronique publiée en 1890 écrivait : « Depuis quelque temps et grâce à la magnificence d’âmes généreuses, la maison des pauvres est en passe de s’achever, de se restaurer, de s’embellir.
Les municipalités présidées par MM. Viguier et Chaliès ont donné le bon exemple en allouant diverses sommes pour réparations destinées à l’escalier de l’aile droite et au péristyle, et peu de temps après deux bienfaiteurs de cet établissement, Mlle Clarisse Malzac et M. l’abbé Rouquette, faisaient écho en ordonnant d’édifier à leurs frais le portail en fer et le pavillon servant de sacristie et de conciergerie… Notre hospice va donc se finir et devenir un monument digne de Millau. Certes, sa construction a rempli ce siècle, voilà 66 ans qu’on s’occupe de le réédifier. 66 ans ! cela fait une bien longue période, mais cela ne peut étonner nos compatriotes, car aucun édifice communal de Millau, n’est arrivé à notre époque dans un état complet. » (L’Hospice Moderne, historique de sa reconstruction, Messager de Millau, 19 juillet 1890).
Jules Artières à ce sujet écrivait : « Depuis 1824, il a été considérablement agrandi. Spacieux, aéré, confortablement installé, c’est l’un des plus beaux monuments de la ville » (Millau du XVIe siècle jusqu’à nos jours, p.72, 1927)
P-E.Vivier quant à lui remarquait que « De nos jours, on trouve trop élevée la grille qui ferme la grande tour, sur le Boulevard, et l’on a sans doute raison, mais que dire de la palissade qui la surmontait jadis, aveuglant la grille jusqu’à mi-hauteur » (Un siècle d’Images millavoises, 1973)
Bienfaiteurs de l’hospice
Jules Artières a compilé les dons et legs les plus importants entre 1810 et 1895. Parmi eux, distinguons ceux qui intéressent l’hospice de Millau. L’auteur cite mademoiselle Suzanne Bonhomme pour le legs de tous ses biens (20 000 livres) en 1810 ; le vicomte de Bonald fait un don de 13 700 francs en 1836, MM. Combarel et M. l’abbé Frayssinhes donnent respectivement 3000 Fr. et 5000 Fr. en 1844, M. l’abbé P. Majorel, curé de Peyreleau, donne 3000 Fr. en 1847, et 1000 Fr. en 1854 ; M. le Docteur Déjean (le médecin des pauvres) fait des legs de 200 à 800 francs dont l’hospice bénéficie en 1888 ; Mme Hugla, veuve Fesquet lègue tous ses biens (40 000 francs) et M. Désiré Mazars, ancien avocat, pour la même somme représentant tout son avoir.
En 1891, on peut lire dans la dépêche : « Dans sa séance du conseil municipal du 11 novembre 1891, sous la présidence de M. Jeanjean premier adjoint, le conseil approuve diverses propositions concernant l’hospice de Millau et émanant du conseil d’administration, telles que l’acceptation du legs Aygalet, pensionnaire, consistant en immeuble évalué 1000 francs sans aucune charge et la vente amiable d’une vigne estimée 550 francs et qui, mise, plusieurs fois en adjudication n’a pu trouver acquéreur » (La dépêche, 14 novembre 1891)
Mathieu Ramondenc en 1917, à qui l’on donnera le nom au square attenant, J.-F. Alméras en 1921.
Mais un bienfaiteur mérite d’être mentionné, peut-être plus que les autres, il s’appelait Pierrou.
« La semaine dernière (début mars 1897) décédait à l’hospice un de ses modestes bienfaiteurs, le nommé Pierre, dit Pierrou. Il aimait cette maison où il avait été élevé et où il était revenu en qualité de jardinier, y gagner sa vie et mettre à l’abri ses vieux jours. Les quelques économies qu’il avait pu faire durant sa vie, soit 3 ou 4000 francs, il les avait offertes généreusement à l’hospice. Cet acte de reconnaissance, qui classe son auteur parmi les bienfaiteurs de notre établissement charitable, méritait, à tous les points de vue, d’être signalé » (Messager de Millau, 13 mars 1897).
Faits divers
1889. Le nommé Jean Chazaly, âgé de 37 ans, natif de Grandvals, canton de Fournels (Lozère) arrivait un de ces jours à Millau. À la descente du train, les employés remarquant sa pâleur extraordinaire le firent entrer dans une salle d’attente pour se chauffer et le conduisirent à l’hôtel de la Fontaine, place de la Tine, où on lui prodigua des soins. Le lendemain, Chazaly fut pris d’un violent accès de folie et se plongea, malgré le froid extrêmement vif qui sévissait, dans la fontaine de la Tine. M. Dussoubs, commissaire de police averti en toute hâte, le fit transporter à l’hospice. Trompant la surveillance de son gardien, Chazaly s’échappa et se sauva sur le toit de l’aile gauche des bâtiments de l’hospice.
M. Dussoubs arrive en toute hâte et, ne pouvant parvenir à le faire descendre, grimpe lui-même sur le toit et saisit le fou, qui le suit alors avec la plus grande docilité.
En attendant son transfert dans un asile d’aliénés, ce malheureux a été interné dans la maison d’arrêt de Millau. (Journal de l’Aveyron, 10 décembre 1889).
Par sa position au bord du Tarn, les malades pouvaient voir passer des bateliers à qui il arrivait souvent des péripéties.
1897. « Dans l’après-midi de dimanche (18 avril 1897), le sieur B…, ouvrier gantier, et sa famille, ont failli être victimes de leur imprudence. B…, voulait aller goûter avec les siens au rivage situé en face de l’hospice ; il prit un bateau et, se croyant assez bon batelier pour le conduire, y fit entrer sa femme et ses deux petits enfants. À peine avait-il fait quelques mètres, que le courant entraînait le bateau, qui allait descendre la chaussée du moulin et chavirer sans doute, lorsqu’aux cris désespérés poussés par la femme et les petits enfants, le sieur Bac, menuisier, qui se trouvait le long du Perré, prit un autre bateau et fut assez heureux pour arriver à temps et les sauver du danger. Nos félicitations au courageux auteur de cet acte de dévouement » (Messager de Millau, 24 avril 1897)
L’Hôtel Dieu au XXe siècle
Le siècle s’achevant, l’hôpital se transforme. Avec les aides de l’État, il se médicalise et se réorganise. De nouveaux agrandissements sont encore faits. Un petit clos de verdure appelé « Square de l’Hospice » voit le jour en 1897.
Une maternité est prévue et s’élève juste en face dans un bâtiment superbe. Cet édifice construit en 1905 n’accueillera jamais de nouveau-nés. Il donnera asile à l’école publique de jeunes filles Victor Hugo (dès 1906). Ce bâtiment est devenu désormais la maison des syndicats.
En 1897, la Commission administrative de l’Hospice a l’excellente pensée de faire apposer, sous le péristyle de la grande cour, deux plaques commémoratives en marbre, où sont gravés en lettre d’or les noms des bienfaiteurs insignes de l’établissement. Depuis cette époque, trois nouvelles plaques se sont ajoutées dans la coursive du rez-de-chaussée.
Un commencement d’incendie (1940)
« Un incendie a éclaté la semaine dernière (10 juillet) dans un local de l’hôpital -Hospice. Le sinistre fut rapidement maîtrisé par le piquet militaire et ainsi les dégâts furent considérablement limités. À quelques jours d’intervalle, c’est la deuxième fois que la troupe cantonnée à Millau est intervenue pour contribuer à une œuvre de sauvetage. Un commencement d’incendie qui s’était déclaré dans des conditions identiques à la sacristie du Sacré-Cœur avait été éteint par les soldats » (Journal de l’Aveyron, 14 juillet 1940).
En 1961, changement notoire, l’ancien Hôtel de la Compagnie du Midi abrite désormais Sainte-Anne et l’Hôtel Dieu y transfère ses patients. L’Hospice (ou Hôtel Dieu) fermera ses portes en 1997.
La lingerie et la buanderie de l’hôpital (occupant l’aile ouest) ont quitté les lieux en 2005. Quant au Cnam (centre d’enseignement du Conservatoire national des arts et métiers) qui s’installa suite à la fermeture de l’Hospice, et on lui donna le nom de Pierre Douzou (1926-1999), suite à la délibération du conseil municipal du 25 février 2002 il déménagera à l’Espace Capelle-Tarn.
Il fut un temps question d’y placer les archives municipales au rez-de-chaussée sur une superficie de 800 m2 où devait être regroupés les 1400 mètres linéaires de documents compilés par la ville depuis le XIIe siècle, ce projet évoqué en septembre 2007 qui devait voir le jour en décembre 2008, sera abandonné. Elles déménageront à la Très Grande Megisserie en septembre 2012.
En 2021, l’Hôtel Dieu va devenir une résidence sénior à loyer modéré. La ville se désiste de cet édifice, qui devint déclassé du domaine public pour être vendu, même si elle garde l’aile réhabilitée et sauvegardée occupée par le Crous. Pour une superficie de 2666 m 2, le prix de vente sera fixé à 400 000e et ce sera l’Union des Mutuelles Millavoises qui en fera l’acquisition en octobre 2022 en vue d’en faire une résidence pour personnes âgées ainsi qu’une crèche.
Marc Parguel