En 1868, un auteur anonyme fit paraître un petit livret de 21 pages intitulé « Un lundi de Pâques à Nant d’Aveyron » à l’imprimerie Lafare et Attenoux à Nîmes. Ce petit ouvrage a le mérite de retracer le Pèlerinage très populaire qui partant du village de Nant devait s’élancer vers le mont Saint Alban, si singulier avec sa double bosse, pour fêter le Saint ermite et cuire ce jour-là en plus de l’agneau pascal, des fouaces appelés « Gâteaux de Saint-Alban » qu’un vin vieux venait accompagner. C’était une vraie fête, comme une fête de village, le pèlerinage était plus considéré comme une promenade que comme une procession. Parcourons aujourd’hui les grandes lignes de ce livret parvenu jusqu’à nous…
Le retour du printemps
Dès les premières pages, le décor est planté : « Tout renaît au bonheur, l’hiver à disparu avec ses sombres nuages, ses frimas et ses glaces, le ciel se tend de bleu, les arbres se couvrent de feuillage… Quelle joie dans la petite ville de Nant ! Comme à l’approche de Pâques, tout le monde éprouve les plus suaves émotions ! Là, plus que partout ailleurs, les jours de fête qui vont s’ouvrir seront accueillis avec une vive allégresse ! Là, plus que partout ailleurs, en prenant part aux démonstrations d’une chaleureuse piété, on sentira plus intimes, plus ardents, les battements de son cœur… »
Le dimanche de Pâques
« Qui dépeindra les élans d’enthousiasme qui s’emparent de tous les cœurs, et cet air de fête que prend tout à coup la petite ville de Nant, d’ordinaire si calme et si paisible ? Ah ! c’est qu’aujourd’hui le jeûne quadragésimal est rompu !… Aussi, en ce jour les trois nefs de la vieille abbatiale sont-elles trop étroites pour la multitude qui vient y adorer son triomphateur et son roi… Le soir, comme pour préparer le peuple au pèlerinage du lendemain, le soir a lieu cette longue et poétique procession de l’Estrade, établie depuis si longtemps que personne ne peut en dire l’origine et le motif, et pendant laquelle on invite avec insistance l’Eglise du ciel à se joindre à celle de la terre pour célébrer le grand miracle de la Résurrection ! »
De l’église Saint-Pierre de Nant au pèlerinage vers Saint-Alban
Le lundi de Pâques : « Les cloches, lancées à toute volée, portent dans les airs leurs notes les plus harmonieuses. Elles appellent à la prière, annoncent que l’heure du départ est arrivée. Aussi, la foule se rend-elle avec empressement dans cette vaste église abbatiale, dont le style sévère et grandiose ne cesse d’attirer l’attention, et que l’on se plaît tant à admirer… C’est un spectacle vraiment beau que de voir cette foule accourue des départements limitrophes, rangée sous l’étendard de la croix, marcher dans un silence religieux, s’unir à la voix des chantres qui redisent les louanges à Marie. La procession s’avance quelque temps sous de grands ormes touffus dont l’origine remonte à plusieurs siècles.
Bientôt elle arrive dans la campagne qui étale comme avec orgueil, devant un soleil levant, ses nombreuses richesses… »
Une montée bien rude
« C’est alors qu’on entre dans ce sentier rude et pénible qui conduit au sommet de la montagne que l’on se dispose à gravir. Qui pourrait dire l’effet produit par cette longue file, parcourant avec joie un chemin raboteux formé d’innombrables zigzags, sur lesquels se dessine la procession tout entière ? Ici, les jeunes associés de la Sainte-Enfance font flotter au gré du vent leur modeste oriflamme, leur bannière de Saint-Louis-de-Gonzague ; là, les pénitents blancs précèdent le clergé. Plusieurs d’entre eux, les pieds à peine couverts de mauvaises sandales, s’estiment heureux de porter la belle et lourde croix dont ils sont fiers à juste titre, et sur laquelle viennent se refléter les rayons du soleil ; d’autres… ceux dont l’âge commence à trahir les forces, tiennent à la main le bourdon des pèlerins sur lequel ils s’appuient. Mais alors, point de peine, point de fatigue ; on s’avance, on monte, on monte toujours avec le même zèle, avec la même ardeur. De loin, on découvre la chapelle ; les vieillards versent des larmes de joie en la montrant à leurs petits-enfants ; ils ont voulu, pour la dernière fois peut-être, voir ces lieux bénis, se prosterner aux pieds de cet autel consacré par tant de vénération, ils ont voulu pénétrer encore dans la demeure du saint anachorète, gravir la montagne où naguère ils montaient, pleins de force et de vigueur. »
Arrivée à la chapelle de Saint-Alban
« Au milieu des chants de triomphe qui ne cessent de retentir, la foule se dirige vers la chapelle qui abrita longtemps le pieu solitaire. On n’y voit ni riches ornements, ni objets précieux, mais une digne simplicité. Les plus belles fleurs des champs décorent l’autel surmonté d’une image de la Vierge grossièrement sculptée, tandis que le sol est couvert comme d’un tapis de verdure. C’est là que le prêtre va célébrer l’auguste Sacrifice… Alors que la messe s’achève, le vénérable Pasteur descend dans la grotte de la source pour la bénir, de cette source qui donnait à l’ermite une boisson toujours fraîche, et les pèlerins, s’empressant d’y goûter, se croient tout heureux d’en emporter quelques gouttes dans leur demeure…on en a vu plusieurs attribuer à cette eau des propriétés presque miraculeuses »
Note : Il y avait autrefois une fontaine au fond du village où tout le monde allait puiser l’eau domestique. La Barbaresca est le nom d’une source toujours fraîche et jamais trouble qui jaillit sous le pont de La Prade. Le lundi de Pâques avait lieu une procession au rocher de Saint-Alban (ce saint étant l’un des trois ermites de la légende). Voir article « la légende des trois Ermites » Millavois.com, 11 avril 2020 ). Etienne Paloc de La Cavalerie nous précisa que cette eau était encore utilisée pour guérir certaines maladies des brebis (Al Canton, Nant, 1994)
Les gâteaux de Saint Alban
« À quelque pas de la grotte…quel riche paysage, quelle vue magnifique !… Après avoir quelque temps joui de ce spectacle, on se disperse sur un petit monticule couvert de buissons d’aubépine, d’églantiers et de touffes de buis. Entre ces jolies broussailles pousse une herbe fine et courte… C’est là qu’est préparé par les soins de nombreux convives un déjeuner presque frugal qu’assaisonnent tous les agréments champêtres. On s’assied sur la verte pelouse, et l’on dispose tout sur une mousse bien fraîche. La famille entière se réunit ; personne n’a voulu être privé d’un si doux plaisir ; c’est alors qu’on oublie les fatigues du matin, et qu’on reprend des forces pour en essuyer des nouvelles ? Pendant ce repas fraternel qui rappelle à l’esprit les agapes des premiers fidèles, mais surtout la manducation de l’Agneau Pascal, chaque famille prit son agneau rôti et le mangea, au sommet de la montagne. De plus, le lundi de Pâques est si bien notre fête à nous, que c’est pour lors qu’on prépare ces gâteaux traditionnels appelés dans le pays fouaces, ou mieux encore, gâteaux de Saint-Alban.
Les derniers jours de la semaine Sainte, la ménagère s’occupe de la confection de ces gâteaux pour lesquels elle a réservé sa plus belle fleur de farine. Aussi, comme elle est fière de son œuvre ! Comme elle a hâte de montrer à ses enfants cette belle croûte dorée…A Saint-Alban, et pendant ce déjeuner si agréable, on les mange avec joie ! La part du pauvre est toujours mise de côté, et le malheureux qui tend la main n’ignore pas qu’alors il y a place pour lui à ce banquet où tout doit être en fête. À la fin du repas, le plus jeune des convives a soin d’aller fouiller dans le fond de la gibecière ; il en retire encore un vase couvert de sable et de poussière, j’allais dire respecté, et quelques gouttes d’un vin vieux et exquis, de ce vin qui réjouit le cœur de l’homme… Pendant que la famille savoure avec délices le bonheur de se trouver réunie, on aperçoit, serpentant dans la vallée, une nouvelle procession sortie du village voisin qui se dirige vers le modeste ermitage… »
Retour à Nant
« Le tintement d’une cloche argentine a frappé l’oreille. Tout cesse aussitôt, à la joie succède un pieux recueillement, le moment du départ est arrivé. La procession s’organise, et s’avançant en bon ordre, se dispose à descendre par un autre chemin… Quand le jour touche à sa fin, on se rend à l’église des Pénitents, les Vêpres de Pâques y sont chantées avec la plus grande solennité ».
Après avoir fait un condensé de ce livret, voici quelques notes pour terminer sur ce pèlerinage.
Celui-ci était connu au XIXe guidé par les pénitents Blancs qui gravissaient pieds nus ou avec de vieilles sandales, le sentier pierreux jusqu’au Mont Saint Alban. Ils étaient une quinzaine à chanter des cantiques et portaient de lourdes croix. Ce pèlerinage continua jusqu’à la guerre de 1914-18, puis fut repris après la guerre, mais sans les pénitents. Devenu désuet, les enfants préférant aller faire sauter des omelettes pour le lundi de Pâques, il fut abandonné et ne fut rétabli que le 30 mars 1997, où les Nantais ont pris l’heureuse initiative de rénover la chapelle de l’ermitage Saint-Alban.
Marc Parguel