La disparition du Bar du Musée laisse un grand vide dans la vie de Millau

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Millau perd un lieu de convivialité et de solidarité avec la fermeture définitive du Bar du Musée. Victime des normes sanitaires, l’établissement tenu par Maria Marra depuis 35 ans, ne peut plus répondre aux exigences et doit baisser le rideau. Jean-Louis Esperce réagit.

En passant, j’avais jeté un regard, comme d’habitude, en direction de la vitrine, et, surprise, je n’avais pu voir que le rideau métallique abaissé jusqu’au sol. Ma première idée m’avait fait penser que c’était peut-être ce jour-là jour de fermeture. Pourtant il me semblait qu’il n’y avait guère de jour de fermeture dans la pratique commerciale habituelle de la maison. À chaque passage, les jours qui ont suivi, j’ai revu ce rideau baissé et l’idée de la maladie s’était imposée à mon esprit.

À quatre-vingt-dix ans, Maria Marra pouvait bien être fatiguée, avoir besoin d’un peu de repos après trente-cinq ans de présence quotidienne pour servir et faire manger les habitués comme les clients de passage. La semaine dernière, nouveau regard et là devant la boutique, devant le rideau baissé il y avait la voiture le hayon arrière relevé et Maria qui chargeait des objets et du matériel sortis par la ruelle qui conduit au Vieux Moulin. Je me suis arrêté et j’ai retrouvé la mère et la fille occupées à déménager du matériel de la cuisine de leur restaurant. Oui le rideau était fermé depuis quelques jours et cela définitivement !

Après trente-cinq ans, la cuisine n’est plus aux normes ! Le « Bar du Musée » est brutalement effacé du quotidien de ceux qui le fréquentaient. Plus de service au bar, plus de restaurant, plus de repas ! La cuisine comporte des placards en bois et cela, entre autres, la norme ne le permet pas. Alors entendant le motif de cette fermeture qui est pour Maria dans sa façon de me le dire, une vraie colère intérieure, avec son accent un peu rocailleux de sa Calabre natale, je repense soudain à ces images vues à la télévision de cette chaine de fabrication de pizzas de grande marque, de ces machines dégoulinantes de sauces et d’ingrédients divers, fermée administrativement pour cause d’intoxication alimentaire de jeunes enfants.

Là, dans cette usine moderne, il n’y avait pas de placards en bois, tout était en inox, tout était aux normes européennes et françaises et pourtant certains des enfants hospitalisés en sont morts. Il ne pouvait pas, il ne devait pas y avoir de problèmes puisque tout était aux normes ! Ces images qui dataient de quelques mois je les revoyais en écoutant Maria me dire son incompréhension et son incapacité à quatre-vingt-dix ans à refaire les murs et l’équipement de sa cuisine en inox, en un mot : aux normes.

Aujourd’hui en écrivant ces lignes je me souviens de tous ces petits restaurants, bistrots ou auberges dans nos villages de l’Aveyron, où, quelques fois, les poules servaient utilement au nettoyage de la salle en venant picorer les miettes sous les tables et parfois dessus. On y mangeait bien. Bien sûr ce n’était pas de ces assiettes à très large bordure autour d’un petit centre creux grand comme quatre dés à coudre, avec autour une abondante décoration de traits et de points de sauces colorées, d’herbes, de fleurs disposées artistiquement à la pince par un chef inspiré !

Non c’était des assiettes plates ou calottes que l’on vous portait bien pleines ou que l’on remplissait directement au plat posé au centre de la table, d’une cuisine faite avec des produits du jardin et des rôtis venus du clapier ou de la bassecour de la maison ou tout simplement résultat d’un heureux coup de fusil du patron en période de chasse.

C’est un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Nous l’avons vécu sans normes pour nous dire le temps qu’il fallait garder les bécasses avant de les enfiler sur la broche et retrouver l’intérieur de la bête sur la tartine judicieusement placée en dessous dans la lèchefrite qui recueillait aussi le lard fondu du flambadou. Nous l’avons vécu et nous y avons agréablement survécu ! Nostalgie.

Mais la fermeture du « Bar du Musée » en application des normes a des conséquences que les normes ne peuvent mesurer. D’abord c’est Maria Marra et sa fille Marie Françoise qui sont privées d’activité. Il n’est pas dans leur nature ni à l’une ni à l’autre de passer leurs journées sans rien faire. De ce seul point de vue la décision de fermeture est terrible et là, un peu d’humanité, eut été bienvenue dans l’application de la norme.

En outre combien de personnes, d’ici ou d’ailleurs, ont pu bénéficier des dons de Marie Françoise, toujours disponible pour soulager une douleur récurrente ou guérir un mal que la médecine n’avait pu vaincre. À cela s’ajoutait la charité chrétienne de ces deux femmes qui faisait que tous les jours Maria livrait, gratuitement, des repas qu’elle préparait à des familles dans le besoin. Tous les jours, une dizaine de personnes bénéficiait d’un portage à domicile de repas complets préparés dans cette cuisine hors normes. Tous les jours en fin de matinée, elle partait avec son véhicule porter des repas à des gens dans le besoin.

Cette leçon de vie et de dévouement pour les autres, ce besoin de travailler à quatre-vingt-dix ans quand d’autres veulent s’arrêter à cinquante, cette générosité, tout cela il y a été mis fin, la norme l’exigeait, la norme est respectée, le « Bar du Musée » est fermé à la place d’un peu de lumière sur la rue, d’un accueil chaleureux derrière la porte que l’on pousse il y a un rideau de métal baissé jusqu’au sol et deux femmes mère et fille malheureuses.

Norme où est ta victoire ?

Me Jean-Louis ESPERCE

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