Lundi 27 mai, l’ensemble du service de psychiatrie s’est réuni pour dénoncer « le refus des autorités de renouveler l’autorisation de séjour d’un médecin psychiatre ». À l’unanimité, le personnel a pointé du doigt « une situation qui met le secteur de psychiatrie dans une impasse » et appelé à une mobilisation massive.
A quelques jours près
Il y a quelques jours, un médecin psychiatre faisant fonction d’interne au pôle psychiatrie et employé par l’hôpital de Millau apprenait avec stupéfaction que son contrat ne pouvait être reconduit en raison d’un problème administratif. Ce dernier d’origine tunisienne doit comme la loi l’impose faire valider son diplôme grâce à une équivalence qu’il peut demander dès le mois de juin 2024 afin de renouveler son titre de séjour.
Arrivé en France il y a deux ans et employé depuis 18 mois dans le service de psychiatrie de Millau aux côtés de deux autres médecins, il devrait cependant être contraint de quitter le territoire français le 31 mai. Il suffirait pourtant à la machine administrative d’attendre quelques jours pour que son inscription aux EVC (Épreuves de vérification des connaissances) soit validée et ainsi renouveler son titre de séjour pour qu’il continue d’exercer, mais les choses ne semblent pas si simples !
Une grande mobilisation
Depuis cette annonce, de nombreuses personnes se sont mobilisées, ainsi que l’ensemble du service de psychiatrie sud aveyronnais qui tenait ce lundi 27 mai une conférence de presse pour alerter l’opinion publique et appeler à un rassemblement mardi 28 mai à 18h devant la sous-préfecture.
« Nous sommes stupéfaits de cette décision qui va à l’encontre totale du bon sens, du soin et du service public. Nous sommes tous là car nous sommes indignés », déclarait Marie-Caroline Espié, infirmière du Ve secteur et porte-parole du jour. « Le départ de ce médecin va entraîner une grosse problématique pour le suivi et la continuité des soins. On parle de la psychiatrie, on ne soigne pas la psychiatrie comme on soigne une jambe cassée », poursuit-elle en listant les dégâts collatéraux que causerait le départ de ce médecin : « abandon des soins, stress pour ses patients, allongement des prises de rendez-vous, surcharge de travail et risque de burn-out pour les médecins restants, rupture de l’alliance thérapeutique entre professionnels, risque de passage à l’acte, danger pour la population, impossibilité de prendre de nouveaux patients… ». Corine Mora, représentante CGT de l’intersyndicale hospitalière a elle, dénoncé « un véritable scandale ».
Deux médecins pour 75 000 personnes
Aujourd’hui seuls trois psychiatres, dont deux faisant en fonction d’internes exercent à l’hôpital en sud Aveyron. Le docteur Gonzalez, chef de pôle, explique que « pour répondre aux besoins en psychiatrie du bassin de population sud aveyronnais environ 75 000 personnes, il faudrait cinq médecins-psychiatres pour traiter la file active du service qui compte 1500 patients à l’heure actuelle ».
« Je suis très inquiet, c’est la rupture de soins qui nous guette et le burn-out des médecins restants. Ce médecin est compétent, il l’a montré, il est soutenu par l’ensemble du personnel, les familles, les usagers et moi-même. Ce départ mettrait en péril tout le service », explique le chef de pôle qui rappelle que cette décision intervient alors que la pénurie de professionnels fait rage et que la demande en soins explose depuis la crise covid, « en témoigne le nombre de cas de dépressions qui sont passées de 10 % à plus de 20 % » précise-t-il.
Une manœuvre de fragilisation
Les faits qui semblent émaner des rouages administratifs et de l’application à la lettre des lois de d’Etat, pourraient toutefois avoir une autre origine. « J’ai appris que le CHS Sainte-Marie vient de demander de s’occuper de la psychiatrie du sud Aveyron jusqu’alors rattachée à l’hôpital général. Je ne veux pas faire de supposition, mais à un moment où on fonctionne très bien, avec une véritable équipe communautaire et que tous les postes sont remplis, cette fragilité qui nous est imposée de l’extérieur, c’est peut-être pour nous dire, faites le rattachement, comme nous le demandons », a déclaré le docteur Jean-Dominique Gonzalès. « Je n’oserai pas croire que derrière cela, ce soit une manœuvre pour nous faire plier, parce que nous sommes un secteur de psychiatrie en résistance », a ajouté le chef de pôle enfonçant un peu plus le clou. « Je serai là avec l’ensemble du personnel pour résister à toute action malveillante et inamicale », a-t-il prévenu.
À ce jour, aucun papier officiel n’a été délivré au médecin concerné, difficile donc d’engager un recours juridique. Toutefois, il semble bien que ce dernier, resté très discret ne soit plus seul, et que son affaire qui aurait pu rester presque intra-muros soit en train de très largement dépasser les frontières départementales.
Une motion votée
Ce week-end, une motion de soutien a été votée lors des assises citoyennes nationales du soin psychique. Elle dénonce « les conditions dans lesquelles est traitée la situation de ce médecin qui depuis deux ans exerce sa mission avec conviction auprès de très nombreux patients au sein du centre hospitalier et qui se voit contraint de quitter le territoire français. Outre l’inhumanité et l’absurdité de cette mesure d’OQTF, les assises citoyennes du soin psychique exigent que soit reconsidérée cette décision arbitraire et qu’une solution soit trouvée pour lui permettre de poursuivre son travail et que son départ ne vienne pas aggraver le désert médical du cinquième secteur sud Aveyron. Nous rappelons que de telles situations ont déjà été résolues par les ARS dans d’autres régions. Donc il est primordial que ces accords trouvés trouvent leur plein équivalent sur notre territoire ». Après lecture, le représentant SUD Santé Sociaux, Eric Aninat a rappelé que des précédents existent dans d’autres villes et que l’ARS pourrait exiger de l’État une dérogation en invoquant « des raisons de maintien d’un service public ».
En attendant une rencontre prévue avec des représentants de l’ARS en début d’après-midi et la sous-préfète à 18h ce mardi 28 mai, l’ensemble du personnel de psychiatrie en appelle au rassemblement et au « courage » : « ayons le courage d’accueillir sur notre territoire et de pérenniser la présence de ses professionnels de santé. Pour notre santé et notre qualité de vie à tous, et pour la richesse qu’ils nous apportent au quotidien. Mettons-nous autour de la table pour trouver une solution et que nous puissions faire notre travail c’est-à-dire soigner, et que les politiques ou en tout cas les personnes qui sont responsables de ces décisions-là fassent leur travail, dans le bon sens ».