La forte mobilisation autour du médecin psychiatrique du centre de santé mentale menacé d’expulsion n’aura pas suffi à stopper la machine administrative, le médecin psychiatre est contraint de quitter le territoire français dès ce vendredi 31 mai.
« Colère et sidération » résument à eux seuls l’ambiance qui régnait au centre de santé mentale ce vendredi 31 mai à 14h. La nouvelle est tombée en matinée en matinée, le docteur a reçu un mail l’informant de la décision préfectorale qui l’oblige à quitter le territoire français.
La très forte mobilisation autour de cette affaire, l’entretien avec la sous-préfète de Millau et les récentes démarches auprès d’un avocat pour obtenir un récépissé qui aurait permis de dénouer la situation n’auront pas eu raison de la loi de l’État que la préfecture aveyronnaise s’applique à faire respecter à la lettre, expliquant que « l’intéressé est arrivé en France sous couvert d’un visa long séjour ‘étudiant – stagiaire, il y a deux ans’ et qu’il aurait dû s’inscrire aux EVC de 2024 pour valider son diplôme obtenu hors Union européenne. Il aurait ainsi pu ‘prétendre à une autorisation provisoire d’exercice dans le cadre des dérogations temporaires’. Pour la préfecture aveyronnaise, le médecin ‘ne remplit plus les conditions pour bénéficier d’un droit au séjour au-delà du 31 mai 2024 ».
Dans le courrier, dont le médecin a reçu copie en matinée, le directeur de la citoyenneté et de la légalité de la préfecture justifie la décision dans les mêmes termes que le communiqué de la veille et répond à l’avocat : « Je n’entends pas recevoir le dossier de demande de titre de séjour en vue d’un changement de statut. Dès lors que sa situation est clairement encadrée par les textes et qu’il n’a pas vocation à se maintenir sur le territoire à l’issue de son stage ».
Le docteur qui exerce depuis environ 18 mois au centre de santé mentale ne pourra donc pas rester sur le sol français qu’il doit quitter sans délai, et malgré les arguments avancés par le service concerné, à savoir, « l’impact qu’aura son départ sur les patients, leur prise en charge et sur les soignants de la psychiatrie, la décision préfectorale est irrévocable ». C’est un véritable coup de massue qu’a reçu l’ensemble du service qui croyait que « le bon sens pouvait l’emporter », notamment après la forte mobilisation de mardi 28 mai devant la sous-préfecture aveyronnaise.
Une situation d’exception
Jean-Dominique Gonzalès, médecin psychiatre et chef de pôle, très affecté n’a pu prononcer que quelques mots. « Je vis très douloureusement la situation, c’est quelque chose qui est incompréhensible pour moi. On est dans une situation d’exception, c’est la santé publique qui est en jeu. Face à cela, on nous parle de textes juridiques, c’est terrible parce qu’on est dans un pays des Droits de l’homme. Ils sont bafoués et c’est impossible de concevoir ça ! je ne comprends pas qu’on se batte encore sur des termes juridiques alors qu’il n’y pas de médecin. Là il y en a un et on le vire ! Nous on est à bout, je suis à bout de cette situation, on essaie de faire avec l’ensemble du personnel le mieux qu’on peut. Je les remercie de se mobiliser pour le docteur et pour notre outil de travail et de tout ce que l’on fait pour nos patients », a-t-il déclaré avant de quitter l’assemblée en larmes sous les applaudissements.
Le praticien a souhaité quitter le sol français sans délai pour ne pas être hors la loi, il a lui-même réservé un billet d’avion pour la Tunisie et s’envole pour l’autre côté de la méditerranée dans l’après-midi. Il pourrait toutefois revenir travailler en France dans quelques mois en s’inscrivant aux « EVC » depuis la Tunisie pour obtenir un titre de séjour. Cependant, les représentants du centre de santé mentale expliquent que cela prendra plusieurs mois et qu’en attendant, « il faudra gérer les 300 patients réguliers du médecin dont certains dans des situations d’instabilité importante », et qu’il leur sera « impossible d’absorber à deux médecins, le travail des cinq prévus pour le service ». « La situation pourrait avoir de graves conséquences. Des rendez-vous seront annulés dès le début de semaine, s’il arrive à nouveau des drames, on connaîtra les responsables, il ne faudra plus dire que fait la psychiatrie, dès lundi, il n’y aura plus qu’un responsable » martèle Éric Aninat en colère.
« Une décision qui ne profite à personne »
À l’unanimité, les personnes présentes dénoncent « une décision incompréhensible qui ne profite à personne, conséquence des dérives de la stricte application des lois du gouvernement ».
« On s’attaque depuis un certain temps aux deux piliers de la démocratie, l’éducation et la santé, Lucien Bonnafé, psychiatre écrivait il y a plusieurs décennies, on juge une société à la manière dont elle traite se malades mentaux et ses marginaux », a conclu une infirmière dépitée.
Après l’annonce en matinée, en deux heures, une quarantaine de personnes s’est spontanément réunie, tous assurent que la mobilisation ne faiblira pas et entendent même lui donner une dimension nationale.