Patrimoine Millavois. Avec Louis Guillaumenq « maire du Mandarous » et Louise Monteillet

L’Hôtel du Commerce au début du XXe siècle © Cédric Cadaux
Marc Parguel
Lecture 10 min.

Autrefois et durant plus de 25 ans, deux voix populaires s’élevaient sur la place du Mandarous, celle de Jean-Paul Louis Guillaumenq (1883-1951), qualifié de « chef rentier » sur le recensement de la population de 1926, que l’on avait surnommé « le maire du Mandarous », tant il était présent, agitant sa tête maigre coiffée d’un canotier, et entrecoupant les récits de ces exploits de chasse ou de pêche par d’abondants jets de salive dont il zébrait le pavé du trottoir, et Louise Monteillet (1884-1954) tenancière d’un kiosque à journaux qui se distinguait par son franc-parler, son humour, sa verve, ce qui lui valut une sympathique popularité.

Le maire du Mandarous

Carrefour central d’où partent les grandes artères drainant la circulation en ville ou vers l’extérieur, le Mandarous n’a cessé d’être, depuis les toutes premières années du XIXe siècle qui lui donnèrent sa forme demi-circulaire, le cœur vivant de notre Cité.

Publicité

Cette fameuse place se vit dotée, par la voix du peuple, d’une sorte de magistrat bonhomme dont le mandat se prolongea, de longues années durant, sur ce territoire aimé de tous et qui l’avait vu naître. Ce fut le maire du Mandarous. Pour l’état civil, il était Jean-Paul Louis Guillaumenq. Fils du savetier-hôtelier, Edmond Clément marié à Célina Poujol d’Aguessac, notre « maire du Mandarous » naquit dans la maison paternelle le 22 juin 1883. Lors de sa naissance, son père avait 35 ans et sa mère 21.

Vieux garçon, badaud impénitent (il vivait de ses rentes), aussi légendaire par son goût de la conversation et sa bonhomie que par sa serviabilité, notamment pour renseigner les étrangers, il s’intégra durant des lustres au paysage familier de la place : aussi la voix populaire avait-elle à merveille saisi le personnage en le surnommant : « le maire du Mandarous ».

Le « maire du Mandarous » en canotier (1927). (DR)

Un « Tartarin de Tarascon » millavois

Son métier de « rentier » le rendait disponible et omniprésent sur la place du Mandarous, et il savait se rendre utile, en renseignant les touristes égarés, comme le fit le bénévole qui un temps assura dans le kiosque du Syndicat d’Initiative, sur la place, cette fonction indispensable à une cité touristique.

Au courant de toutes les nouvelles qu’on voulait lui confier et qu’il diffusait à son tour, en les amplifiant souvent avec plaisir, Louis Guillaumenq était devenu à lui seul une véritable gazette. Souvent dans ses conversations revenaient ses exploits de capture animalière comme s’il avait toujours entretenu une relation cathartique avec la chasse.

Devant l’entrée de l’Hôtel Guillaumenq en 1908, au 8 place du Mandarous © Marc Parguel

Georges Girard aimait à se souvenir de cet homme grand ami de son père : « Qui a connu Guilhaumenq ne l’oubliera jamais. Son appartement du 2e étage où, célibataire endurci, il avait vécu longtemps avec sa mère veuve à 45 ans et décédée en 1923 offrait la plus magnifique collection d’animaux naturalisés. En effet, il se disait grand chasseur devant l’Éternel : en lui palpitait l’âme d’un authentique Tartarin. Chasseur, il l’était bien un peu à ses heures : quand l’envie le prenait de se dégourdir les jambes ou de se dépayser un moment, mais il se doublait d’un affabulateur plein de rouerie et jamais à court de verve. Il avait dans son sac une provision d’histoires personnelles qui laissaient bouche bée les auditeurs qui ne le connaissaient point encore assez ; néanmoins elles semaient la bonne humeur chez tous ceux qui, le connaissant bien, ne pouvaient s’empêcher d’admirer ses remarquables prouesses verbales : qualité de l’imagination, de la mimique, de l’art de conter. Et plus d’un rappelle à son sujet cette rocambolesque histoire des gendarmes de Peyreleau qu’il aurait entraînés à le poursuivre, un jour défendu – et durant plus de 10 heures, – dans la montée de Capluc et par les travers du causse. Qui est chasseur est presque toujours pêcheur. Pêcheur, il l’était aussi, et dans les mêmes conditions, se vantant de prises incomparables en nombre et en qualité, dont son panier d’osier et ses « lignettes » n’avaient jamais sûrement connu le poids annoncé. De par ailleurs, il ne négligeait rien de ce qui pouvait affirmer son image de marque ; aussi sa panoplie vestimentaire était-elle riche en bottes et cuissards, en fusils de tous calibres et en cannes à pêche imposantes. Et lorsque notre Tartarin partait en campagne, flanqué de son fidèle compagnon chien, il offrait le plus joli modèle d’indigène que pouvait souhaiter un peintre en mal de pittoresque. Ce pittoresque lui avait conquis, inévitablement, une solide notoriété. Ses péroraisons sur la place, où il montait la plus vigilante des gardes entre sa maison et le café Benoit, lui valaient de nombreux auditeurs amusés. De plus, le nez en l’air, il vous humait le temps en connaisseur et, météorologiste averti, vous prédisait vent, pluie ou soleil, avec une exactitude qui éclipserait aujourd’hui la science bien approximative de nos radios-télévisions. » (Du maire de la Tine au maire du Mandarous, juin 1981)

Que d’évènements aussi s’étaient déroulés sous ses yeux, au fil des ans, sur ce Mandarous ; il y avait vu planter en 1897 cette même « Marianne » de Denys Puech qu’il verra bien plus tard, quelques mois avant sa mort et non sans quelque humeur, « déportée » au Parc de la Victoire. Il avait assisté à la succession de « l’Hotel Guillaumenq » qui passa à la famille Canac sous l’appellation « Hôtel du Commerce » en 1912.

Il avait assisté à la ronde renouvelée des kiosques éphémères, qu’ils soient à journaux ou de police autour de la place. Celui à journaux crée en 1880 fut démonté et déplacé durant l’été 1926 à l’endroit où fut établi une vespasienne devant la remise Vaissier, aujourd’hui Pâtisserie Saint-Jacques. Un édifice jumeau du kiosque à journaux fut établi, à la même époque, sur le côté ouest de la place, devant la maison Quézac.

Le kiosque à journaux (DR)

Partageant la place avec « La Monteillette »

Ce changement de lieu pour le kiosque à journaux ravit sa tenancière, madame Louise Monteillet. Son kiosque était sur le plan hexagonal comme l’ancien, mais bien plus spacieux, ce qui dû faciliter le service et dans son intérieur, et « la Louise » comme les Millavois l’appelaient alors, se sentait vraiment à son aise.

Forte personnalité, c’était une des figures les plus marquantes du quartier, et si le « maire du Mandarous », le brave Guillaumenq n’avait été un célibataire endurci, il aurait trouvé dans « la Monteillette » ainsi qu’on l’appelait familièrement, une maîtresse aussi représentative que lui. Elle était d’une corpulence aussi remarquable que son amabilité.

Georges Girard aimait à se souvenir : « Lorsque vint s’installer dans le kiosque à journaux du café Benoît l’inoubliable plantureuse « Monteillette », Guillaumenq hérita là d’une partenaire « à la madame Angot » dont la faconde tenait souvent tête à la sienne. Les diatribes s’avéraient à certains moments très passionnées, fort discordantes et la place en tremblait. Il fallait toute la diplomatie feutrée et l’autorité souriante de celui qu’on nommait « le Sous-Préfet du Mandarous », mais aussi M. Clément Unal pour ramener les antagonistes à la raison. Mais l’accord final intervenait, toujours parfait. Le Mandarous ne pouvait pas s’imaginer sans ses trois citoyens à qui personne ne songeait à disputer la légitimité. »

Louise Monteillet et son kiosque à journaux en 1936. (DR)

La gentillesse et la serviabilité de Madame Monteillet étaient bien connues, et lorsqu’elle quitta les lieux en 1951, en même temps que l’édicule plus d’un habitué de l’endroit put soupirer : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».

Louis Guillaumenq l’avait devancée, lui, l’homme de la rue et de la foule, libre de ses horaires devra passer ses derniers jours de retraite prisonnier des murs impitoyables du couvent Saint-Joseph, et le 8 août 1951, il devait quitter son Mandarous pour entrer dans un autre monde que l’on dit meilleur. Sa voisine avec qui il partagea la place un quart de siècle, devait le rejoindre, en 1954. Leur souvenir restera à jamais lié à cette place du Mandarous que tous deux affectionnaient.

Marc PARGUEL

Partager cet article
Quitter la version mobile
X