Millau. La fontaine de la Tine porte désormais un nom

Fanny Alméras
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© Millavois.com

Jeudi 5 juin, la place de la Tine à Millau a rassemblé une petite foule venue honorer la mémoire de Jean Compan, maçon et tailleur de pierre millavois à qui l’on doit la fontaine qui trône depuis 45 ans dans le quartier. À l’initiative de cette reconnaissance, Georges Causse, apiculteur local et ancien collègue de travail de Jean Compan, qui a souhaité que soit apposée une plaque portant le nom du sculpteur sur l’ouvrage.

Amis, anciens collègues des ateliers municipaux, élus, membres de la Société d’Études millavoises… et, surtout, membres de la famille de Jean Compan étaient présents pour cette cérémonie empreinte d’émotion.

C’est Camille, l’une de ses petites-filles, qui a pris la parole au nom de la famille. « Quand Alban, 7 ans, m’a demandé comment on écrivait “papet” pour faire un exposé à l’école sur un membre de sa famille, je me suis dit qu’il avait choisi le plus célèbre, et qu’un jour il pourrait dire : cette fontaine, c’est mon papet qui l’a faite », a-t-elle confié, exprimant la fierté partagée par toute la parenté de voir le nom de Jean Compan désormais associée à la fontaine de la Tine.

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Une restauration à la hâte

C’est sous l’impulsion du maire de l’époque, Manuel Diaz, que fut décidée la restauration de cette fontaine millavoise, alors partiellement détruite : usure, vandalisme, les récits diffèrent. Le dessin du monument fut confié à M. Cartaillac, du bureau de dessin de la mairie, qui s’efforça de reproduire grandeur nature, un modèle aussi fidèle que possible à l’original. Mais l’état de dégradation de la fontaine rendait toute reproduction à l’identique difficile.

Jean Compan chez lui photographié par son voisin, M. Ayrignac (orthographe incertain), a documenté en photos les étapes de cette œuvre. © DR

Jean Compan, ouvrier municipal, maçon et tailleur de pierre, s’est donc appuyé sur ces croquis pour réaliser la sculpture entièrement à main levée. Le temps pressait, commandée en mai 1980 pour une inauguration prévue en juin, la fontaine devait être réalisée en un mois. Un délai incompatible avec les horaires classiques des ateliers municipaux, aussi, le maire autorisa exceptionnellement Jean Compan à travailler chez lui. Il s’y attela sans relâche à raison de 13 à 14 heures par jour, sans maquette préalable. Pendant ce temps, Paul Gaubert, maçon employé par la mairie, réalisa le bassin dans les ateliers.

Le témoignage de la Société d’Études Millavoise

Jean-Louis Cartayrade, président de la Société d’Études Millavoise (SEM), a profité de l’occasion pour rappeler l’historique de la fontaine, grâce à un travail de mémoire mené par Maryse Capus, membre active de l’association qui a eu la chance de rencontrer Jean Compan le 28 août 2021.

Elle en retient le portrait d’un autodidacte passionné, passé du BTP aux services municipaux. Jean Compan lui avait alors précisé que la fontaine d’origine avait été démontée et remisée par ses soins dans les locaux municipaux de la zone industrielle. Elle devait être restaurée à son arrivée dans les années 60, mais les changements de municipalité et les rivalités entre équipes sortantes et entrantes ont relégué le projet au second plan. La pierre, attaquée par la gale, a finalement rendu toute restauration impossible.

À sa connaissance, la stèle se trouvait encore dans les réserves au moment de son départ à la retraite en 1996, mais il ignore ce qu’elle est devenue depuis le déménagement des ateliers municipaux.

Jean Compan lui expliquait alors, que la fontaine d’origine se situait autrefois vers l’avenue Jean-Jaurès. Elle était alimentée, d’après ses discussions avec son ami Georges Girard, par le ruisseau de Vésubie, ou Mère de Dieu, par un aqueduc descendant par la rue François Fabié (ancienne rue des Bains).

Une carrière dans le service public

Lors du dévoilement de la plaque, les élus ont salué la mémoire de Jean Compan et, à travers lui, celle de tous les ouvriers municipaux. Nicolas Wöhrel, élu à la culture, a plaisanté : « bien sûr, ce n’est pas la fontaine de Trévi à Rome, elle est plus modeste, mais elle est chère au cœur des Millavois. » Lui-même un temps tailleur de pierre, souligne le travail que représente cette œuvre.

La maire de Millau, Emmanuelle Gazel, a retracé le parcours exemplaire de Jean Compan : entré à la mairie en 1969 avec une note de 18/20 à l’examen d’admission, il devient maître ouvrier en 1975, puis contremaître en 1979, avant d’achever sa carrière comme contrôleur en 1995. Elle a également salué l’ensemble des agents techniques de la ville, rappelant « l’importance de préserver, et de transmettre ces compétences et ces savoir-faire au service de la collectivité pour un meilleur service public ».

Jean Compan est à l’origine de plusieurs œuvres à Millau et ailleurs. En 1987/88, lors de travaux dans le Beffroi, avec des collègues, ils découvrent le moule en plâtre de Jean Henri Fabre, sous des gravas. Jean Compan suppose qu’il avait été caché lors de la dernière guerre et oublié. Il l’a entièrement restauré et exposé à l’école Jean Henri Fabre de Millau. Il a aussi travaillé à la restauration du clocher de Notre-Dame au début des années 60 et à la grande vasque rappelant les poteries sigillées de la Graufesenque et désormais à l’entrée du site. On lui doit également le monument aux morts du Parc de la Victoire.

Le monument à la mémoire des résistants (18 mai 2024) (DR)

Il a sculpté bénévolement et sans maquette le monument de la Résistance du cirque de Mourèze (Mémorial au Maquis Bir-Hakeim) . La famille Compan habitait Saint-Félix de Lodez (34) et son frère Marcel, mort au maquis à la fin de guerre à une place qui porte son nom dans le village. Lors d’une commémoration, le maire se désolait de ne pouvoir honorer ces combattants, car les sculpteurs étaient trop chers. Jean Compan avait alors proposé de réaliser le monument gratuitement après accord du maire de Millau, Gérard Deruy.

Jean Compan a pris sa retraite en 1995 et son dernier travail avec ses collègues de la mairie est la réalisation de l’abri bus en haut de la côte de La Cavalerie.

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