Patrimoine millavois. La rue des Castors

Marc Parguel
Marc Parguel
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© Marc Parguel

La rue des Castors rappelle l’association des constructeurs qui ont réalisé l’ensemble des habitations qu’elle dessert. Elle part de la rue de l’Egalité et rejoint l’avenue Jean-Jaurès par un passage de 1 m de large.

Si l’histoire de cette rue est édifiante, c’est pour ce qui y a été édifié entre juin 1953 et décembre 1955. Durant cette période, cinq immeubles familiaux ont été bâtis sur un terrain inculte, suivant le système élaboré par le « mouvement des castors » lancé en Suède en 1927 et largement repris partout dans la France durement touchée par la crise du logement depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’idée est simple : il s’agit de remplacer les moyens financiers par les manches retroussées. Autrement dit, de s’unir pour construire en commun ce que chacun de son côté ne pourrait faire.

Les castors millavois

Jean Pons, jeune comptable à l’usine Jonquet fut séduit par ce système : « En janvier 1953, je suis allé rendre visite à un ami qui avait lancé avec succès un mouvement de castors à Castres. Ça m’a donné l’idée de reprendre le principe à Millau où la demande en logements était forte », se souvenait le fondateur de l’association « les Castors Millavois ».

Il côtoie nombre de personnes, raconte, explique et l’idée séduit neuf autres jeunes pères de famille : cinq gantiers (MM. Andral, Mestre, Tarral, Vialettes et Garrigou), un fonctionnaire (M. Maury), un préparateur en pharmacie (M. Gaven), un électricien (M. Arlabosse) et un maçon (M. Suquet). A cette époque, le plus âgé d’entre eux n’a pas trente ans. Tous, d’origine modeste, vivant souvent dans deux pièces, sans salle d’eau, wc dans le couloir aspirent à davantage de confort.

Jean Pons ( DR)

La jeunesse aime l’aventure, dit-on souvent. Et ces dix gaillards s’y jettent sans hésitation. Première obligation : donner une forme légale à leur groupement. Ainsi naissent « les Castors Millavois », association présidée bien sûr par l’instigateur de la démarche entreprise.

Très vite, les premières difficultés surgissent : l’obtention du crédit nécessaire à l’achat du terrain en commun n’est pas chose aisée et les problèmes administratifs et financiers sont légion. Le choix du terrain est fixé sur un champ inculte appartenant à Mme Nicouleau, situé aux portes de la ville, sur le chemin du cimetière, entre l’avenue Jean-Jaurès et la voie ferrée.

Ceci nous était rappelé par Jean Pons : « Officiellement reconnus, nous étions donc prêts à l’action et quelques mois plus tard, le choix d’un terrain fut le premier jalon constructif de cette action. Mais, terrain choisi n’est pas terrain acheté ! Grosse difficulté en vérité, base essentielle de notre effort. Pas de terrain, pas de construction ! Deux longs mois s’écoulèrent et la Caisse d’Allocations nous accorda le crédit que, par remboursement mensuel sur ses allocations pendant trois ans, chaque Castor, paie pour son terrain… Une fois propriétaires du terrain, il ne fallut pas moins de six mois pour résoudre tous les problèmes administratifs et financiers que nécessitaient la mise en place et la mise en route de tout le système du Crédit. »

Débuts des travaux (juin 1953)

Après avoir fait accepter les plans et obtenu du Crédit Foncier une rallonge financière, en juin 1953, les travaux démarrent enfin véritablement. « Notre association avait embauché trois maçons, dont un chef de chantier, M. Paulhe », précisait Jean Pons qui soulignait aussi d’avoir reçu pas mal de soutiens bénévoles, notamment de la municipalité d’alors et de M. Veyrac, un ami, pour la comptabilité et les bulletins de salaire. Et d’ajouter : « Pour éviter toute ambiguïté entre nous, on a tiré au sort les emplacements des maisons et l’ordre de leur construction. Comme ça, pas de jaloux ! » Ainsi préparée, l’équipe des « Castors millavois » va travailler d’arrache-pied pendant dix-huit mois, sacrifier le moindre de ses repos, week-ends, soirées, vacances, à l’édification de son rêve solidaire.

Comme le rappelle Ginette Suquet : « Pour deux bâtiments, ils reçoivent, pendant les vacances, l’aide des Scouts de France. Ils pourvoient ensuite ravitaillement en pierres, en sable. Tandis que les uns s’occupent uniquement de la fabrication des moellons et des charpentes, les autres assument la manutention et les transports. A ce propos, signalons l’aide méritoire de M. Artières, industriel bien connu sur la place de Millau (colles et gélatines). Il met un camion et son chauffeur à disposition de nos bâtisseurs. Grand service rendu ! » (Des Millavois parlent aux Millavois, De l’autre côté du présent, tome VI, p.220, 2015).

« Pendant les beaux jours, on s’astreignait à 80 heures de travail mensuel, se souvenait encore Jean Pons. On a eu des moments pénibles, en hiver notamment, des moments de lassitude, mais l’ambiance était bonne. On s’est accroché ! »

Les dix vaillants Castors au travail (DR)

Au fur et à mesure du chantier, ils découvrent les joies et les peines des métiers de terrassier, maçon, menuisier, électricien, couvreur, peintre…

La première maison des Castors inaugurée

En juin 1954, Charles Dutheil, maire de Millau, entouré de personnalités inaugurait la première maison de la Cité des Castors, et, visitant l’ensemble des chantiers déclarait : « Vous avez créé une âme commune de travailleurs et de vainqueurs ».

Un an s’était écoulé entre le premier coup de pioche et l’inauguration de la première maison. Ainsi, entre le début du chantier et octobre 1954, ces vaillants autodidactes ont effectué pas moins de 10 973 heures de travail, fabriqué 1700 poutres pour les planchers, 5000 moellons pour les cloisons intérieures, remué plus de 600 m3 de terre à la pelle pour creuser les fondations, posé 11 000 tuiles, manipulé 18 000 briques, etc., etc. Quel travail formidable !

Un chantier solidaire (DR)

Une aventure qui aura duré 19 mois

Peu avant Noël 1954, le gros œuvre est pratiquement terminé, il ne reste plus qu’une maison à couvrir. Il faut cependant attendre décembre 1955 pour que les maisons terminées accueillent les dix familles.

A la fin d’une aventure de 19 mois où dans l’unité et la compréhension ces Castors ont accompli, à une époque où régnait en maître l’égoïsme, un geste de fraternité humaine.

Le résultat est là, toujours là : cinq imposantes maisons à deux étages abritant chacune deux logements au confort tout ce qu’il y a de moderne. Au premier étage, une entrée, un bureau, une salle commune ajourée par deux larges fenêtres en coin, une cuisine, un débarras et un w.c. Une rangée d’escaliers permet d’accéder au second. Là, trois chambres, une salle d’eau et un débarras supplémentaire.

Le rêve devenu réalité pour dix couples et leurs vingt-six bambins. « Ce fut une sacrée aventure et avec ça, pas franchement gagnée d’avance,estimait Jean Pons. Mais on a réussi. Et pour fêter ça, nous nous sommes permis de faire un petit repas entre hommes. Que dis-je ! Un bon repas à l’Hôtel Moderne de monsieur Pomarède. »

La municipalité aussi a souhaité célébrer ce défi courageux : par décision du 10 janvier 1957, elle a donné le nom de « rue des Castors » a cette petite ruelle menant au lotissement de l’amitié bâtisseuse. (Voie publique n°24, longueur 70 mètres, largeur 5 mètres)

La rue des Castors (actuellement) © Marc Parguel

Un coup de chapeau somme toute logique à suivre…et suivi, en 1957-58, d’une deuxième expérience également réussie : le « Clair logis », rue Frédéric Mistral, sur le terrain dur, au Crès. Qui a dit que la fraternité n’était qu’un idéal utopique ?

Marc Parguel

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