L’exposition d’Anne-Marie est comparable au chemin qui y mène. Peut-être même commence-t-elle déjà là, sur ce chemin de la Combe qui s’impose, dans nos vies, comme une bifurcation saisonnière. Ce chemin nous est familier, nous en connaissons le tracé, les paysages qui le bordent. Il est la promesse de retrouvailles imminentes avec la peinture d’Anne-Marie, dans la maison-atelier qu’il nous invite à rejoindre. Et pourtant, n’y a-t-il pas un moment, une seconde, où son mystère nous gagne et où nous venons à nous demander : où ce chemin va-t-il nous emmener ? L’espace d’un instant, le balisage de notre souvenir s’estompe, l’inconnu l’emporte.
Il en va ainsi de cette exposition. Nous commençons par renouer avec la lumière qui imprègne la peinture d’Anne-Marie, semblable à un feu couvant sous la braise. Nous reconnaissons avec évidence plusieurs motifs qui constellent ses tableaux antérieurs et qui réémergent à la surface de sa toile : forteresses nimbées de brume, silhouettes humaines, damier de couleurs, petites bâtisses. Nous retrouvons sa palette qui depuis l’exposition précédente, comme par un effet de rémanence, restait imprimée en secret sur notre rétine. Nous faisons, une nouvelle fois, la distinction entre les aplats de couleurs, empreints de sérénité, et les empâtements, pleins d’impatience et de pulsion créatrice, qui sont comme une écorce à même la toile.
Tout cela, nous le reconnaissons, avec justement un sentiment de reconnaissance. Mais passée la vue d’ensemble de l’exposition, contemplons ces tableaux d’un peu plus près. Attardons-nous sur les questions que déjà, imperceptiblement, ils soulèvent en nous. Ce ciel aux moirures de bronze, qu’un soleil essaie de transpercer. Cette lande couleur sable, où des formes de givre font face à des dentelles de glace. Ce paysage polaire qu’un singulier cortège semble traverser à gué. Toutes ces visions sont neuves, inédites, comme des strates inconnues qu’une géologue, à force de patience et d’ouverture à l’imprévu, parviendrait à mettre au jour.
Le travail pictural d’Anne-Marie est un cheminement, l’exploration d’un halo de lumière ou d’une lumière intérieure. Année après année, sous la quête obstinée de son pinceau, de nouvelles étendues se révèlent, empreintes d’une étrange quiétude. C’est par approfondissement, non par le jeu des variations chromatiques, que des couleurs viennent à émerger ou à dominer sur sa palette. Ainsi ce bleu, qui n’est ni de cobalt, ni outremer ni de Prusse, et qui devient la teinte majeure de ses nouvelles toiles. Ce bleu ne cède pas à la tentation du monochrome, il vagabonde entre le bleu boréal et le bleu nuit, se donne aux ciels tourmentés comme à la terre endormie, formant une couleur tout à la fois permanente et insaisissable.
En empruntant ce chemin qui mène à la Combe, début juillet, j’avais en tête la remarque d’Anne-Marie m’écrivant, à propos de sa production récente qui la laissait mitigée : « Ça décline ». Nous n’avons aucun mal à imaginer, sur ses lèvres, cette remarque teintée d’un peu d’embarras, d’une grande modestie et d’une bonne dose d’autodérision. Je serai tenté de lui répondre, avec un humour de la même teneur : « Oui, à l’évidence, ça décline. Mais au sens astronomique du terme : décliner, se rapprocher de l’horizon. » Ça décline, non pas à vue d’œil, mais à perte de vue : jusqu’aux confins de l’univers pictural d’Anne-Marie, ces confins vers lesquels seul son pinceau nous fraye le chemin.
Pierre-Emmanuel PARAIS
L’exposition est visible tous les jours entre 11h et 19h jusqu’au dimanche 15 septembre au lieu dit « La Combe », commune de Sauclières.