Toussaint… c’est le jour du Souvenir. Dans une saison qui elle aussi se meurt, le premier novembre, jour de deuil, se reflétait autrefois dans l’image même des personnes qui se recueillaient sur la tombe d’un père, d’une mère, d’un frère, d’un enfant que le temps avait un jour fauché.
Comme nous le rappelle l’ouvrage « Autrefois les paysans » : « C’était aussi le temps où les enfants partageaient les peines et les soucis des grands. « Venez mes enfants, c’est l’heure, nous allons faire notre devoir », disait la mère en nouant son fichu noir. Le père bien rasé, tête nue, le béret à la main, le costume foncé et la cravate sombre, passait devant et nous suivions l’air contrit, un petit bouquet champêtre à la main » (Los Adralhans, 2007).
C’est le 2 novembre, jour de la fête des Morts, qu’il est de coutume de déposer des bouquets de chrysanthèmes sur les tombes des proches décédés. Une coutume qui est née dans la foulée de la Première Guerre mondiale. En effet, à l’occasion du premier anniversaire de l’armistice, Georges Clémenceau, alors président du conseil a demandé aux Français d’utiliser les chrysanthèmes pour fleurir les sépultures des soldats tombés au combat pendant la Grande Guerre. Or, les chrysanthèmes faisaient partie des rares fleurs à s’épanouir aussi tard dans l’année et étaient capables de résister aux premières gelées. Ainsi, une très grande partie de la population a apporté ces plantes dans les cimetières, au point que cela est devenu une tradition.
Funérailles au Moyen Âge
Comme nous le rappelle Joseph Rouquette :
« Partout et toujours on a mis plus ou moins de pompe dans les funérailles. Rien de plus louable que ces honneurs rendus aux morts pourvu que la solennité qu’on y porte conserve le caractère chrétien et ne sorte pas des bornes d’une sage modération. A Millau, on fit consister la pompe des cérémonies funèbres dans les choses suivantes : 1° L’assistance, le chant et les prières d’un nombreux clergé qu’on appelait lou renc. Quand lou renc était au complet, il pouvait y avoir de 120 à 130 prêtres tant séculiers que réguliers. » (Recherches historiques sur la ville de Millau, tome II, 1888).
Dans les campagnes avoisinant Millau, c’était sensiblement la même cérémonie. Ainsi Antoine Frégier, dit Grasset, de Saint Sauveur du Larzac, demande le 2 octobre 1556, à être enterré « au saint cimetière de l’église Saint Jacques de Nant ».
Il demande, encore, que 100 prêtres assistent à ses obsèques, neuvaine et bout de l’an. Il a, sans doute, fallu battre le rappel de tous les prêtres obituaires de la région pour satisfaire cette exigence.
Continuons avec l’abbé Joseph Rouquette :
« 2° La présence d’un certain nombre de pauvres de la ville auxquels on donnait un cierge et des vêtements qu’ils portaient à l’enterrement et pendant la neuvaine. C’était accomplir, à la lettre, les paroles de Notre Seigneur Jésus Christ qui nous ordonne de donner à manger à ceux qui ont faim et de vêtir ceux qui n’ont point d’habits.
3° Les familles fournissaient les cierges et en mettaient comme elles voulaient autour du corps et à l’autel où on disait la messe. Aux enterrements des consuls, la règle était que la ville offrit six torches ornées d’un écusson.
4° La sonnerie des cloches. Toujours proportionnée à la classe de l’enterrement et à la dignité du défunt. Aux funérailles les plus solennelles, on ne sonnait que quatre cloches. Dans une transaction de 1335, on arrêta qu’on sonnerait le bourdon aux enterrements du Prieur, de tous ses prêtres, des consuls, de leurs femmes… morts à Millau. Le prieur obtint encore le privilège de faire sonner à ses funérailles, la cloche appelée Angelus, qui jusque-là n’avait sonné pour aucun enterrement.
5° Les draps mortuaires. Quand on voulait honorer quelqu’un, quatre personnes notables portaient un drap qu’on étendait sur la bière, soit à l’église, soit au cimetière, pendant l’office religieux, ce qui était raisonnable, un drap étant fait pour couvrir quelque chose et non pour être seulement porté à la main.
A Millau, le drap qui figurait aux enterrements qui sortaient de l’ordre commun était fait avec une étoffe d’or, et c’était le comble de l’honneur lorsque les consuls en tenaient les quatre coins » (Recherches historiques sur la ville de Millau, tome II, 1888).
En 1441, Guillaume Toupignon qui avait été pendant longtemps juge de Millau étant mort, la ville par honneur pour sa personne, le Juge-Mage du Rouergue, lui fit sonner le grand glas, et mit huit torches de 2 livres et demie chacun et le drap d’or à son enterrement.
Ce drap si scintillant était aux yeux de l’église le symbole de la robe éclatante, dont les élus seront revêtus dans le ciel.
Le noir, couleur du deuil
Au-delà du drap de couleur or dont on se servait, au Moyen-âge, il était de coutume qu’on s’habille de blanc pour les enterrements. Puis le noir est apparu. C’est à la Reine Anne de Bretagne (1477-1514), épouse du roi Charles VIII, que l’on doit cette tradition. Celle-ci avait l’habitude de porter des habits noirs, qui rappelaient la simplicité des vêtements des paysans bretons. Lors des obsèques de son premier enfant, en 1495, elle a exigé que les personnes présentes arborent cette couleur.
La mort n’oublie personne, et même les plus puissants succombent parce qu’ils ont trop profité de ce que la vie leur offrait. Le curé de Vézouillac nous le rappelle dans ses notes écrites au milieu du XVIIIe siècle : « Monsieur de Carbon, très riche de Millau, ayant eu une indisposition, fut trouvé raide mort le lendemain, l’on procéda à l’ouverture de son cadavre et on découvrit facilement que c’était son grand embonpoint et la grande quantité de graisse qui l’avait suffoqué. C’est comme aujourd’hui les uns meurent parce qu’ils sont trop maigres pendant que les autres meurent parce qu’ils sont trop gros » (Archives paroissiales).
L’apparition du corbillard
Si le véhicule servant à transporter les dépouilles s’appelle un corbillard, c’est à cause d’une ville de la région parisienne.
A l’origine, ce mot qui a fait apparition au Moyen-âge désignait le coche d’eau qui transportait les voyageurs de Paris à Corbeil. Ces embarcations à fond plat se sont surtout montrés utiles lors des épidémies de peste, récurrentes au XIVe siècle. Ces bateaux à forte contenance ont en effet été réquisitionnés pour transporter les cadavres. Ce coche d’eau figure avec son nom de Corbeillard, sur le plan de Paris de 1618.
L’image funeste du « corbeillard » a progressivement été associée à la mort et au transport mortuaire. Le mot devenu « Corbillard » par analogie avec le corbillat, le petit du corbeau, un animal souvent associé à la mort, s’applique ensuite « aux grands carrosses » (Mémoires du chevalier de Gramont, par Hamilton, 1713).
Mais il est surtout connu chez nous, comme char funéraire, au XIXe siècle.
Le deuil au début du XXe siècle
A Millau, au début du XXe siècle, les avis de décès publiés par la presse locale n’étant pas aussi rapides qu’à présent, c’était le sacristain qui se chargeait d’alerter la population par sonneries de cloches interposées. On disait qu’il sonnait « le glas » suivi d’une envolée.
Aux Millavois d’aller chercher plus amples informations au presbytère concerné.
Les volets du défunt étaient clos. Agitation et bruits étaient proscrits. Dans la maison du défunt, parents et amis s’affairaient aux premiers apprêts mortuaires. Des pleurs et des gémissements venaient ponctuant l’évocation des jours heureux vécus en compagnie du disparu, qui étrangement n’avait plus le moindre défaut. Le mort était revêtu de ses plus beaux atours. Ses mains jointes sur sa poitrine semblaient égrener un chapelet, souvenir de sa première communion.
Toute la population adulte, hommes et femmes, venait à tour de rôle pour faire une visite à la chambre du mort. A l’aide d’un rameau bénit, on ébauchera un signe de croix sur sa poitrine. Ne pas aller « signer » un mort eût été une grave insulte vis-à-vis de la famille en deuil. Les haines les plus tenaces étaient oubliées à cette occasion, même si ce geste ne réconciliait pas les familles rivales.
Le deuil s’appesantit sur toute la maisonnée, toutes les pendules sont arrêtées, les miroirs recouverts d’un linge blanc. La nuitée de prières dans la chambre mortuaire pouvait alors commencer, des tisanes ou autres liquides chauds réchauffaient les cœurs attristés.
Même les abeilles participaient à ce deuil familial, si elles étaient la propriété du disparu. Un ruban noir épinglé sur le dessus des ruches, où bien ces dernières étaient entourées de crêpe noir et signalaient aux passants et voisins de vigne le décès du propriétaire.
Comme nous le rappelle le journal Midi Libre : « Même cérémonial pour la maison de famille, mais en plus majestueux. Selon la classe choisie (de 3 à 6) des draperies noires brodées de franges d’argent avec initiales du défunt, recouvraient l’entrée principale de l’immeuble » (Le dernier corbillard de nos grands-parents, 2 novembre 2003).
Au moment d’un décès, le « grand » deuil était de rigueur. Pour un parent très proche, les hommes portaient un brassard noir au bras gauche et une cravate noire, les femmes portaient un chapeau en crêpe anglais, muni d’un grand voile (en crêpe anglais aussi) que l’on rabattait sur le visage et qui vous enveloppait. La longueur de ce tissu variant selon la peine ressentie ou affichée ; jusqu’à la taille pour une veuve éplorée, plus modeste pour une belle-mère. Les femmes devaient aussi renoncer à tous leurs bijoux.
Comme le rappelait Roger Béteille : « On gardait très longtemps le deuil en Rouergue. Les vêtements noirs étaient de rigueur même pour un parent assez éloigné. Les femmes s’astreignaient à un deuil très sévère notamment dans la coiffure. » (La vie quotidienne en Rouergue avant 1914, Hachette, 1973)
Le noir devait se conserver pendant un an, pour assister aux offices religieux. Pendant trois ans, ensuite, les femmes portaient toujours le chapeau en crêpe anglais, mais avec le voile qui pendait derrière. Enfin, c’était le demi-deuil, qui durait plus ou moins longtemps : chapeau en crêpe Georgette, accompagné d’un petit voile qui pendait sur le côté ou que l’on enroulait autour du cou. Les hommes continuaient à porter, pour marquer le deuil, un brassard noir.
Venait ensuite la cérémonie dans l’église paroissiale. Là aussi, la famille du défunt avait le choix entre quatre degrés de décorum, avec trois prêtres officiants assistés par une dizaine d’enfants de chœur, orgues, chantre et chorale, garde suisse et autres éléments décoratifs qui témoignaient de la satisfaction des héritiers. Les moins fortunés ayant pour eux la simplicité évangélique.
A la fin de la cérémonie, pour fêter le retour d’une âme à Dieu, après l’absoute, une dernière envolée accompagnait le départ en cortège de la foule, conduite par le clergé, vers le cimetière.
Le corbillard attendait le mort pour le conduire à sa dernière demeure. Tiré par des chevaux portant, eux aussi, plumets et drap de deuil, le corbillard sorte de véhicule transportant un gisant, s’en allait au cimetière suivi par la foule des parents et amis.
De retour à la maison en fin de matinée, il était de bon ton qu’avant de se séparer, la famille réunie puisse partager le repas de l’amitié. Repas qui débutait dans un silence total, seulement troublé par le choc des couverts dans les assiettes.
René Gauffre pourrait ajouter : « C’est là que se présentaient les condoléances. Les remerciements étaient formulés par celui qui avait accompagné et mené le deuil, en général un ami de la famille » (Extrait de Ma vie, 1903-1923, manuscrit, 1998).
Au moment du repas où le vin n’était pas coupé avec de l’eau, ce qui aurait été vexant pour les hommes présents, le prêtre qui présidait la tablée prit la parole et sa voix grave lentement s’élevait pour réciter la prière des morts. Ce rappel jetait un froid certain. Après le repas, une dernière accolade, une longue poignée de main, et la vie doucement reprenait son cours.
Marc Parguel