Le quine, du latin quini signifiant « cinq chacun », est un jeu traditionnel qui a la même origine que le tirage national du loto. Importé d’Italie par François 1er qui autorisa en mai 1539 l’organisation de jeux d’argent, il ne sera pratiqué qu’à la cour, avant de se démocratiser avec la création de la loterie royale en 1776. Jeu de hasard qui est généralement organisé par des associations, des clubs sportifs et des écoles, il s’adresse à un public familial de tout âge.
Il se joue aujourd’hui avec des jetons, autrefois c’était avec du maïs mais pour des raisons d’hygiène, de gaspillage et même de sécurité, on se mit aux jetons en plastique. Le gagnant devra avoir rempli une rangée horizontale de son carton, soit cinq cases. Certains, avant la partie, ont des numéros fétiches et aiment à choisir leurs cartons. Ce jeu de loterie est appelé « quine » dans l’Aveyron, mais peut porter d’autres noms, à Toulouse par exemple, on nomme ça « le loto ». Le meneur de jeu tire au sort des boules numérotées de 1 à 90. Il « boulègue » après avoir sorti plusieurs boules, entendez par cela il mélange. Dès que l’une d’elles est sortie, le meneur de jeu annonce le numéro à voix haute. Il paraît que dans ce rôle-là, Tomate, alias Emile Salgues, était très doué. Il faut dire qu’étant crieur public, il avait une voix claire et sonore.
Chaque numéro sorti donne lieu à une expression différente. Par exemple : le 1, le premier de mille ; le 7, la hache ; le 11, le cheval de bronze ; le 20, sans eau ; le 34, les vendémiaires ; le 89, la mémé ; le 90, le pépé… Quand on a rempli une rangée de chiffre sur le carton, il est d’usage de crier « quine ! ». A Millau, on crie « assez ! » Le marqueur, une fois le cri poussé, dit souvent « ne démarquez pas », au cas où le gagnant se soit trompé en plaçant les jetons sur sa grille.
En fin de quine, la tradition veut qu’on fasse bénéficier d’un plus gros lot, et pour cela, le carton doit être plein, soit 15 cases remplies sur 27 réparties sur 3 lignes.
Le quine, qui s’écrit au masculin, est devenu courant dans l’Aveyron à partir du XIXe siècle et nous trouvons sa trace dans nos archives en 1863. Le 19 décembre de cette année-là, dans le journal local « L’Echo de la Dourbie », Jean Legros nous fait part de ces impressions et elles sont savoureuses :
« Je rencontrai, dimanche, un de mes amis qui rentrait chez lui, portant d’une main une paire de bécasses et de l’autre une paire de perdreaux.
– Où avez-vous fait, habile chasseur, une pareille chasse ?
– Au Cercle de l’Industrie (Boulevard de l’Ayrolle).
– On peut donc chasser dans ce Cercle ?
– Oui.
– Je regrette de ne pas avoir mon fusil, j’irais essayer d’être aussi heureux que vous.
– Pas besoin n’est de fusil, mettez seulement quelques pièces de cent sous dans votre poche et vous tuerez du gibier comme moi.
– J’y vais.
J’entre au Cercle ; un garçon très poli vient me recevoir dans la première salle.
– Que désire monsieur ?
– Je voudrais chasser.
– Je vais vous conduire où l’on chasse.
Il m’introduit dans une grande salle, occupée par une vingtaine de personnes assises, qui ne firent aucun mouvement à mon approche, elles paraissaient aussi absorbées que les habitants de l’Ile volante, à contempler des chiffres tracés sur des cartons étalés devant leurs yeux. « Ces messieurs, dis-je en moi-même, doivent être de grands arithméticiens ». Au milieu de la salle et sur une table à part… un monsieur lisait, sur les petites boules qu’il tirait d’un sac, le numéro qu’il nommait à haute voix et, pour égayer ce récitatif par moments fort monotone, lançait de temps en temps quelques « coqs à l’âne ». Le numéro 33 s’appelait « les deux bossus », le numéro 22 « les deux poulettes », le numéro 48 « la pièce d’alarme », le numéro 14 « l’homme fort ».
– Pourquoi le numéro 14 est-il appelé l’homme fort ?
– C’est, me répondit ce Monsieur qui entendit mon observation, une allusion au grand Louis XIV » : réponse digne d’un professeur d’histoire.
– Puis-je prendre part à votre amusement ? dis-je à mon voisin.
– Oui, monsieur.
On me donne un carton couvert de numéros.
– Expliquez-moi, le mécanisme du jeu.
– Il est fort simple, il faut le premier garnir une ligne de numéros.
– Je comprends.
Je pose cinq sols sur la table comme tous mes voisins.
– Le voilà qui part ! crie le Monsieur aux boules.
Un profond silence lui répond. Il nomme : 15, 33, 1, 50, 89.
– Halte-là !, dis-je à mon tour en interrompant le tireur, ma ligne est garnie.
Le maître de l’établissement s’approche de moi, vérifie et me montrant une superbe anguille, me dit :
– Voilà, Monsieur, ce que vous avez obtenu avec votre ligne.
– Comment, j’étais venu chasser, et j’ai péché.
– Dans tous les cas, c’est un péché dont vous n’avez pas à vous repentir.
– C’est vrai, mais je veux chasser.
– Quel est le gibier que vous désirez ?
– Avez-vous des pigeons ?
– Il n’y en a jamais ici, Monsieur.
– Peste ! et des bécasses ?
– Il y en a toujours.
– Va pour les bécasses !
Le tireur recommence l’appel des numéros et je suis encore heureux pour attraper un quine. L’on me remet une paire de bécasses. Satisfait de ma chance, je m’empare de l’anguille et des bécasses que j’ai gagnées et je rentre chez moi, muni de mon fardeau. En traversant le Mandarous, je faisais l’admiration de toutes les cuisinières ; en entrant chez moi, il n’en fut pas tout à fait de même. Ma cuisinière a été enchantée des provisions que j’apportais, mais ma femme l’a été moins.
– Comment se fait-il, cher ami, m’a-t-elle dit, que tu apportes du gibier et du poisson ? Tu es donc devenu, tout à coup, chasseur et pêcheur ?
– Je suis devenu l’un et l’autre en jouant.
– Tant pis.
– Comment, tant pis ?
– Parce que je connais un proverbe patois que je t’engage à méditer ! Sept pescaïrés, sept cassaïrés, sept jouaïrés ; vingt-un gus ! »