[dropcap]M[/dropcap]algré l’opposition d’un salarié du site, la quinzaine de personnes est entrée et a pris procession des lieux pour tenir une conférence de presse. José Bové l’a dit : « On est chez nous ici ! »
Le contexte historique
En avril 2019, Lactalis, le numéro un mondial des produits laitiers, commercialisait le Bleu de brebis estampillé Société, un nouveau produit destiné à « reconquérir des parts de marché et à séduire une clientèle plus jeune ».
Présenté dans un emballage similaire au Roquefort, vendu moins cher et arborant le logo Société, les défenseurs du roi des fromages, affirmaient qu’il « trompait le consommateur » détournant ainsi une partie de la clientèle d’un marché déjà fragilisé, mais surtout, que cet « ersatz » au lait pasteurisé menaçait directement l’AOP la plus vieille du monde, celle du Roquefort qui aura bientôt 91 ans.
En effet, le Roquefort, fabriqué à base de lait cru, possède une AOP (Appellation d’origine contrôlée) « pour défendre les producteurs et protéger les consommateurs. Elle est régie par un cahier des charges strict. Il définit entre autres une zone géographique de production du lait et garantit son prix d’achat aux éleveurs », explique Christian Cros, éleveur à Millau.
On a un produit qui est une imitation d’une AOP, Lactalis nous a divisé et a toujours nié et défendu son produit, le Bleu de brebis de Société menace l’AOP et derrière, toute une filière locale ».
Dès le début du conflit, les syndicalistes de la filière rejoints par José Bové, ancien éleveur du plateau du Larzac et ancien Eurodéputé « tiraient la sonnette d’alarme ». Après de « soi-disant missions de conciliation qui n’ont mené à rien », ils mettaient en demeure la confédération générale de Roquefort (l’ODG, l’organisme de défense), « de dénoncer et de stopper la fabrication de ce bleu de brebis ».
En septembre 2020, la Confédération générale de Roquefort avait tranché : « aucun risque de confusion pour les consommateurs entre le Roquefort et le Bleu de brebis ».
Pour les défenseurs du Roquefort, cette décision, pire qu’un coup de massue, était vécue comme « une trahison sur fond de conflit d’intérêts » et marquait le début d’un long combat. Une jurisprudence rendue par la Cour de justice européenne le 17 décembre dernier vient peut-être d’en sonner la fin prochaine.
L’AOP Morbier au secours de l’AOP Roquefort
Dans un autre conflit fromager, en fin d’année 2020, la cour de justice de l’Union européenne rendait une décision qui faisait jurisprudence dans une affaire similaire pour la protection de la défense de l’AOP Morbier copiée par un industriel.
La Confédération paysanne de l’Aveyron interrogeait alors l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine) dans un courrier du 19 février pour connaitre sa position « à la lumière de l’arrêt concernant le morbier », mais cette fois, dans l’affaire Bleu de brebis / Roquefort.
La réponse du 22 février de l’INAO confirme bien que « la décision de la Cour européenne va dans le sens d’une protection encore plus renforcée de l’AOP ». Mais ce qui annonce peut-être la fin de deux années d’un bras de fer acharné c’est la dernière phrase de la lettre de l’INAO.
Nous aurons prochainement une réunion avec la Confédération générale de Roquefort, puisque des discutions ont été entamées depuis quelques semaines afin de faire évoluer le packaging de ce produit ».
Qui défend quoi ?
Pour José Bové, la réponse ne laisse pas de place au doute, veut dire deux choses et soulève un dernier problème, c’est que personne n’est au courant au niveau des administrateurs et du bureau de la confédération de Roquefort.
Premièrement, le Bleu de brebis tel qu’il est aujourd’hui en vente, ne correspond pas aux règles des appellations, c’est une fraude et il y a obligation de le modifier. Deuxièmement, il y a déjà eu plusieurs échanges et personne ne sait rien au sein de la Confédération hormis certainement le président et le vice-président, donc, ceux qui représentent Société des caves.
José Bové s’interroge, ironise sur cette situation et se demande « comment défendre demain l’AOP quand ce sont ceux qui représentent le syndicat de défense de l’appellation qui créent la contrefaçon ? »
Est-ce que c’est à la Banque de France de proposer aux faux monnayeurs la meilleure imitation sans que ça empêche l’argent de circuler ? »
« Il va falloir que les choses évoluent et vite »
La décision de la Cour de justice européenne doit maintenant être confirmée par la Cour de cassation française. La réponse devrait être donnée d’ici le 15 mars.
Parallèlement, les syndicats rencontreront la directrice de l’INAO et demanderont à l’ODG (organisme de défense, en l’occurrence la Confédération générale de Roquefort) de se prononcer sur ces dernières décisions et « d’être claire ». Une motion de la confédération paysanne de l’Aveyron parviendra à la Chambre d’agriculture qui devra aussi se prononcer. Des élus du département ont aussi été rencontrés, Arnaud Viala il y a quelque temps et plus récemment Jean-François Galliard.
Selon l’évolution de la situation, d’autres actions seront menées. Une chose est certaine, les défenseurs de l’AOP Roquefort ne sont pas prêts de s’épuiser, José Bové l’a rappelé : « on est habitué à gagner nos combats ».