[dropcap]N[/dropcap]ous sommes le dimanche 29 juin 1879, c’est la Saint-Pierre et jour de fête à Saint-André-de-Vézines. La grande fête annuelle du village, la « bouoto » (la fête votive) celle qui va permettre à une grande partie des familles de se retrouver. Aussi le village est en effervescence. Durant deux jours, le four banal va cuire plus de pains que d’habitude, de délicieux gâteaux et fouaces viendront garnir les plateaux des conscrits lors du passage de la paume.
Comme de coutume, ce sont les conscrits de l’année qui vont organiser la fête, ils loueront un groupe de musiciens, un orchestre bien modeste, mais qui saura donner une bonne ambiance.
Dans le village de Saint-André, les ménagères rivalisent de prouesses pour confectionner des plats rares et copieux, les volailles payent un lourd tribut ce jour-là.
Une tombola est prévue, avec des lots offerts par l’épicier ou par les fermiers de la commune : volailles, bouteilles, gâteaux, fromage de l’exploitation familiale.
Mais cette année n’est pas comme les autres, il y a autant de conscrits dans le village de Montméjean que dans celui de Saint-André.
Le village de Saint-André est cependant le plus imposant. Avec ses 60 maisons et ses 213 habitants, tandis que Montméjean compte 83 habitants derrière les murs de ses vingt maisons.
De ce fait, les conscrits de Saint-André ont décidé d’organiser eux-mêmes la fête sans consulter les 8 conscrits de Montméjean. Ces derniers furieux de ne pas avoir leur mot à dire, prennent le chemin en direction du chef-lieu de la commune et compte bien faire entendre leur voix.
Arrivés à Saint-André, armés de branches d’arbres qu’ils avaient ramassées en chemin, ils se dirigent tout droit vers le café du village, tenu par l’aubergiste Pierre-Jean Brun, afin d’affûter leurs branches, de les tailler et d’en faire des armes redoutables contre les Saint-Andribens.
Ils se postèrent devant l’église, prêts à en découdre avec leurs bâtons qu’ils venaient de confectionner, des bâtons qui allaient flageller ceux qui avaient osé organiser la fête et s’être octroyé un droit de préséance.
L’église était remplie de fidèles et la messe était dite par le curé Eugène Guibert, secondé par son vicaire et neveu Ferdinand Guibert. A la fin des offices religieux, les conscrits de Saint-André distribuaient des cocardes, petites fleurs qu’ils épinglaient au revers de la veste des habitants. Les gens donnaient une pièce ; cela aidait à payer l’orchestre.
C’est à ce moment-là que sortant de l’église, la révolte s’engagea, les « saute-rochers » tels qu’on surnommait les habitants de Montméjean surprirent « les égrène chapelets » qui venaient d’entendre la messe.
S’ensuit une bagarre bien peu équitable, entre conscrits de Montméjean et ceux de Saint-André. N’ayant rien pour se défendre, les coups pleuvaient, et rien ne semblait les arrêter.
Alors que faire ? Les conscrits prenaient la fuite sous les cris épouvantés des habitants.
Le jeune instituteur Fortuné Poujol, de cinq ans leur aîné, essaya bien de raisonner ces jeunes de 20 ans, mais sans succès…
Un des conscrits frappeurs de Montméjean cria alors : « Nous allons mettre le drapeau au sommet du camp del Bouys, et celui qui de nous deux gagnera, remportera le droit de le mettre au fond de l’église et de célébrer la fête comme bon lui semble ».
Les pauvres Saint-Andribens désarmés quittèrent à toutes jambes la place du village, et ceux qui le pouvaient ripostèrent à coup de poing.
On les pourchassa jusqu’à leurs propres maisons, ainsi en descendant la rue après le four, un des conscrits fut poussé dans ses derniers retranchements sur la terrasse de sa maison (maison de l’huguenot), il ne dut son salut qu’en sautant du balcon et en prenant la fuite.
Mon arrière-arrière-grand-père, âgé de 74 ans ayant eu vent qu’un de ses fils, Célestin, venait d’être amoché par la bande de Montméjean vit rouge et n’ayant pas de bâton à portée de mains, il saisit le drapeau qui avait été planté au sommet du « camp del Bouys » en cassa le manche, le brandit et se dirigeant vers les assaillants dit : « Allez-y, maintenant, moi je suis assez vieux pour faire un mort ! » et il se mit a frapper de toutes ses forces ceux qui avaient fait du mal à son fils.
Ce qu’il ne savait pas, c’est ce que son fils n’avait pas été touché, il avait un homonyme dans le village voisin : Célestin Parguel de Montméjean, et c’était lui qui avait finalement tendu le bâton pour se faire battre.
Peu de temps après, les Benezeth, Cartayade, Guillaumenq, Parguel ayant à leur tout des bâtons dans les mains, donnèrent une raclée à ceux de Montméjean : les Brudy, Delort, Libourel… Mais bons princes, les conscrits Saint-Andribens après avoir prit possession du drapeau, acceptèrent la présence des conscrits de Montméjean, et après avoir mangé tous ensemble au presbytère, donnèrent à l’église le drapeau tricolore où on pouvait lire ‘Honneur aux conscrits, classe 1879, village de Saint-André-de-Vézines ». Ce drapeau bien fiché sur son nouveau manche ne devait plus ressortir.
Tandis que les jeunes de Montméjean mirent à leur tour la cocarde dans un esprit d’apaisement, au milieu du repas des villageois, une partie des conscrits profita de ces réunions familiales pour, selon la tradition, venir donner l’aubade aux habitants et à leurs invités. Au nombre de quatre, dont un jouait de l’accordéon. On appelait cette coutume « le passage de la pomme ».
Ils offraient à Madame une fleur, à Monsieur un cigare, aux invités des cigarettes ou des cocardes, de la fouace aussi. Sur le plateau, il y avait une grosse et belle pomme. Les plus riches (ou les plus orgueilleux), par générosité (ou pour se faire remarquer) enfonçaient une pièce d’argent de cinq francs ou un louis d’or dans la pomme, mais en général chacun donnait une obole.
Au cours de l’après-midi, les rencontres entre anciens donnaient lieu à beaucoup de libations, on se retrouva chez l’aubergiste Brun, et on alla jusqu’à danser la carmagnole sur la place du village de Saint-André. Les libations parfois trop nombreuses, firent oublier aux uns les coups, aux autres la peur, presque comme si quelques heures auparavant, rien ne s’était passé. On donnait un bal à même l’Ayral et des jeux divers se tenaient comme lo rampèl ou le jeu de quilles.
Au lendemain de cette fête inhabituelle, le village était teinté de mélancolie et se réveillant tard, les habitants racontaient « les exploits » de la veille. Cette histoire marqua longtemps les esprits des habitants de la commune.
Pourtant de ce récit rien ne ressort dans les archives paroissiales ou communales. Le seul témoin oculaire fut le jeune Emile Baraille, né en 1866, qui âgé de 13 ans au moment de ces méfaits, était aux premières loges pour suivre tous les protagonistes de cette affaire.
Emile Baraille deviendra le forgeron du village, il sera maire de la commune de Saint-André de décembre 1919 à mai 1928. Quand il était âgé, à la fin des années 1940, il aimait raconter cette histoire qu’il avait vécu adolescent, et qui fit grand bruit. Une fois disparu, son témoignage ne survivra que dans la mémoire de ceux à qui il l’avait conté. C’est pour cette raison et avant que toute trace ne s’efface qu’il convenait de l’écrire. Pour que mémoire ne se perde.
Marc Parguel