Patrimoine millavois. Le Voultre (1re partie)

Marc Parguel
Marc Parguel
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Le Voultre en 1908 (DR)

[dropcap]L[/dropcap]e Voultre (de « voûte » : passage voûté) tire son nom de sa porte (Portal del Castellas del Voltre : porte du voultre) appelé aussi château Trompette. On a longtemps disserté sur l’origine de ce nom de Voultre, Boultre, Voltre que certains faisaient dériver de vultur, vautour et d’autres de bouldro, fange.

Ainsi l’abbé Joseph Rouquette écrivait : « Sous l’église Saint-Martin, dans la rue du Jumel, il y avait un enfoncement où s’écoulaient et croupissaient les eaux venant des rues supérieures. Le nom de ce cloaque, ou bourbier, appelé en langue vulgaire Boultre, c’est-à-dire fange, est resté à la rue et au quartier où se trouvait cet amas de boue » (Recherches historiques sur la ville de Millau au Moyen Âge, deuxième partie, 1888).

Mais comme le rappelle Jules Artières : « Nous trouvons dans un livre de comptes communaux, la mention suivante, relative à un acte reçu en 1317 par Me Guilhem Félip, notaire à Millau : « Lo arc, lo voltre que es sus la carrieyra ». Il résulte de cette mention qu’un voultre était une arche ou voûte au-dessus d’une rue ou d’un passage, une sorte de porche. Dans ce cas, ce serait le Voltre ou Voultre dit du Castelas qui aurait donné son nom à la rue du Voultre » (Annales de Millau, p.331, 1894-1899).

Ce passage qui existe au moins depuis le XIIIe siècle, a donné son nom à tout le quartier. Cette porte d’après Jules Artières « qui, par suite de l’accroissement de Millau, se trouve aujourd’hui dans l’intérieur de la ville, faisait partie de l’ancienne enceinte des fortifications laquelle, antérieurement au XIVe siècle, allait de la porte Saint-Antoine joindre le château, laissant en dehors les rues Neuves, Haute, et Basse, et la rue du Voultre, qui n’existaient point encore.

Au milieu du XIVe siècle, dit M. de Gaujal (Études historiques, t. III, p.363), lorsque les guerres contre les Anglais firent sentir la nécessité de fortifier Millau, l’ancienne enceinte fut accrue de la rue de Pelacuer, de l’Hôpital et de la Rue Neuve. C’est alors que furent construites les portes de Gozon et du Jumel ». (Annales de Millau)

Tableau de Jules Coulange Lautrec (1861-1950). © DR

Le 13 juillet 1850, on pouvait lire dans le journal local « L’Écho de la Dourbie » : « À vendre, les immeubles des successions de MM. Molinier de Sapientis, situés à Millau… une maison sur le carrefour dit du Voultre, avec jardin contigu, basse-cour, grange et écurie, ayant issue sur la rue Neuve-Basse »

Le 16 janvier 1864, dans le même journal, cet acte de vente nous fait prendre connaissance de la configuration des lieux à cette époque : « Il sera, le samedi 6 février 1864… au palais de justice procédé à la vente des immeubles ci-après désignés… une boutique, située à Millau, rue du Voultre ou du Jumel, sous la maison du sieur Abraham Finiels, confrontant à l’aspect du midi à la rue, au levant à la maison du sieur Bompart, et au couchant aux bâtiments de la veuve Caldesaigues (n° 300, section D, matrice cadastrale contenant 34 m2), un petit espace de terrain, servant de cour, faisant partie du numéro 292 de la même section, d’une contenance de 45 m 2, confrontant du levant la rue Panacuir (rue des cuirs), au midi par équerre à ladite rue et à la cour du sieur Guy, et au nord aux bâtiments du sieur Negre ; cet article fait partie du numéro 292 de ladite section D du cadastre.

Une grande maison et jardin joignant, ou sont des poutres et piliers en fer, pour étendage, le tout servant de fabrique de tannerie et de corroyerie. La maison se compose au rez-de-chaussée de diverses pièces sous voûte ou sont des cuves en bois et des fosses en pierre de taille pour la préparation des peaux ; d’un grand magasin, d’une petite cour vers le milieu d’un premier et d’un second étage, où sont diverses pièces d’habitation, cuisine, salle à manger, chambres à coucher, avec cheminées en marbre, alcôves, cabinets de toilette, lieux d’aisance, avec une terrasse et une partie de la façade du côté couchant donnant sur la rue Panacuir, avec des galetas, sous comble en charpente, au-dessus des pièces d’habitation.

Le service de cet entier corps de bâtiment se fait au moyen de deux escaliers en pierre de taille, à partir du rez-de-chaussée jusqu’aux divers galetas. Le tout est porté a la matrice cadastrale : le jardin sous le numéro 275 de la section D, pour une contenance de deux ares six centiares et les bâtiments sous le numéro 280 de la même section, pour une surface au sol de 350 m2. Ces trois articles ont été acquis par le sieur Galibert des héritiers ou successeurs de Jacques Guy, tanneur, suivant acte reçu par Me Fabry, notaire à Millau, le 7 février 1860. »

Rue de Gozons. © DR

Dieudonné Rey évoque cette porte de Gozons (autrefois appelé de Malpel) toute proche : « le plus ancien titre que nous avons trouvé dans lequel il en soit fait mention provient du fonds des Templiers. C’est une reconnaissance faite en 1265 à Pierre Raymond, précepteur du Temple de Ste-Eulalie-du-Larzac « d’une maison sous le Voultre, confrontant la voie publique qui va au portail de Malpel ».

Notons en passant cette attestation de l’existence immémoriale de ce quartier, qui présente, quoi qu’on en ait dit, la même antiquité que les autres fortifications. Ce nom de Malpel était celui d’une famille nombreuse de laboureurs, dont plusieurs générations avaient vécu dans ce quartier. C’est vers le milieu seulement du XIVe siècle que le nom des Gozons commence à paraître.

En 1365, les livres des Consuls parlent indifféremment dans la même page du portail de Malpel et du portail des Gozons. Cette dernière dénomination finit par prévaloir, mais pour la porte seulement, car la rue n’a jamais pris au Moyen Âge le nom des Gozons ; mais seulement dans les temps modernes. En 1440, par exemple, nous voyons encore « in carreria vocata del Malpel, sive sots lo Voltre » (Bessodes, notaire, 6 août 1440) (Millau : les fortifications au Moyen Âge, 1924).

La porte du Voultre. Cette maison sur rue du Moyen Âge est unique à Millau par ses proportions et la hauteur de son passage voûté cantonné de deux grandes arcades brisées à deux rouleaux comparables à celles visibles à l’hôtel de Galy.

Selon P.E-Vivier, « elle pourrait être le vestige d’une porte de la ville et témoigner d’une époque où l’enceinte passait à ce niveau, d’autant plus que la pente s’accélère assez nettement à la sortie vers le bas ».

© DR

D’après Françoise Galès : « Bien qu’ayant une allure de tour et bâtie à cheval sur la rue, ladite porte du Voultre n’aurait jamais été qu’une demeure. Élevée sur trois niveaux, elle compte en rez-de-chaussée un large passage voûté en berceau en plein cintre cantonné de deux grandes arcades au profil légèrement brisé, à deux rouleaux, et deux étages. Au rez-de-chaussée, les grandes arcades sont dépourvues de vantaux, de gonds ou de herse permettant de clore une éventuelle porte. Une croisée aujourd’hui comblée éclairait l’étage. L’ensemble est élevé en calcaire gris-bleu, caractéristique des constructions du Moyen Âge. »

Le quartier du Voultre a toujours été un quartier populaire, habité par des paysans et des artisans du cuir. Au Moyen-Age, on le désignait sous le nom de « Calquieyras » (mégisseries).

Le Voultre en 1913. À gauche la charcuterie d’Hippolyte Boulouis, dénommée « Au chat noir ». © DR

Plusieurs monastères y possédaient une « maison de ville » : prieuré grandmontain de Comberoumal, abbaye cistercienne de Bonneval.

Au XVIe siècle, la ville y achète « l’ostal de la pesta » (maison de la peste) pour isoler les personnes contaminées…

En 1430, dame Brayda Ratieyra, fille de « honorable homme Bertrand Ratier », institue par testament pour héritiers généraux et universels « les pauvres du Christ », pauperes Xristi. Parmi ses biens figurait sa maison, sise au Voultre, qui fut vendue aux enchères et dont le produit 164 livres, fut distribué aux pauvres de la ville.

12 juillet 1435 : « Nous faisons saisir le conseil de l’Esquila et nous mettons en discussion que P., avec beaucoup d’autres, vient se plaindre en disant que G. Roussel tenait calquière (mégisserie) dans une maison à côté des prédicateurs (dominicains) de la puanteur qui est dans toute la rue par ladite calquière ; et les seigneurs Consuls se saisirent de la cause et ordonnèrent que dorénavant il ne soit plus fait calquière et qu’il nous ait enlevé toutes ces peaux d’ici à huit jours ».

Sous la porte du Voultre, on pouvait voir, un exemplaire du type le plus ancien de nos bornes-fontaines, actionnées par pression sur un gros bouton, où un gamin s’installait parfois pendant que ses copains buvaient à tour de rôle.

Cette borne-fontaine aujourd’hui retirée, on en a placé une nouvelle sur la place du Voultre récemment aménagée.

La porte du Voultre avec sa borne-fontaine sur la droite. © DR

Juste au-dessous du Voultre, sur la droite, à l’angle de la rue des Pénitents, se trouve un four très ancien, qui fut acheté en partie, par les administrateurs de l’hôpital mage en 1405, un acte de 1559 donne des renseignements intéressants « sur le four de la maison dieu hospital mage de la ville de Milhau » mis aux enchères par les consuls, patrons de l’établissement.

Ce document nous apprend que « ladite maison et four demeurés a toutelle ruyne et cadavre auroyt esté treuvé a enchère pour le bailer à nouveau fief et nouvelle cense au dernier encherisseur assize ladite maison de devers les murs deladite ville rue dicte de tas Sant Marti » (ruelle située au milieu de l’actuelle rue des pénitents et qui se dirige vers la rue Peyrollerie [Jehan Guiscard, notaire]. Il appartenait encore à l’établissement charitable [Hôpital Mage] en 1663, puisque le tenancier de cette époque, Guillaume Espinasse en fit la « reconnaissance », déclarant qu’il était tenu de payer une « censive de 10 sols pour le four « sotz lo Voltre ». Le four fait face à la maison à encorbellement. Il fonctionna du XVe au milieu du XVIIIe siècle.

La maison à encorbellement

En haut et à l’angle des rues du Voultre et des Pénitents [et non du Jumel, comme disait la carte postale] se trouve une curieuse et ancienne maison à encorbellement. Au XVIIe siècle, c’était une hôtellerie ; elle était tenue en 1668 par François Perret, « hoste ».

Plus tard, ce sera « l’auberge du Voultre » tenue par la Mège, contemporaine à l’auberge de Minerve [rue Sarret].

Carte postale représentant une vue prise à l’angle des rues du Voultre et des Pénitents. ©DR

Cette ancienne carte postale immortalise une scène du début du XXe siècle. On y voit le pavage de galets avec caniveau marqué, entrée, aux volets caractéristiques des échoppes de jadis. La laveuse et son baquet, les mamans et leurs « nénés », la marmaille du quartier et jusqu’au corniaud de passage ont à peine pris la pose : « la vie est là, simple et tranquille… »

À suivre…

Marc Parguel

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